Derrière le Brexit, le risque de réveiller le serpent qui dort
Commentateurs et journalistes se focalisent le plus souvent sur l’impact commercial et financier du Brexit. Il n’ont pas tort, le recul qu’il constitue pour les échanges internationaux et en premier lieu européens, risque d’être du modèle « perdant/perdant » pour toutes les parties. « Perdant » pour la Grande Bretagne qui d’ores et déjà affiche un recul de sa consommation et de son PIB, « perdant » pour les pays de l’Union Européenne et pour ce qui nous concerne, de la France avec laquelle elle entretient des rapports commerciaux dynamiques et bénéfiques aux deux parties. Ainsi, le Royaume-Uni est le premier des pays avec lequel la France enregistre une balance commerciale positive.
Mon sujet n’est pas ici de parler des Britanniques, bienvenus en France et particulièrement dans notre Nouvelle-Aquitaine. Non plus, des Français installés outre-manche. Londres est la sixième ville française et permet à nombre de ceux qui la choisissent de trouver des emplois et des carrières qui leur sont refusés en France. Pour ceux-là aussi, « perdant perdant ».
Le poison venimeux qui risque de bouleverser le Royaume jusque-là Uni est pourtant d’un autre ordre . Ce poison potentiel est celui d’un petit serpent sillonnant -actuellement sans heurt- le tiers nordique de l’Irlande : la frontière entre l’Irlande du nord et celle du sud. Aujourd’hui, sans postes de contrôle, sans frais de douanes, ce serpent endormi permet, dans l’honneur, à tous les Irlandais de se sentir citoyens européens. Qu’ils soient du nord ou du sud, protestants ou catholiques, ils vivent et ils commercent ensemble sans faire rougir leurs ancêtres, lesquels ont versé tant de sang dans cette guerre cruelle qui a enflammé ce pays pendant un siècle.
Cette frontière de 360 km, aujourd’hui bienheureusement invisible, sépare deux provinces de cette terre d’histoire, lesquelles se trouvent constituer aujourd’hui deux pays ; l’un au nord, le plus petit, est partie intégrante du Royaume-Uni. L’autre, au sud, constitue un état indépendant, membre de l’Union Européenne et désireux de le rester.
Depuis 2005, et conformément à l’accord historique dit « du Vendredi saint » en 1998, tout barrage, toute frontière douanière ont disparu tout au long de la frontière. Les villes qui y sont situées ont retrouvé leur dynamisme économique d’antan et de nombreuses usines et communautés agricoles sont implantées de part et d’autre et prospèrent sans heurt.
Problème, on ose dire même drame potentiel, le Brexit risque de faire de ce paisible serpent de 360 km, un animal venimeux, ravivant les haines et les conflits du siècle dernier. Il est en passe en effet de devenir la seule frontière terrestre du Royaume-Uni avec l’Union Européenne, ce qui le condamne à dépendre des accords commerciaux et douaniers entre l’Union et le Royaume-Uni et qui, en l’état, ne lui permettra pas de maintenir une frontière ouverte.
Le Brexit ne divise pas seulement les familles dont rares sont les membres qui ont voté du même côté, mais l’Irlande elle-même. Les Irlandais du sud verraient d’un bon œil que ceux du nord décident de rallier l’Union Européenne, avec la sourde arrière-pensée de retrouver une Irlande unie. Le Royaume-Uni, quant à lui compte bien respecter le vote du Brexit lequel implique le contrôle des frontières, mais n’a pas réuni la majorité des Irlandais du nord…
Rien n’est écrit à ce jour des exigences de chacun et ce silence pèse lourd en arrière-plan des négociations qui s’ouvrent en ce moment entre l’UE et le Royaume, de moins en moins « Uni ». Les cicatrices de la guerre d’indépendance et du conflit nord-irlandais demeurent très vivaces dans de nombreuses familles et chacun redoute la résurgence des « troubles » qui ont coûté la vie à plusieurs milliers d’Irlandais.
Le petit serpent qui sillonne entre les deux Irlandes, endormi par tant d’années d’efforts et après tant de douleurs, est bien capable de retrouver demain son venin. Montesquieu avait raison : comme à la loi, il ne faut toucher à la démocratie -en l’occurrence au réferendum- que d’une main tremblante. David Cameron en a fait la douloureuse expérience.
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