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Mon père, Gabriel Delaunay, aurait cent ans aujourd’hui. Peut-on imaginer ce qu’a été la marche du monde dans ces cent ans ? Entre la petite ferme de Vendée, « sans commodités », comme on disait, le marché aux bestiaux où mon père accompagnait son père, l’âtre où l’on se réchauffait, les draps de chanvre pesant des tonnes que l’on lavait dans l’eau glacée du lavoir, et notre vie d’aujourd’hui, on pourrait imaginer des siècles. La pauvreté a changé de visage, le monde de rythme, beaucoup de mots n’ont plus le même sens et beaucoup se sont perdus.

Mon père est l’image du meilleur du XXème siècle : ce que l’on appelle « la méritocratie républicaine ». Un enfant reconnu par son instituteur, poussé par lui à devenir aussi instituteur, puis passant les concours … Tout ce que je voudrais « rendre », ou en tout cas rendre possible, aux enfants « défavorisés » d’aujourd’hui. Il aurait horreur que j’utilise ce terme. Il avait eu une enfance pauvre mais pas « défavorisée ». C’est sans doute obscurément pour cela que je déteste ce mot, finalement très dépréciatif. La pauvreté n’est ni une qualité, ni un défaut, c’est un état, gravement, profondément exigent et, je le crois, indélébile.

Il m’a appris la simplicité, le naturel, l’attention aux autres, la volonté de ne jamais blesser en paraissant supérieur ou paternaliste. Du moins, il était ainsi. Quand on me parle de lui, trente-cinq ans exactement après qu’il a quitté ses fonctions à Bordeaux, j’en suis émue.

Le Conseil municipal m’a empêché d’aller en Vendée aujourd’hui. Il a souhaité, comme les aborigènes, retourner d’où il était venu. Ces quelques lignes, c’est « le bouquet de houx verts et de bruyère en fleurs » que je dépose sur le grès noir de sa tombe.

Je n’aurais pas pu ne pas en parler aujourd’hui.

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