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Et en plus c’est une vraie histoire. Je n’en change que les noms et les lieux, comme il est d’usage.

Un de mes malades vient un jour consulter à l’hôpital. En réalité, au moment où il arrive à l’hôpital, il n’est pas encore un de mes malades, et cette histoire commence donc par un mensonge. Un tout petit mensonge, que quelques minutes suffiront à réparer : dès qu’il passe la porte de la salle de consultation (c’est ainsi que l’on dit dans les hôpitaux), il commence cette étrange carrière, « être un malade » et dans le cas, « mon » malade.

Je veux vous le dire tout de suite, car c’est une histoire de Saint Sylvestre, et je ne veux pas que vous soyez inquiets : cette carrière dure encore, ce qui est une très bonne nouvelle.

On pourrait discuter sur le fait que demeurer un de mes malades soit plutôt une bonne nouvelle. C’est pourtant le cas. Il y a des maladies dont la seule fin assurée est une mauvaise fin. Mieux vaut donc pas de fin qu’une mauvaise fin. Il y a de drôles de paradoxes comme ça dans « mes » maladies. Et par exemple, cette curieuse vérité que je vous garantis absolue : il vaut mieux une mauvaise grippe qu’un bon cancer. C’est comme ça ! Allez y comprendre quelque chose.

Il y a une autre chose très curieuse, plus profonde, plus grave, mais aussi plus belle. « Mes » maladies sont les seules circonstances, dans le monde entier, où que vous alliez chercher, où le temps qui passe soit une bonne chose et même une sorte de bénédiction…

Je reviens à mon malade que nous avons oublié sur le seuil de la salle de consultation et qui ne sait encore rien de tous ces prodiges que je viens de vous livrer.

Homme d’une bonne soixantaine, et pour tout dire plus près de soixante-dix que de soixante ; de ceux qui doivent se dépêcher de se réjouïr d’être des sex-agénaires, parce que ça ne va plus durer très longtemps, et que « septu’  » c’est quand même beaucoup moins prometteur que sex’. Cela par contre je pense que mon malade le sait déjà.

Grand, un peu gros, disons « épais » et très typé. Aux premiers mots, à son bel accent, on reconnait d’où vient ce caractère typé. Mon malade, nous l’appelerons Alberto, est un Argentin qui a quitté il y a bien longtemps Buenos Aires pour nos côtes.

Il arrive avec un dossier, lui aussi, épais, ce qui n’est généralement pas le meilleur signe. Je décortique les feuilles de tous formats et couleurs, j’examine les planches de scanner pendant qu’il raconte. L’épaisseur du dossier n’est pas contredite, le cas n’est pas léger et l’affaire pas dans le sac.

J’examine, j’explique, je propose des choses pas toutes agréables et même pour être honnêtes toutes désagréables. Dire qu’il en est enchanté serait excessif, et il repart avec une « feuille de route » comme dirait Sarkozy, le moral dans les chaussettes, et plus bas encore s’il est possible.

Rendez-vous à trois mois, après exécution de la feuille de route et nouveau bilan.

Si nous étions à un cours de théâtre, je vous mimerais la deuxième entrée de mon malade. Rien à voir. Pourtant la porte de la salle de consultation et la salle de consultation elle-même n’a pas changé, le motif de la consultation n’est pas plus guilleret, mais le malade lui, si.

Il est même radieux, un peu minci, non pas bel hidalgo, mais hidalgo sur le retour en assez bel état. Tout de go, il me dit : « je sais que je vais guérir ».

J’approuve d’un coup de tête extrèmement prudent, que seul un être perfusé de Prozac pourrait considérer comme une approbation.

-« Je sais que je vais guérir. J’ai rencontré le mois dernier une jeune fille que j’ai connu quand j’étais moi même jeune homme. Nous nous sommes retrouvés et aussitôt, je suis redevenu amoureux. Amoureux, comme on l’est à cet âge… »

« Cet âge », c’était celui de sa première rencontre. Je prends en main le dernier scanner sans chercher à aller plus avant sur les sentiments de la jeune fille, qui avait au demeurant son âge de maintenant. J’avoue que j’étais doublement craintive de trouver motif à le dissuader, pas sur la jeune fille, mais sur la première partie de sa phrase.

Eh bien, non, le scanner montrait plutôt des signes encourageants. En tout cas, il n’y avait pas d’aggravation, la maladie était stable, et quand on connait la mauvaise volonté des scanners dans le type de circonstances où j’ai l’habitude de les fréquenter, on peut considérer que c’était une bonne nouvelle. Je l’ai dit plus haut, les bonnes nouvelles se mesurent à des aunes très variées et il faut bien souvent savoir les attendre en même temps que n’en pas attendre tout ce qu’on voudrait.

J’explique tout cela à mon malade, qui n’était déjà plus, dans sa tête, mon malade. Ou du moins très différemment, persuadé qu’il était d’avoir le dernier mot.

Un mot sur la jeune fille : elle habitait en Espagne. Là non plus, l’affaire n’était pas encore dans le sac. Mon Alberto (le sien plutôt) allait devoir faire sa cour, écrire des lettres, faire des déplacements multiples qu’il allait falloir combiner avec mes propres prescriptions. De toutes manières, je comprenais que mes prescriptions passeraient le plus souvent au second plan.

De trois mois en trois mois, de petits pas en petits pas, la jeune fille se rapprocha et la maladie s’éloigna.

A ce jour, la jeune fille est au domicile du jeune homme (elle l’accompagne lors des consultations), et la maladie non décelable même aux yeux des scanners les plus sophistiqués, et Dieu sait qu’on en a trouvé depuis, encore plus récalcitrants et inquisiteurs, capables de plomber le moral d’un régiment d’Albertos.

Je ne vois plus mon malade qu’une fois par an, à l’approche de noël et de la Saint-Sylvestre. Il m’a fait souvenir, quand nous avons espacé le rythme des consultations, que c’est à l’approche de ces dates qu’il était venu me voir la deuxième fois, cette drôle de fois où il avait décidé de n’être plus « mon » malade, mais « son » jeune homme.

Et ça a marché. Finalement, ce Saint Sylvestre, c’est un chic type.

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