Cafard et démocratie
Ces deux-là ne devraient rien avoir à faire ensemble. Pourtant, revenant à l’instant de la mairie où avait lieu la remise des cartes d’électeurs aux jeunes nouveaux inscrits sur les listes électorales, je ressens l’un et l’autre m’interroge.
Les faits sont modestes. Lors de notre dernière réunion du Conseil Socialiste de Ville, nous avons convenu que dans les réunions de la mairie, nous porterions un badge avec nos noms, notre titre de conseiller municipal et un petit logo du PS (le poing et la rose) sur le côté, nullement aggressif, de la hauteur exacte de l’écriture. Six badges -autant que de conseillers PS- ont été fabriqués par l’assistante du groupe, qu’elle nous a remis. J’ai mis le badge à demeure dans mon gros sac-cartable.
Ce soir, remise de carte aux nouveaux électeurs. Je sortais de l’hôpital, j’arrive à la mairie et je mets mon badge. Je pense en effet qu’il est très souhaitable que les personnes qui s’adressent à nous sachent qui nous sommes. La mairie avait confectionné parallèlement des badges tous uniformes, qui ne permettaient pas de savoir qui était de la majorité, qui de l’opposition.
La remise de cartes se passe normalement. Personne n’avait prêté la moindre attention au badge que Brigitte Nabet (une de mes deux collègues conseillères municipales PS) et moi-même arboraient. A la fin de la remise de carte et du discours d’Alain Juppé, Hugues Martin fond sur moi, m’embrasse d’abord, puis est pris d’une grande colère « tu n’as pas à afficher ton appartenance, c’est une honte, la démocratie est bafouée.. ». J’étais interloquée. J’essaye d’exprimer que j’ai seulement voulu que ceux qui souhaitaient nous parler sachent qui est qui…
Brigitte pendant ce temps n’avait reçu aucune invective et portait tranquillement son badge avec notre mini-logo.
Je reste quelques minutes, car je pensais ne pas m’attarder. Je vois arriver la journaliste de Sud-Ouest, MC Aristegui. Elle venait d’être alertée par Hugues Martin et Alain Juppé et invitée à constater l’ignominie de mon acte.
Elle ne m’avait pas si tôt rejointe, qu’Alain Juppé arrive, furieux, dans un état de colère extrème, m’invectivant à son tour. J’étais tellement sidérée que je peux reproduire exactement ses termes. Il a parlé de prosélytisme, de honte, des tas de grands mots que sa colère rendait insignifiants. Je lui demande seulement « permettez-moi de vous répondre.. « . Il tourne les talons aussitôt sans entendre un mot de ma part.
J’explique à MC Aristegui la décision de notre groupe. Nous étions quatre ce soir, appartenant à l’opposition municipale. Brigitte portait le badge, Jacques les deux badges (celui de la mairie et celui de notre groupe). Daniel portait seulement le badge municipal. Il n’était pas présent à la réunion du Conseil Socialiste, mais il m’a dit que s’il avait été là, il n’aurait pas été d’accord sur le projet de porter un badge distinctif.
J’ai demandé à deux groupes de jeunes gens quel était leur avis. Etait-il choquant qu’une conseillère municipale socialiste veuille qu’on sache qui elle est quand on lui adresse la parole ? Trouvaient ils mon modeste badge, avec ce petit logo, choquant, anti-démocratique, prosélyte ? (Je répète qu’il n’y avait sur le badge que mon nom, mon titre et le petit logo). Aucun n’a trouvé cela choquant. Ils ont au contraire trouvé normal de savoir qui a quelle fonction, qui est dans la majorité et qui ne l’est pas.
J’ajoute que si Alain Juppé, calmement, était venu me parler et me dire « je ne suis pas d’accord avec le fait que vous portiez un badge distinctif. La municipalité est une entité en soi. Je serais heureux que tout le monde porte le même badge », j’aurais expliqué, calmement aussi, mes raisons, et peut-être me serais je rendue aux siennes pour ce soir, convenant d’en reparler plus longuement.
Cet épisode ne devrait pas mériter un billet. Sans la colère d’HM et d’AJ, presque personne ne se serait aperçu de mon badge et surtout, personne n’en aurait été choqué. Les jeunes me parlaient naturellement, avec le simple désir de s’informer. Quant à moi, je sortais de l’hôpital, à vrai dire encore dans le monde des choses essentielles, et j’ai appliqué en arrivant à la mairie une décision de notre groupe que je trouve bonne.
La politique rend bêtes ceux qui ne font que cela. Je le crois profondément. Ce n’est pas une règle générale, mais c’est un danger considérable. Il me semble que l’aggressivité dont j’ai été entourée l’illustre une fois de plus. Et cela me rend incroyablement cafardeuse.
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