Le Monde, 31.05.2013 Par Agnès Buzyn (Présidente de l’Institut national du cancer (INCA))
Tabac : nous devons agir contre cette bombe à retardement sanitaire
Malgré la récente annonce d’une tendance à la baisse des ventes de tabac en France, la triste spécificité de notre pays en matière de tabagisme en fait l’un des plus mauvais élèves parmi les pays occidentaux. En effet, la France connaît ces dernières années une augmentation inquiétante du tabagisme chez les jeunes, les femmes et les personnes en situation de précarité.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 30 % des jeunes de 17 ans sont des fumeurs quotidiens et seront donc particulièrement dépendants au tabac à l’âge adulte ; le nombre de décès des femmes par cancer du poumon va dépasser celui du cancer du sein ; et plus d’un chômeur sur deux fume au détriment de son espérance de vie, creusant ainsi les inégalités.
Les rapports parlementaires ou de la Cour des comptes soulignent notre manque de cohérence et de stratégie globale en matière de lutte contre le tabagisme. Nous n’avons pas tenu nos engagements internationaux d’atteindre moins de 20 % de fumeurs. Il n’y a pourtant aucune fatalité liée au tabagisme. Rappelons à l’occasion de cette nouvelle journée mondiale sans tabac, que les Etats-Unis, grand pays producteur de tabac, sont passés sous la barre symbolique des 20 %, les Anglais en sont proches à 21 % et les Australiens, qui ont récemment instauré les paquets neutres, sont à 16 %.
Pour satisfaire à l’obligation de proposer une mutuelle santé à ses salariés avant le 1 janvier 2016, il est important de bien comprendre les éléments de tarification d’une couverture santé…
Ce constat doit nous faire réfléchir et agir. Rappelons que fumer est le plus important facteur de risque de décès prématuré lié au comportement humain, puisqu’un fumeur sur deux mourra du tabac et que chaque année, le tabac tue plus de 70 000 de nos concitoyens (Epidémiologie du tabac, La revue du praticien, vol. 62, mars 2012). Outre les maladies cardiovasculaires, le tabac augmente le risque de survenue de très nombreux cancers (poumon, ORL, œsophage, estomac, vessie, rein, pancréas, col de l’utérus…). Et malheureusement, on ne note que peu de progrès significatifs du traitement des cancers liés au tabac qui restent les plus difficiles à soigner. La récente crise sanitaire autour de la contraception orale a par ailleurs insuffisamment mis en avant le sur-risque majeur de thrombose que fait courir le tabac aux femmes sous pilule.
AIDER MÉDICALEMENT LES FUMEURS
Mais, culpabiliser les fumeurs n’est pas l’objectif. Le tabac est une drogue et le tabagisme doit donc être traité comme tel : les fumeurs doivent être aidés médicalement par un accompagnement au sevrage, la prévention doit s’adresser prioritairement aux jeunes, principale cible de l’industrie du tabac.
Dernier point et pas le moindre, la vente de tabac ne devrait théoriquement bénéficier à personne… Or c’est là que le bât blesse. La France a été pendant longtemps un pays d’industrie du tabac, pouvant expliquer la prudence politique dans l’éradication de ce fléau. Mais elle ne l’est plus. Il est maintenant urgent que le tabac soit considéré avant tout comme un problème de santé publique et non plus comme un enjeu sociétal (défense des libertés individuelles) ou comme un enjeu économique (taxes et contrebande).
Le premier plan cancer 2003-2007 avait fait de la diminution du tabagisme un objectif majeur. Des mesures législatives, fiscales et éducatives ont alors permis une augmentation du prix du tabac et l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Elles ont abouti à des résultats manifestes laissant croire que la consommation de tabac était sur une pente descendante quasi naturelle. Le deuxième plan cancer qui a suivi a, de ce fait, peu investi cet axe pourtant majeur de la prévention des cancers. Ce fut une erreur : la prévalence est de nouveau en augmentation depuis 2010 et la France compte aujourd’hui près de 32 % de fumeurs.
PRÉVENTION
Une politique volontariste est plus que jamais de nouveau nécessaire.
A l’heure où se construit le troisième plan cancer, le pilotage de cette lutte doit revenir au ministère en charge de la santé avec un investissement marqué dans une politique de prévention. Celle-ci devrait se décliner par des actions spécifiques envers les jeunes à l’école, avant l’initiation. Les médecins traitants ont un rôle primordial de sensibilisation de leurs patients et les actes de prévention en médecine générale doivent être mieux valorisés. Il est également essentiel que l’aide au sevrage tabagique soit mieux remboursée. Mais surtout, les lois doivent être pleinement appliquées, en particulier celle de 2009 promulguant l’interdiction de la vente aux mineurs.
Selon une étude financée par l’Institut national du cancer, 62 % des buralistes ne respectent pas cette loi et 38 % reconnaissent vendre des paquets de cigarettes à des enfants de 12 ans. La France est l’un des rares pays à avoir une profession dédiée à la vente de tabac, initialement pour mieux la réguler. Mais quelle profession souhaiterait voir ses revenus baisser ? Il est temps de reconnaître cette difficulté légitime qui contrecarre toute volonté politique. Quelle reconversion possible ? Quelle diversification pour les buralistes ? Si nous n’affrontons pas cette réalité française, nous risquons de voir le troisième plan cancer être mis de nouveau en échec. Une concertation, guidée par des objectifs sanitaires de baisse de la consommation, doit donc s’ouvrir avec les buralistes.
Priorité à la prévention, protection de la jeunesse, hausse drastique des prix, paquets neutres, respect des lois, et réorganisation de la vente du tabac : nous devons repenser en profondeur notre système de lutte contre le tabagisme face à cette bombe à retardement sanitaire. La médecine est à court d’arguments, le temps est à la volonté politique.
Le Monde, 31.05.2013 Par Agnès Buzyn (Présidente de l’Institut national du cancer (INCA))