Olivier : la lourde tâche de montrer que la politique ne rend pas fou
Olivier Veran, suppléant de Geneviève Fioraso, rapporteur de la loi santé, retourne à l’hôpital après le retour annoncé à l’Assemblée de Geneviève Fioraso qui quitte ses fonctions ministérielles pour cause de santé. Le raccourci de ce seul mot « santé » ne manque pas d’intérêt.
Tous les deux, Geneviève et Olivier sont mes amis, à des niveaux différents, je connais Geneviève depuis 2007 (elle fut élue avec moi dans la même promotion de députés), Olivier seulement depuis une visite en Isère alors que j’étais Ministre et lui tout jeune député, praticien des hôpitaux en disponibilité du fait de la nomination ministérielle de « sa » députée.
Nous n’avons tous les trois que des raisons de nous comprendre sans mot dire. La santé -ou son masque sombre, la maladie- nous réunit.
Quand à la fin d’une question d’actualité, il y a quelques jours, Olivier Veran a interrogé la Ministre @MarisolTouraine sur la loi « santé », rebaptisée in extremis « loi de modernisation du système de santé » et annoncé son départ (une première: aucun suppléant de Ministre ne l’avait fait jusqu’alors), j’ai été la première à me lever dans l’hémicycle pour susciter une « standing ovation » en direction de mon jeune confrère et de son travail.
Le voici aujourd’hui en charge d’une lourde tâche, lourde mais majeure : démontrer qu’on peut retourner à la vie réelle après trois ans d’imprégnation par la vie parlementaire et ministérielle, la renommée plus ou moins grande qui vient avec elle et aussi l’impression de « pouvoir quelque chose » au niveau national ; ce « quelque chose » fût-il bien moindre que le Pouvoir médical qui, chaque jour, décide du vécu et quelquefois de la survie de personnes individuelles qu’il marque définitivement ainsi que leur famille.
On l’a compris : le Pouvoir médical me paraît d’un autre ordre que le pouvoir politique, du moins à l’échelon où un parlementaire, voire un ministre, l’exerce. Cet ordre, au sens pascalien, penche infiniment en faveur du médecin. Il s’en éloigne au contraire, s’il s’agit de notoriété médiatique, d’écume des jours, et quelquefois de durabilité. La loi Evin est toujours présente dans nos vies, comme la loi Veil, elles ne sont pas si nombreuses à le faire. Inutile de dire que j’aurais voulu que la « loi de transition démographique » fût de celles-là. Je n’en ai eu ni le temps (l’acte II de cette loi n’aura pas lieu), ni la liberté de la faire accepter et connaître en tant que telle : un bouleversement sociétal et social.
Olivier va (probablement) retourner à l’hôpital, comme je l’aurais fait, si ma courte victoire de 2007 en face d’Alain Juppé avait basculé en sens contraire. Dès le lendemain, j’aurais retrouvé la redoutable suite d’obligations intangibles de la vie hospitalière : l’heure des visites et des contre-visites, l’examen des scanners avant l’annonce de leurs résultats aux patients, les horaires de consultations, que même grippé, fiévreux, en deuil ou pas loin de l’être, on doit assumer parce qu’une vingtaine de personnes inquiètes venant de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres vont s’y présenter. Tout cela dans cette sorte de faux anonymat du médecin hospitalier : rares sont ceux que les médias connaissent, très nombreux sont ceux que les malades et leurs familles n’oublient jamais.
Olivier, si tu retournes à l’hôpital, tu vas retrouver cet extraordinaire abîme : on te parlera avec respect à l’hôpital quand on te vilipende facilement dans ta fonction de député, tu regretteras cette ouverture sur le monde et sa diversité, cette possibilité de se forger un avis sur tout que donne la politique, mais tu renoueras des liens souvent tacites mais éternels avec des patients de tous milieux, degrés de culture et de fortune, qui t’accorderont leur confiance au premier regard, au premier sourire (et les tiens, cordiaux et ouverts, y incitent) avec lesquels tu les accueilleras dans ton grand hôpital.
Tu reviendras en politique, j’en suis sûre. Et avec cette force particulière de connaître les multiples et changeants visages de la réalité. « Il n’y a qu’une vérité, disait Kafka, mais elle a un visage changeant ». « Changeant » est une mauvaise traduction, mais tous l’utilisent. Kafka disait « lebendig », »vivant ». Le visage de la vie.
Comments 6 commentaires
06/04/2015 at 16:32 Marc
Y a-t-il beaucoup de médecins qui sont capables de retourner à l’hôpital ou à leur clientèle et de s’y concentrer (cad sans autres mandats) après un certain nombre d’années de vie politique. je serais curieux d’avoir des chiffres et des exemples. Ces deux mondes m’apparaissent si différents. En tout cas, une question qui méritait d’être posée.
06/04/2015 at 19:45 Alain
Je souhaite sincèrement à Geneviève Fioraso de vaincre sa maladie et à son suppléant de veiller sur sa santé, où qu’il se pose.
Elle n’aura pas, je le regrette, laissé dans l’enseignement supérieur un excellent souvenir aux Martiniquais. A l’heure où l’Etat exige des universités métropolitaines qu’elles se regroupent pour peser à l’international, c’est la politique inverse qui vient d’être conduite à feu l’UAG (université des Antilles-Guyane) contre toute logique. Christiane Taubira a obtenu l’année dernière l’indépendance de la composante guyanaise de l’établissement, aujourd’hui réduite à une entité croupionne sans avenir solitaire dans la Caraïbe, et a fortiori dans le monde. Non contente de cela, madame Fioraso s’est alors mise à la remorque de Victorin Lurel résolu à offrir aux deux entités de la nouvelle université des Antilles – Guadeloupe et Martinique – un statut qui permette à la Guadeloupe une autonomie de fait, en désolidarisant l’élection des vice-présidents de celle du président, contrairement à ce qui se fait en métropole. En d’autres termes, en moins d’un an, on aura réussi le tour de force d’atomiser les trois pôles géographique de l’UAG, cela bien sûr pour leur permettre de mieux faire rayonner l’enseignement supérieur français dans la Caraïbe et au-delà. Conscients de la bêtise du projet de loi, le sénat s’est sagement opposé à cette situation mais madame Fioraso a veillé, au nom du gouvernement, à ce que l’amendement du palais du Luxembourg soit rejeté à l’assemblée nationale. On en est là. Attendons le retour du texte au palais Bourbon, sans excès d’optimiste, et réjouissons-nous que, forte de cette tragique victoire, Christiane Taubira puisse prendre en 2016 la tête de la nouvelle collectivité territoriale unique de Guyane, et Victorin Lurel conserver sa région en décembre prochain. L’intérêt général général, encore une fois, ne l’aura pas emporté dans ce pays sur les intérêt généraux particuliers.
06/04/2015 at 22:30 claude waret
Le reour à la vraie vie,avec des vrais gens !
07/04/2015 at 08:18 Eric L
ce serait intéressant d’avoir un reportage sur le retour professionnel ou non des députés après leur mandat. Après plusieurs mandats, combien retrouvent une vie vraiment normale ? est ce qu’il y a des différences entre gauche et droite ? Beau travail pour un journaliste curieux et ayant envie de faire de faire un vrai travail d’investigation.
07/04/2015 at 12:19 Alain
Mon message ci-dessus, corrigé…
Je souhaite sincèrement à Geneviève Fioraso de vaincre sa maladie et à son suppléant de veiller sur sa santé, où qu’il se pose.
Elle n’aura pas, je le regrette, laissé dans l’enseignement supérieur un excellent souvenir aux Martiniquais. A l’heure où l’Etat exige des universités métropolitaines qu’elles se regroupent pour peser à l’international, c’est la politique inverse qui vient d’être imposée à feu l’UAG (université des Antilles-Guyane), contre toute logique. Christiane Taubira a obtenu l’année dernière en sous-main l’indépendance de la composante guyanaise de l’établissement, aujourd’hui réduite à une entité croupionne sans avenir, solitaire dans la Caraïbe et a fortiori dans le monde. Non contente de cela, madame Fioraso s’est alors mise à la remorque de Victorin Lurel, résolu à « offrir » aux deux entités constitutives de la nouvelle université des Antilles – Guadeloupe et Martinique – un statut qui assure surtout à la Guadeloupe une autonomie de fait, en désolidarisant l’élection des vice-présidents de celle du président, contrairement à la situation antérieure, heureusement toujours de mise en métropole. En d’autres termes, en moins d’un an, on aura réussi le tour de force d’atomiser les trois pôles géographiques de l’UAG, cela bien sûr pour leur permettre de mieux faire rayonner l’enseignement supérieur français dans la Caraïbe et au-delà. Conscients de la bêtise de cette dangereuse incongruité, le sénat l’a sagement retirée du projet de loi mais madame Fioraso a veillé, au nom du gouvernement, à ce que l’amendement du palais du Luxembourg soit rejeté à l’assemblée nationale. On en est là. Attendons le retour du texte au palais Bourbon, sans excès d’optimisme, et réjouissons-nous que, forte de cette tragique victoire, Christiane Taubira puisse prendre en 2016 la tête de la nouvelle collectivité territoriale unique de Guyane, après que le député Victorin Lurel aura pu lui-même conserver la présidence de sa région en décembre prochain. L’intérêt général général, encore une fois, ne l’aura pas emporté dans ce pays sur les intérêt généraux particuliers.
16/04/2015 at 17:36 Olivier Veran (via Michele)
Chère Michèle,
Je prends le temps de te répondre, depuis ce bureau hospitalier que je n’ai jamais vraiment réussi à personnaliser (j’hésite d’ailleurs encore à me lancer), aux murs si typiques recouverts de fibre de verre, au sol lino, loin des moquettes épaisses des salons du parlement.
La politique ne rend pas fou. En revanche, vécue passionnément, elle peut griser. Non pas les ors de la République. Plutôt les rencontres que la fonction provoque, celles du quotidien, dans nos permanences parlementaires (où l’on mesure le rôle social de l’élu), auprès des associations, ou au gré des évènements festifs et culturels qui émaillent la vie des cités. J’ai apprécié en particulier d’aller à la rencontre des entreprises qui innovent, qui créent, qui portent en elles l’espoir d’une croissance retrouvée.
Si la politique grise, c’est bien sûr aussi qu’elle confère une forme de pouvoir. Le pouvoir de faire. Lorsqu’on accède à l’hémicycle, c’est chargé d’expériences personnelles et professionnelles, sûr des nécessaires réformes qui feront progresser. Regarde, le combat formidable que tu mènes contre le tabagisme, toi, la cancérologue de métier, de passion, de vie. Est-ce à dire pour autant qu’on peut à loisir changer réellement les choses ? Un peu sans doute, mais pas assez, et pas assez vite. En définitive, j’ai parfois ressenti une forme de conservatisme, non dans le sens politicien du terme, mais en raison des difficultés pour l’administration de se remettre en question une fois qu’elle a pris une décision. Et en définitive, je te rejoins lorsque tu estimes que la liberté conférée par l’exercice médical, l’autonomie que la profession a su conserver en dépit de l’avènement des recommandations de bonnes pratiques, des contentieux assurance maladie, et autres agences d’évaluation et de contrôle, demeure au delà de tout ce que j’ai connu.
Tu parles ensuite de respect. L’une et l’autre fonction le provoquent le plus souvent. Cette relation est-elle plus spontanée, plus sincère, plus durable lorsqu’on porte la blouse blanche plutôt que l’écharpe tricolore? Trop tôt pour le dire. Ce n’est pas tant dans le rapport direct avec les gens qu’on ressent la crise de confiance envers le politique. C’est plus insidieux, au travers d’emails reçus, petites phrases perçues, ou encore du déchainement qui suit chaque annonce de ce qui pourrait relever d’un scandale touchant un élu. Parfois, les blessures personnelles peuvent être réelles, profondes, sincères. Comment renouer? J’ai vu des élus qui travaillaient. Beaucoup. J’en ai vu au bord de la rupture. Comme il m’a été donné de voir certains de mes collègues en blouse blanche au bord du burn-out. La pression sociale qui s’exerce, en général, par le biais du travail est devenue trop importante. On peine désormais à différencier le professionnel et l’humain.
Je vais te faire une confidence, qui j’en suis sûr parlera à celle qui s’est tant investie pour nos ainés. J’ai également été très marqué par les 3 années au cours desquelles j’ai exercé le métier d’aide-soignant en EHPAD, lorsque j’étais étudiant. La nuit, lorsqu’il faut, souvent seul, porter assistance à plusieurs dizaines de personnes âgées dont l’autonomie bien souvent défaille. Mon respect pour celles et ceux qui consacrent leur vie professionnelle (et souvent bien plus) aux plus fragiles, pour un salaire qui mériterait tellement d’être revu à la hausse, est total.
Pour finir (on m’attend pour la visite), je réalise la chance qui m’a été donnée par Geneviève Fioraso, qui a pris le risque d’aller chercher quelqu’un d’inexpérimenté en politique, avec le souci constant de la transmission. A l’heure où elle retrouve son siège, c’est pour moi un honneur que d’avoir obtenu sa confiance.
Chère Michèle, je ne crois pas aux adieux (déformation professionnelle), mais je te remercie pour le soutien que tu m’as apporté par tes mots et tes gestes. Je t’embrasse et te dis à très bientôt.