Freud tombe dans le domaine public
Titre très lacanien, qui pourrait réunir des séminaires d’experts et constituer d’inépuisables sujets de colloques. « Tomber », pourquoi « tomber » ? Entre le conscient et et l’inconscient, où donc est situé le « domaine public » ?
« Tomber » est-il utilisé de la manière presque paradoxale où il l’est dans « tomber amoureux » ou « tomber enceinte » ? Y a-t-il au contraire dans ce « tomber »-là un ressenti, un vécu, un redouté qui l’apparente à la chute camusienne ?
Mieux vaudrait-il dire « monter dans le domaine public » étant donné la proximité du ciel que pré-suppose ce nouvel état, lequel requiert un post mortem de 70 ans tout juste ?
L’affaire n’est pas anodine et encore ce n’est qu’un début. Le champ du vocabulaire comme celui de l’analyse elle-même va se trouver secoué de ce nouvel état de l’oeuvre freudienne par bien d’autres voies…
L’entrée dans le domaine public s’accompagne immanquablement d’une floraison d’éditions et de traductions nouvelles, l’exploitation de l’oeuvre étant désormais libre et gratuite.
En ce qui concerne Freud, rien n’est innocent, on le sait, mais les traductions le sont moins encore que rien..
Le problème en effet c’est que le traduire est déjà une option prise sur toute la doctrine psychanalytique. Quand il écrit, anticipant Magritte, « ceci est une pipe », ce n’est pas d’une pipe qu’il s’agit, ni même de l’acte de fumer, pas davantage d »un désir contraint par le sur-moi.
Un mot, enfin deux, sont particulièrement au coeur de l’infini dilemme de la traduction freudienne : la peur et l’angoisse.
Tout le monde sait que « Qui a peur de Virginia Woolf » est en réalité un anxieux et que cette anxiété est elle-même creusée par une peur originelle. Tout le monde (du moins les germanophones que sont les traducteurs) qu’en allemand les petits enfants « haben Angst vor dem Hund » quand, de l’autre côté du Rhin, nos enfants à nous, en ont peur.
Des dizaines de nouvelles traductions, cela signifie des dizaines de manières de jouer des rapports incestueux entre « peur » et « angoisse ».
Voilà qui n’est pas prêt de nous en délivrer.
Répondre