De la couleur du i
Un très joli article de « Marianne », non seulement rafraîchit la tête mais vient en concordance point par point avec mes propres convictions, ce qui n’est jamais à dédaigner.
Il s’y agit de la couleur du i. On voit que j’ai habilement usé de la consonnance dans cette modeste phrase, au demeurant grammaticalement parfaite, pour donner corps à la démonstration qui suivra.
Outre le i et ses tonalités discutables, l’auteur entend (faussement) y descendre en flêche l’éternel grand -pour beaucoup le plus grand- et jeune poête qu’est -ou n’est pas- Rimbaud. Le titre du papier en donne d’emblée la couleur, si j’ose dire : « Rimbaud, simple VRP et poète bling-bling ».
De couleur, en effet, il est grandement question et du poème « voyelles », prétendument le plus commenté de la langue française. Mais si, souvenez-vous : celui qui commence par « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu ». Qui a eu le bonheur de n’avoir pas à produire une dissertation à son sujet n’a au moins pas manqué de s’interroger, en formulant dans sa bouche les dites voyelles : ces couleurs sont elles les miennes, celle que j’entends en disant les mots ou les phrases qui sont pleines correspond elle à la vision du jeune Rimbaud ?
Je parlais d’accord politique profond avec l’auteur de l’article : lui, comme moi, n’entend ni ne voit d’aucune façon le i rouge. Cette couleur de fruit gonflé, de sang s’épandant lourdement n’est nullement celle du i, éclatant certes, mais joyeux, incisif, lumineux.
Rimbaud d’ailleurs me rejoint (et se contredit) quand, plus loin il explique la couleur du i par « le rire des lèvres belles ». Le i du rire, certainement, n’est pas rouge, mais jaune !
L’explication de l’auteur de l’article (Laurent Nunez, écrivain, on s’en doute, et d’un livre dont le titre est comme par hasard gorgé de « i » : « les récidivistes ») me parait marquée du coin du bon sens, ce bon sens particulier des poètes, qui est en réalité une bonne oreille. Je vais y revenir.
Mais nous divergeons avec lui aussi sur la couleur du i, qu’il voit, non sans bons arguments, vert. Et le voilà prétendant que si Rimbaud ne s’est pas rangé à ce i-vert, c’est tout simplement parce que son premier vers aurait été détruit dans l’oeuf. « A noir, E blanc, I vert… » . « I vert » évoque irrésistiblement « hiver », et laisse craindre que le jeu de mots n’ait dicté le choix. Jamais poète qui se respecterait n’userait de pareille facilité !
‘ »I jaune », à l’inverse, marche épatamment. Nous, les post-rimbaldiens de province, avons de la chance : il y a plus de couleurs que de voyelles.
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