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Les janissaires et les tireurs de Saint Georges

Le « modèle allemand » qui est devenu dans notre univers médiatique une sorte d’entité référentielle, une marque de savoir-faire dans l’Europe en crise, le modèle allemand donc, s’interroge.

Au premier regard, c’est plutôt une bonne nouvelle. Le voilà devenu plus humain, plus imparfait et susceptible de doute. Le deuxième regard pourtant ne va pas sans amener lui-même quelques interrogations.

L’affaire est a priori plutôt sympathique. L’Allemagne est riche de sociétés, d’associations à composante folklorique et traditionnelle, qui lorsqu’elles défilent ou animent une fête font la joie du touriste d’un jour. Parmi elles, les « associations de   tireurs » (« Schützenvereine »), largement répandues outre-rhin.  Les tireurs en question sont bien de simples amis du tir, totalement pacifiques et qui n’ont d’autres visées qu’une cible à cercles concentriques ou un aigle en bois.

Les associations locales promeuvent chaque année au titre de « roi » le meilleur tireur du territoire dont le couronnement est l’occasion de fêtes débonnaires et chaleureuses.

Dans la petite ville de Werl sise en Westphalie, le roi de l’année de la « fraternité de tireurs Saint–Georges » s’appelle Mithat Gedik. Son titre a été acquis à la loyale, n’éveillant ni contestation, ni réserve dans la fraternité. Tout au contraire, le prêtre catholique de la petite cité (et président de la fraternité) en a fait l’objet de son prêche dominical, donnant le nouveau roi en exemple de l’intégration à la germanique, pendant outre-rhinois de l’intégration à la française et dont on va  voir qu’elle subit elle aussi quelques anicroches.

Le roi Mithat est en effet Turc. Jusque là, tout va bien, les Turcs sont au nombre de 3 à 4 millions en Allemagne où ils vivent globalement en bonne intelligence avec la population indigène. Comme la majorité de ses congénères Mithat est Turc ET musulman. Son épouse, pour autant,  est catholique et ses quatre enfants élevés dans la même foi que leur mère.

Comme il convient, en Allemagne plus qu’ailleurs la nouvelle souveraineté du tireur a été transmise en temps utile et sous pli à la fédération nationale dont font partie les tireurs de St Georges,

Et là patatras. L’article 2 des statuts de cette fédération multi-séculaire prévoit que ses membres et a fortiori ses rois,  en référence à son saint patron Georges, puissent défiler sous sa bannière et derrière le crucifix. En un mot qu’ils se revendiquent de la foi catholique, ou pour le moins chrétienne.

Un musulman peut-il donc être déclaré roi, fût-ce d’une petite association locale ?

La question a été posée au conseil fédéral qui en a longuement délibéré.  Ouvert aux changements du monde, il n’a pas radicalement répondu « non », mais ouvert trois possibilités pour la solution de ce cas difficile :

Le conseil fédéral de l’association, très conciliant a émis trois hypothèses :

– que l’association locale se retire de la fédération

– que le nouveau roi abdique et devienne alors « roi citoyen ». On appréciera au passage que cette fédération se soit pour cela inspiré du tiers Etat qui avait poliment suggéré à Louis XVI d’échanger sa couronne de roi de France, contre celle, plus citoyenne, de roi des Français.

-que le nouveau roi abjure sa religion pour se déclarer chrétien

La troisième possibilité était de trop. Tout époux d’une catholique qu’il fût, le roi turc apprécia peu le choix qui lui était offert et le rejeta avec des remarques peu amènes sur l’intégration à la germanique, qui décidément n’était qu’un mot et ne résistait pas à la promotion sociale qu’est par exemple l’accès au titre de roi.

Les médias se sont emparés de l’affaire, et d’articles en articles, l’opinion allemande délibère à son tour. L’horizon n’est pas noir au demeurant et tout porte à croire que le roi le demeure sans autre procédure.

L’histoire n’est pas pour autant dépourvue d’arrière-plan. Lors du concile de Constantinople, les évêques réunis en conclave délibéraient depuis de nombreux jours de la différence entre « Saint Esprit » et « Esprit Saint ». L’affaire durait sans que conciliation soit obtenue quand les janissaires forcèrent les portes et firent tomber toutes les têtes.

 

 

 

 

Il faut aimer la politique (IV)

Anne Frank, cachée dans son grenier, disait « je ne me console pas en pensant qu’il y en a de plus malheureux mais en pensant qu’en ce moment d’autres se promènent au soleil main dans la main »

La citation n’est pas exacte, seule l’idée l’est  et, à peu près à son age, lisant son « journal », cela m’avait paru une  leçon remarquable.

La politique n’est pas toujours aimable, elle est régulièrement et à l’excès qualifiée de « dure », si on allait voir du côté de ses plus beaux moments ?

Lors de ma première participation à l’Université d’été du PS (2002, 2003 ?..) les médias bruissaient d’une seule question « Jospin y apparaitra-t-il ? » Nul autre sujet n’affleurait et des multiples ateliers de ces Universités, pas un mot.

C’était ma première Université, j’avais fait le choix d’être studieuse. Juste arrivée à la politique et sur la pointe des pids,  j’avais beaucoup à apprendre sur beaucoup de sujets. Logement, travail, système de retraite, sécurité sociale, prise en charge du grand âge, mon choix était plutôt basique c’est à dire centré sur les fondamentaux de notre fonctionnement politique.

Les ateliers étaient inégaux, nul n’était sans intérêt pour la néophyte assumée que j’étais. Le dernier, où j’allais assez innocemment, concernait le grand âge et la récente loi instituant l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). La Ministre Paulette Guinchard qui avait porté cette loi menait cet atelier. Paulette a mon âge, un accent du Doubs qui rend sa parole inimitable et une manière franche et directe de parler qui ouvre tout de suite le cœur et les oreilles.

La question de l’APA, le pourquoi, le comment, est très technique : Paulette expliquait précisément et pourtant de manière inspirée et charnelle. Elle mettait jusque dans les taux du ticket modérateur une réalité que l’on pouvait croire vécue tant elle y était visiblement investie. Le public faisait plus que participer : il partageait.

Paulette n’a pas changé. Elle est aujourd’hui Présidente de la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie, poste qu’elle a accepté à ma demande alors qu’elle avait décidé de se retirer de l’action publique. Elle sait à la fois parler du déambulateur de sa mère et du regain d’activité qu’il lui a permis et élever le débat sur la nécessite d’une société qui ne s’occuperait pas en priorité du plus fort et du plus rapide mais de celui qui fait l’expérience de la vulnérabilité.

L’âge, et bientôt le grand âge, constituent l’expérience la plus universelle de cette vulnérabilité. Paulette l’a vécue au travers de son ministère, puis au travers de la maladie qui l’a décidée à renoncer aux mandats électifs. Mais à l’évidence, en l’écoutant pour la première fois parler à la Rochelle, elle n’avait pas eu besoin de cette expérience que je qualifierais de charnelle, pour la connaître intrinsèquement.

Paulette incarnait le sujet qu’elle portait. Elle n’a été Ministre des personnes âgés un peu plus d’un an (2001) et pourtant elle demeure la Ministre de référence et a été consacrée comme la plus marquante des titulaires de ce portefeuille par un sondage réalisé par une revue de professionnels.

Paulette est incontestable. Elus de droite, de gauche ou du milieu, tous en conservent la marque et m’en ont donné témoignage. Le milieu professionnel, 10 ans après l’APA, fait référence à elle et sa venue à la CNSA a été considérée par les professionnels comme « le plus beau cadeau qu’on pouvait faire à cette institution ». La formule ne s’invente pas. Peu de politiques sans doute ont eu le privilège  d’être considérés comme un cadeau.

Paulette n’est pas seule de cette espèce de « belles personnes ». Dans le champ politique comme hors de lui, mais pourtant je ne m’essaierais pas à dresser une liste. Une suffit : il faut assurément aimer la politique.

Libre et loyale

Et voilà, je me suis trouvée le 9 avril 2014 (jour du remaniement) comme un enfant auquel on a tapé sur les doigts et qui ne sait pas pourquoi. Si le maître d’école était nul, si on ne le comptait pas parmi ceux qui justement comptent pour soi, on s’en tirerait avec quelques grimaces aux copains de la classe, une caricature que l’on ferait circuler de table en table, et il n’en resterait rien.

Mais justement le maître compte et c’est pourquoi j’ai d’abord parlé de lui. Il appartient à un groupe dont je ne voudrais rien de faible ou d’inutile, rien plus encore que je ne puisse comprendre. Il est le chef de notre équipe.

Ces 4 mois depuis le remaniement m’ont amené à une question qui n’est pas légère : peut-on être libre et loyale ? Cette question, beaucoup sous une forme ou sous une autre se la posent au Parlement. L’axe majeur de la politique d’effort de ce Gouvernement comme du précédent n’est pas aisé à faire partager : là, je n’ai pourtant aucun doute. Payer chaque semaine en intérêts de notre dette publique une somme supérieure à celle dont j’ai disposé pour élaborer la loi dite « d’adaptation de la société au vieillissement » est inacceptable, va obligatoirement dans le mur et conduit à la paralysie de toute politique sociale (pour mémoire, les intérêts de la dette nous coutent 825 millions par semaine, la loi vieillissement dispose de 645 millions et avec cette somme, améliorera concrètement la vie des Français !)

Le gouvernement Schröder en Allemagne est passé par cette étape d’efforts, bien souvent incompris et qui ont coûté le pouvoir au parti social-démocrate. Aujourd’hui, cette même Allemagne met 6 milliards d’euros sur la table pour assumer le coût de la grande perte d’autonomie.

Pour autant, outre l’axe politique qui est le nôtre (emploi, emploi, emploi..), beaucoup s’interrogent sur telle ou telle mesure, désapprouvent telle nomination, réfutent telle décision et réclament son contraire. La question s’ouvre alors : peut-on en tous points être libre et loyale.

La réponse est non : pas en tous points. Il faut alors s’en tenir aux points principaux et ne déroger en rien sur ce que l’on croit important, où l’on pense avoir vraiment quelque chose à dire (exemple, me concernant : la politique anti-tabac) mais ne pas systématiquement prendre la parole sur tout, au risque de fragiliser l’essentiel de la politique du Gouvernement. Non par intérêt, mais par loyauté, la vraie : si nous ne réussissons pas, si nous ne donnons pas à ce Gouvernement le maximum de chances de réussir, c’est tous les Français qui échoueront. Simplement dit, je ne vois pas aujourd’hui d’alternative, et celle(s) que l’on évoque me font peur ou me rappellent l’échec majeur du quinquennat précédent.

Libre donc et loyale, c’est possible à condition de préserver un espace de quant à soi dont, au demeurant, le pays et l’Histoire se passeront sans difficulté.

La situation singulière d’une petite dizaine d’entre nous (les Ministres non reconduits) pourrait faire partie de ce quant à soi. Pourtant je l’en extraie, non en tant que telle mais parce que cette exception culturelle française qu’est le remaniement mérite qu’on l’examine du sous l’angle du parti pris donné à ce blog-feuilleton : contribue-t-il à faire aimer la politique et ceux qui la pratiquent ?

Il faut aimer la politique (II)

Dès le lendemain de la mise en ligne du billet, numéroté « I » par une sorte de superstition destinée à lui donner une descendance, un petit papier du Figaro m’amène tout droit à l’épisode II.

« Spleen à répétition » diagnostique « le Fig ». Je ne le vis pas ainsi. C’est bien une blessure, bientôt une cicatrice, qui n’empêche ni bonne humeur, ni énergie positive, ni projets plus nombreux que n’est vaste le temps pour les réaliser. Et la question demeure « quelle politique que l’on puisse aimer et faire aimer ? »

Je me souviens d’une conversation, relativement longue, avec François Hollande, alors récent candidat à la Primaire pré-présidentielle. C’était dans son petit bureau de député, au 4ème étage du 3AB, nom de code du bâtiment de l’Assemblée sis 3 rue Aristide Briand. J’avais évoqué avec lui (déjà !) la nécessité de s’adresser aux âgés et de ne pas faire de la jeunesse sa priorité exclusive. Sa réponse était –et demeure-  « En parlant des jeunes, on parle aussi à leurs parents et grands parents qui n’ont plus grand désir (ou plus grande inquiétude) que leur avenir ».

Les 15 millions de retraités français ont besoin aussi qu’on leur parle d’eux-mêmes, mais ce n’est pas ce qui m’occupe ici. La conversation a évolué et je lui ai exprimé mon admiration de sa manière affable, attentive, souriante, lumineuse, avec laquelle il allait vers les autres. Sans aucun doute ce naturel, cette générosité de soi qui paraît sans calcul, font aimer la politique. Pour moi, il m’ont aussi fait aimer François Hollande.

Ce naturel avenant, il l’a traduit dans son admirable discours du Bourget par l’expression « J’aime les gens ». J’en ai fait le fil rouge de la campagne électorale pour les primaires puis pour les présidentielles : pas un de mes interlocuteurs, dans des dizaines et des dizaines de séances de porte à porte, qui n’ait eu droit à un petit sketch sur la personnalité et le sourire du candidat, ne laissant aucun doute sur son soucis des Français et des plus modestes d’entre eux.  J’étais sincère, joyeuse moi même, j’ai toujours été entendue avec confiance. Je n’irai pas jusqu’à affirmer que cela a joué dans le très beau résultat de mon candidat à Bordeaux (59%, le plus beau score des villes de droite), mais pour autant j’espère que cela n’y a pas été pour rien.

J’aime la politique quand elle portée comme une lampe de mineur, capable d’éclairer tous les tunnels. Quand elle est joyeuse, chaleureuse, nette, quand elle n’a pas honte d’avoir quelque chose de physique, de proche, de communicatif. Je pense là à Christiane Taubira qui aime toucher, prendre la main, tenir aux épaules. C’est un reproche que l’on m’a fait au début de ma vie politique et c’est vrai, j’allais vers les gens en médecin, peut-être trop puisqu’on me l’a reproché comme porteur d’ambiguïté.

Hollande pouvait-il lui même demeurer tel qu’il fût candidat dans le carcan qu’on lui a imposé dès le début de sa Présidence ?  Disait-il un mot amical sous forme de plaisanterie, on rappelait qu’il avait été « Monsieur petite blague ». Prenait-on de lui une photo souriante, une meute de basheurs s’abattait sur son ignorance de la situation du pays. Pour ma part je crois que le sourire n’exclut ni la dignité, ni le respect et qu’il exprime d’abord la deuxième des valeurs de la République, celle dont nous manquons le plus : la fraternité.

 

Il faut aimer la politique (I)

Ce sont les mots clefs du discours de Jean Pierre Bel dans le jardin du Sénat le 23 juillet 2014. Jean Pierre Bel a choisi de quitter la vie politique au faîte d’une carrière inattendue (être le premier Président de gauche de la haute assemblée) et ce soir là, il s’est confié. Un peu : ce n’est pas dans sa nature. Il a tracé les étapes de sa vie, vie d’homme et vie politique, de son enfance de gamin pauvre dans la banlieue de Toulouse, jusqu’à cette Présidence du Sénat qui nous a réjoui le cœur en 2011.

J’ai dit  que cette carrière était inattendue parce qu’elle n’était pas préméditée, réfléchie, calculée. Tout fut engagement et spontanéité, du choix de l’Ariège pour établir sa base électorale dans le petit village de Milanès, du compagnonnage avec François Hollande et jusqu’à l’élection au Sénat, puis à la présidence du groupe socialiste de cette noble Assemblée.

La suite s’arrêtait là, ce beau soir, où Jean Pierre Bel disait « au revoir », sereinement et semble-t-il assez joyeusement, dans le but de retrouver son Ariège et une vie plus libre. La morale de ces années passées dans la politique, vécue comme le service des autres, fut donc celle là : il faut aimer la politique.

Cela paraît simple et quasi-insignifiant. Aimer la politique parait en effet nécessaire si l’on veut lui consacrer le temps qu’elle exige. Tout montrait au contraire, à l’écoute d’un récit où les difficultés n’avaient pas manqué mais n’avaient apparemment laissé ni amertume, ni cicatrice, que ce fut un apprentissage, puis une conviction et enfin une vérité, presque une consigne, qu’il convenait de transmettre.

La phrase dut marquer François Hollande car il la reprit deux fois dans son allocution. Elle me marqua plus encore : j’ai aimé la politique dans le court temps où j’y ai vécu, où je m’y suis consacrée, pleinement à partir du moment où j’ai été élue députée, totalement dans celui où j’ai été Ministre.

Maintenant encore ? C’est peu dire que ma non-reconduction lors du remaniement d’avril 2014 a été une blessure, blessure sans doute inguérissable si ce n’est par l’écriture, si du moins cette écriture va quelque part.

Hollande a fait ensuite le tour de l’assistance, saluant l’un, bavardant avec l’autre, apparemment amène et désireux d’être agréable à tous. Venant à moi, après un mot ou deux de sa pare, je lui ai dit que j’avais été marquée par cette phrase qu’il avait reprise et soulignée. Sa réponse a été seulement de la répéter de nouveau accompagnée de quelque chose comme « en effet ». Avant qu’il passe au suivant, je me suis risquée à ajouter.

-«Où nous en sommes, il faut surtout la faire aimer »

Sans doute, a-t-il à peine entendu et il continué son chemin. L’assistance était nombreuse et il n’avait pas l’intention d’entamer conversation.

C’est cette petite phrase en tout cas et sa déclinaison « il faut faire aimer la politique » qui me permet d’écrire, une page ou cent,  je ne sais pas.

Hemingway ne disait-il pas « il suffit d’écrire la plus petite phrase vraie et toutes les autres viendront ».

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel