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Prévenir ET guérir le cancer : plus l’autre sans l’un

La journée mondiale contre le cancer a été l’occasion de confirmer deux notions majeures en matière de cancer : la nécessité absolue de prévenir, les progrès des traitements mais aussi leur coût. C’est d’ailleurs le plus grand mérite de ces « journées » (globalement trop nombreuses) de remettre de grands sujets dans l’actualité.

Le traitement du cancer est aujourd’hui à un moment clef : de nouveaux médicaments, fondés sur des mécanismes radicalement nouveaux apparaissent ou sont en cours d’applications cliniques. Il s’agit des thérapeutiques ciblées sur les anomalies génétiques de la tumeur, ce qui suppose un « séquençage » de cette tumeur, c’est-à-dire l’analyse de son génome.

Cette première étape demande des laboratoires particuliers, reconnus pour cette activité, comme c’est le cas heureusement à Bordeaux, à l’Institut Bergonié et au CHU, l’un et l’autre se partageant suivant le type de tumeurs, les crédits afférents à cette voie nouvelle de recherche.

Vient ensuite l’utilisation de la molécule ciblée, souvent administrée par voie orale. Chacune a des effets thérapeutiques mais aussi des effets secondaires spécifiques : si elle peut quelquefois être administrée à domicile, voire au travail, elle doit être suivie par des médecins qui connaissent parfaitement les uns et les autres de ses effets.

Tout cela correspond à un coût énorme et la question est très simplement celle-ci : si cette voie de recherche confirme son bénéfice -ce qui paraît bien engagé- comment assumerons-nous ce coût ?

D’autres types de molécules permettent de vraies révolutions. La leucémie myéloïde qui était constamment mortelle est aujourd’hui constamment curable. Les leucémies aigües dont la guérison s’arrêtait quand le patient avait atteint la deuxième moitié de la vie, connaît aujourd’hui de nouvelles approches qui font espérer que ces patients eux aussi pourront être guéris.

Parallèlement des technologies d’explorations et de traitement (en particulier dans le domaine de la radiothérapie se font jour. Je pourrais multiplier les exemples porteurs d’espoir, nous sommes réellement à un tournant et nous devons être en capacité de le prendre dans le peloton de tête des pays médicalement avancés.

Quand je faisais mes études de médecine, on s’enorgueillisait de guérir un cancer sur trois. Ce sont aujourd’hui un cancer sur deux qui sont guéris et pour beaucoup d’autres l’espérance de vie s’est considérablement allongée, faisant même classer ces cancers dans les « maladies chroniques » ce qui était il y a 20 ans impensable : ces cancers tuaient dans les cinq ans.

Dans 10 à 20 ans, ce seront deux cancers sur trois qui seront guéris. L’espérance de vie aura continué de s’allonger, les traitements seront mieux compatibles avec une vie active. Si, si… SI nous nous donnons les moyens d’en assumer le coût de ces progrès et de demeurer en pointe dans la recherche.

A cela, il y a une réponse : nous en aurons les moyens si nous faisons -et si nous acceptons- des avancées radicales en matière de prévention, seule à pouvoir dégager suffisamment d’économies pour que nous n’ayons plus à nous interroger sur la prise en charge d’une technique ou d’une molécule innovante.

L’exemple choix est la sortie du tabac, qualifiée d’ « urgence planétaire » : premier cancérogène quelle que soit la forme sous laquelle il est consommé, tueur d’un fumeur sur deux, dévastateur de budgets publics, ce produit à lui seul est comptable en France de trois fois le déficit de la sécurité sociale (47 milliards). Sans lui, d’ores et déjà, nous n’aurions plus à chercher comment « rogner » ici ou là pour assurer le financement et l’accès de tous les malades à une molécule innovante qui multiplie les chances de guérison.

Le tabac n’est pas seul en cause, mais il est le premier en cause. Quand il compte pour 40 dans l’apparition de cancers, l’alcool compte pour 20, le soleil pour 10, de même que l’obésité et plus généralement l’alimentation, l’environnement (pesticides compris) pour 1. Et curieusement, ce leader mondial de la cancérogenèse et de la mort évitable est -en théorie au moins- le plus facile à supprimer. Il ne correspond à aucun besoin nutritionnel, ne rapporte plus qu’à des multinationales frôlant (et quelquefois au-delà) l’illégalité. Ceux qui en assurent la vente n’en dépendent pas pour leur vie car il est possible de faire évoluer leur profession (je pense aux buralistes chez nous).

Le tabac n’est pas chez moi une marotte, une manière de faire du buzz, ma démarche va bien au delà des partis politiques et des postures, elle est j’ose le dire une question de conscience et d’expérience que partagent d’ailleurs l’ensemble des médecins, des chercheurs , fondamentalistes comme épidémiologistes, et des soignants.

En visite avec @marisolTouraine à l’Institut Bergonié de Bordeaux, l’évidence m’est une fois encore apparue que, lors que l’opinion publique aurait pris conscience, elle finirait de se retourner et exiger que nous agissions. Nous ne parviendrons pas sans cela. Déringardisons ensemble la lutte anti-tabac : en matière de santé, elle est la condition de l’avenir.

 

 

La Revue du Praticien – Janvier 2015 – Edito : « Tabagisme : merci Mme Delaunay ! »

Edito de M. Jean DELEUZE, Rédacteur en Chef de la Revue du Praticien, Janvier 2015

Tabagisme : merci Mme Delaunay !

L’encre de notre éditorial de novembre, dans lequel nous nous félicitions du plan contre le tabagisme de la ministre de la Santé, était à peine sèche que déjà le mois suivant un premier recul intervenait : l’abandon de l’augmentation du prix des cigarettes au 1er janvier 2015.1 Pour comprendre comment a été adopté un amendement si contraire à l’intérêt général, il faut lire le compte-rendu des échanges surréalistes qui ont eu lieu à cette occasion à l’Assemblée.

Dans ce débat, qui peut se lire comme une mauvaise pièce de théâtre, 4 acteurs principaux interviennent : le ministre du Budget, Christian Eckert, la rapporteuse de la commission des Finances, Valérie Rabault, et les députés Razzy Hammadi et Michèle Delaunay, tous socialistes. Le ministre, qui veut geler la fiscalité du tabac, ne cache pas qu’il s’agit « d’une mesure attendue par les buralistes ». Son argumentation est simple : la contrebande frontalière augmente avec les prix – ce qui a entraîné la perte en 2014 de 170 millions d’euros de taxes et de 200 millions en 2015 – si l’augmentation a lieu… La rapporteuse, Valérie Rabault, ne se laisse pas impressionner : la commission des Finances est hostile à l’amendement car, en l’absence d’augmentation, il en résultera surtout « un manque à gagner pour l’État de 316 millions d’euros ». Elle harcèle le ministre qui botte en touche et justifie laborieusement sa position par la nécessité de construire un système fiscal appliqué au tabac plus transparent que l’actuel. Illustrant le proverbe « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage », il démolit le système actuel par une explication digne du père Ubu, ponctuée de « …voilà ce que j’ai à peu près compris [du système actuel]. C’est extrêmement compliqué ». À ce dialogue de sourds, se superposent les échanges Hammadi/Delaunay.

Le premier, soutien du ministre et qui avait déposé avant, avec 40 autres députés de tous horizons, un amendement visiblement inspiré par le cigarettier Philip Morris pour bloquer la fiscalité du tabac, se défend tout d’abord avec un raisonnement hallucinant : il est normal qu’il se fasse l’écho des buralistes sur ce sujet puisque, pour traiter de sujets liés à la consommation ou à l’environnement, il est en contact avec les associations de défense correspondantes ! (Que le sujet du tabac n’intéresse pas que les buralistes ne l’effleure pas) : « Aussi quand j’entends parler, à l’extérieur de l’hémicycle, de parlementaires sous influence alors que nous ne faisons que défendre nos convictions – je trouve cela proprement inacceptable ! » Le député ira jusqu’à douter de l’effet de l’augmentation des prix sur la consommation et hasardera que cela revient moins cher de prendre un vol low cost aller-retour pour acheter du tabac à l’étranger que de le faire en traversant la rue en France…En face de lui, courageuse Michèle Delaunay qui n’a pas oublié son métier de cancérologue : « Je suis le jouet d’un groupe de pression : celui des malades que j’ai soignés pendant 45 ans! » Inlassablement, elle va revenir dans la discussion pour pointer la mauvaise foi et les contradictions de ses interlocuteurs et faire ses propres propositions, toutes rejetées. Elle a été l’honneur des politiques dans ce débat. Quant à l’opposition, si on a bien compris, elle dormait,mais alors très profondément…

« Apprendre le Français dès l’école maternelle »

C’est une des annonces de François Hollande  lors de sa conférence de presse du 5 février. En réalité, l’annonce tient dans le fait de le souligner et d’en faire clairement un objectif : depuis qu’elle existe, l’école maternelle a pour objet l’apprentissage des savoirs fondamentaux dont la langue maternelle fait partie en tout premier lieu et la socialisation. C’est un remarquable outil d’équité sociale et tous les efforts doivent être faits pour la soutenir et la généraliser.

L’apprentissage de la langue est le premier outil de tous les apprentissages. Il est à l’âge maternel grandement facilité par l’incroyable capacité d’acquisition des jeunes cerveaux et l’on sait que dans des couples mixtes, l’acquisition de 2 voire 3 langues peut être de type maternel.

L’inspectrice générale Alice Delaunay, ma mère, avait lancé dans les années 70 la bilinguisme dès l’école maternelle avec le plein soutien du linguiste Claude Hagège. Ce fut un succès mais malheureusement les crédits ne suivirent pas pour « transformer l’essai » et développer à l’école primaire les acquisitions déjà faites. L’Europe aurait bien fait de s’emparer de ce projet qui eût grandement contribué au sentiment de citoyenneté européenne.

L’annonce du Président prend un sens particulier quand on sait qu’un très grand nombre d’enfants parlent aujourd’hui une autre langue que le français à la maison. Le plus souvent, un des dialectes arabes, quelquefois la langue turque, le tamazight, le romani… Ou bien sûr une des grandes langues européennes.

C’est donc renouer avec cette notion que les premières années sont favorables à l’apprentissage précoce des langues, et ce peut être deux langues, dont l’une doit être le français si l’on veut donner toutes leurs chances à des enfants qui vivent en France et dans leur grande majorité sont français.

La langue -ou plutôt sa mauvaise connaissance- est le premier facteur de ségrégation sociale et professionnelle. Chanter, réciter, jouer en français, c’est apprendre le français. J’ai été très surprise d’entendre ce matin le sociologue de l’éducation François Dubet s’étonner de l’annonce du Président « on n’apprend pas le français à deux ans ! » . Mais si, bien sûr et même avant ! Les premières phrases d’un enfant qui commence à parler sont souvent plus complètes et plus complexes qu’on ne l’imagine. Les enfants ne les comprennent d’ailleurs pas toujours dans leur complexité mais la langue a pour autant fait son chemin et elles s’éclaireront d’elles mêmes.

Demander aux institutrices maternelles de s’assurer de cet apprentissage précoce n’est nullement une non reconnaissance de ce qu’elles font déjà mais au contraire une manière d’en souligner le caractère fondamental. Telle Shiva, j’applaudis de toutes mes mains. Accompagnons ces institutrices en parlant aux enfants dans un français riche et correct.

 

« Tabagisme : merci Mme Delaunay! » : l’édito du mois de janvier de La Revue du Praticien

Tabagisme: merci Mme Delaunay !

Par Dr Jean Deleuze – La revue du praticien

 

L’encre de notre éditorial de novembre, dans lequel nous nous félicitions du plan contre le tabagisme de la ministre de la Santé, était à peine sèche que déjà le mois suivant un premier recul intervenait: l’abandon de l’augmentation du prix des cigarettes au 1er janvier 2015. Pour comprendre comment a été adopté un amendement si contraire à l’intérêt général, il faut lire le compte-rendu des échanges surréalistes qui ont eu lieu à cette occasion à l’Assemblée.

Dans ce débat, qui peut se lire comme une mauvaise pièce de théâtre, 4 acteurs principaux interviennent : le ministre du Budget, Christian Eckert, la rapporteuse de la commission des Finances, Valérie Rabault, et les députés Razzy Hammadi et Michèle Delaunay, tous socialistes. Le ministre, qui veut geler la fiscalité du tabac, ne cache pas qu’il s’agit « d’une mesure attendue par les buralistes». Son argumentation est simple : la contrebande frontalière augmente avec les prix – ce qui a entraîné la perte en 2014 de 170 millions d’euros de taxes et de 200 millions en 2015 – si l’augmentation a lieu… La rapporteuse, Valérie Rabault, ne se laisse pas impressionner : la commission des Finances est hostile à l’amendement car, en l’absence d’augmentation, il en résultera surtout « un manque à gagner pour l’État de 316 millions d’euros ». Elle harcèle le ministre qui botte en touche et justifie laborieusement sa position par la nécessité de construire un système fiscal appliqué au tabac plus transparent que l’actuel. Illustrant le proverbe « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage », il démolit le système actuel par une explication digne du père Ubu, ponctuée de « …voilà ce que j’ai à peu près compris [du système actuel]. C’est extrêmement compliqué ». À ce dialogue de sourds, se superposent les échanges Hammadi/Delaunay.

Le premier, soutien du ministre et qui avait déposé avant, avec 40 autres députés de tous horizons, un amendement visiblement inspiré par le cigarettier Philip Morris pour bloquer la fiscalité du tabac, se défend tout d’abord avec un raisonnement hallucinant : il est normal qu’il se fasse l’écho des buralistes sur ce sujet puisque, pour traiter de sujets liés à la consommation ou à l’environnement, il est en contact avec les associations de défense correspondantes ! (Que le sujet du tabac n’intéresse pas que les buralistes ne l’effleure pas) : « Aussi quand j’entends parler, à l’extérieur de l’hémicycle, de parlementaires sous influence alors que nous ne faisons que défendre nos convictions – je trouve cela proprement inacceptable ! » Le député ira jusqu’à douter de l’effet de l’augmentation des prix sur la consommation et hasardera que cela revient moins cher de prendre un vol low cost aller-retour pour acheter du tabac à l’étranger que de le faire en traversant la rue en France…En face de lui, courageuse Michèle Delaunay qui n’a pas oublié son métier de cancérologue : « Je suis le jouet d’un groupe de pression : celui des malades que j’ai soignés pendant 45 ans! » Inlassablement, elle va revenir dans la discussion pour pointer la mauvaise foi et les contradictions de ses interlocuteurs et faire ses propres propositions, toutes rejetées. Elle a été l’honneur des politiques dans ce débat. Quant à l’opposition, si on a bien compris, elle dormait,mais alors très profondément…•

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