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Bordeaux : le saccage de la rive droite

J’aime les titres courts : c’est du saccage de la lisière de la rive droite, celle qui a le privilège historique de faire face à l’alignement ordonné, défiant le temps, de la rive gauche de la Garonne dont il est question.

En face de cette pure merveille, une suite de bâtiments médiocres et disparates, n’exprimant ni l’art de vivre, ni l’ambition d’un siècle, tellement insuffisant qu’on n’ose même esquisser l’idée d’un dialogue entre les deux rives, entre la gloire portuaire d’hier et ce qui pourrait être l’ambition métropolitaine de notre ville, pourtant bénie des dieux.

La géographie exceptionnelle de Bordeaux, à la frontière entre fleuve et domaine maritime, baignée d’un climat amical, bienséant à sa tradition de modération, méritait un projet d’autre envergure.

Le dénonçant un jour en conseil municipal, j’ai causé l’énervement du Maire qui m’a traitée de BCBG. Et pourquoi pas ? Bon chic, bonne gauche, pourquoi ne pas s’en réclamer pour sa ville ?

On ne prononce à Bordeaux cette critique qu’à mi-voix et pourtant chacun la porte comme un regret, quelquefois -c’est mon cas- comme une blessure. Tant de villes ont fait de l’architecture contemporaine un de leurs atouts. Notre voisine Bilbao, la lointaine Sydney ont donné au plus modeste de leurs habitants un accent de fierté que nous aimerions à notre tour porter.

Oui, notre ville est belle de son passé. Ravalé, rhabillé de lumières et d’éclairages bien choisis, il nous fait toujours frissonner. Mais le XXIème siècle naissant, où est-il ? Devons-nous renoncer à créer et à inventer pour les temps à venir ?

Je ne regarde jamais les rives de Bastide I sans tristesse, ne me consolant pas du fait que ces habitations sont précaires et qu’un siècle, pas même deux, les laissera sans possibilité de ravalement ni d’éclairage, les laissant pour ce qu’elles sont, avec le poids des ans en plus : médiocres.

C’est pour la ville de demain que j’ai le plus envie de batailler, d’arpenter, de convaincre. Une ville capitale qui attire bien au delà des touristes d’un jour.

Hollande

Plusieurs billets* de ce blog portent ce titre. Hollande est aujourd’hui Président de la République, notre Président, et garder ce même titre n’est pas marque de familiarité, mais de constance, ce qui en politique est synonyme de confiance.

Je viens de réécouter les voeux de Président, « bashés » comme il se doit par la poignée de journalistes addicts du genre (qui critiquant le cadrage, qui d’autre le regard, qui encore tout le reste..) et j’y trouve ce que la première écoute m’a donnée. L’impression d’une force dans la tempête.

Déterminé,  à l’évidence au service de rien d’autre que de le République (cela fût-il toujours le cas en des temps antérieurs ?) ,  Hollande a parlé non selon ses communicants comme on l’a dit, mais selon sa conviction. C’est pour moi essentiel.

La première j’ai regretté qu’en ce jour où tant sont dans la solitude, il n’ait pas davantage (c’est à dire de manière plus immédiate, plus évidente) parlé au coeur de chacun. « La France, c’est chacun de vous, chaque jour, la France nous en sommes, les uns et les autres, à égalité, les artisans, les emblèmes, les porteurs, et chaque pas que nous faisons en avant, c’est en son nom que nous le faisons.. »

La première, j’ai regretté, je regrette bien souvent, qu’il n’ose plus user de son admirable sourire, naturel, amical, simple. Pas une fois dans ces voeux. Peut-être basheurs et critiqueurs de tout poils, communicants et experts, ont ils fini par en dessécher la spontanéité.

Un mot de gentil petit docteur. Hollande ne s’est autorisé aucune pause pour « reconstituer la force de travail ». Il revenait pour ces voeux d’Arabie séoudite, nous serons demain autour de lui pour un premier Conseil des Ministres de 2014. J’admire sa force de travail mais je la redoute aussi, la travail est en effet une force mais la tension dont il est entouré  la transforme en risque.

« L’amitié est présente, elle est même nécessaire. Mais ici, toute familiarité est exclue ». Ce sont quelques mots de ceux, admirables en tous points, que François Hollande, Président de quelques jours, avait prononcé en nous accueillant lors de notre premier Conseil.du printemps 2012.

Toute familiarité est exclue de ce billet. L’amitié demeure, plus que jamais dans la tourmente d’un pays tourmenté.

*parmi d’autres, 27 avril 2007, 17 oct 2011, 22 janv 2012..

Voeux

Qu’est-ce donc que les voeux sinon une raison de croire ou de vouloir croire, en tout cas quelque chose de positif, qui s’élance, qui va vers le haut, comme une brique que l’on lancerait par la fenêtre mais qui ne retomberait pas, qui ferait le choix de s’envoler et de défier calculs et rationalité ?

J’adore les voeux, pour cela mais aussi parce qu’ils sont l’occasion d’envoyer quelques lignes à qui on n’a pas de raison objective d’écrire, comme un signe de la main, un mouchoir que l’on déploie pour rappeler qu’on est là.

J’adore les voeux parce qu’ils esquissent le monde qu’on voudrait et même l’effort que l’on fait dans son coin pour être un atome de ce monde-là. La question n’est pas d’être meilleur que les autres mais, un jour au moins et peut-être les suivants, d’être meilleur que soi-même.

Il y a dans les voeux un je ne sais quoi de magique et, comme ils n’arrivent qu’un jour par an, cette magie-là, on s’autorise d’y accéder. J’allais écrire « d’y succomber », mais non, à la magie on ne succombe pas, on y accède comme à quelque chose de plus haut que soi, de plus léger. De la même manière, on ne devrait jamais dire « tomber amoureux » mais « monter amoureux ». Le langage quelquefois parle bien mal.

Les voeux ce ne sont que des belles choses, concentrées, ramassées, indicibles dans leur multiplicité. Ce qu’on aurait aimé dire ou faire dans l’année d’avant, ce qu’on espère pouvoir dans celle d’après, ce qu’on aimerait trouver sur son chemin ou semer sur celui des autres.

Des voeux, juste des voeux, sans explicitation aucune, juste là pour être remplis de tout l’or et toute la lumière du monde, aussi loin, aussi haut que chacun de nous peut concevoir.

Soir de fête

Ma pensée va à ceux qui sont exclus des cercles d’amitié, de convivialité, de famille et qui se sentent, en des soirs comme celui-là, comme échoués sur une rive désormais déserte, abandonnés d’un monde qui pour une raison ou une autre parmi tant de possibles, n’est plus le leur.

Ma pensée va à ces grands âgés oubliés où tout simplement isolés parce qu’ils sont les derniers d’un groupe, d’une famille, d’un cercle d’amis. Cette vieille dame de 106 ans qui me disait en Bretagne: « Je n’ai plus qu’une lointaine cousine, mais je n’ai plus de nouvelles, finalement, elle est peut-être morte… ». Ma pensée va à ces autres dont l’équipe soignante me disait il y a quelques jours: « Il n’y a plus de famille pour leur acheter des vêtements ou de la lingerie ». C’est moi qui dit « lingerie ». Dans les maisons de retraite, comme dans les hôpitaux, on dit « du linge ».

Ma pensée va à ces exclus, à ces « en retrait » que le monde n’atteint plus que par vaguelettes, quelque chose dont on perçoit à peine la rumeur ou une sensation faible et lointaine, comme endormie, comme ensevelie.

Ma pensée va à tout ceux qu’il m’a été donné d’accompagner dans cette fonction de « Ministre des personnes âgées » qui parait les résumer au très grand âge alors qu’ils en sont souvent plus loin que Mozart ou Schubert de la fin de leur vie. Ma pensée va à ceux pour qui Noël est comme pour moi, à cet instant, le bruit de la pluie sur l’écran noir de la nuit la plus longue.

 

La mort

« La mort, cette aventure horrible et sale ». Cette toute petite phrase des Carnets de Camus, je l’ai rencontrée incidemment dans le jardin d’un hôtel en Irlande. Sans doute y étais-je préparée, il y a depuis peu de jours où je n’y pense et où je la répète intérieurement.

La mort, que j’ai choisie de mettre toute nue en titre de ce billet, la mort est de moins en moins parlée, prononcée et peut-être pensée. Absente des faire-part de deuil, des lettres de condoléances, des pages entières de journaux où de longues colonnes de petits encadrés qui ressemblent à des tombes de dimension proportionnelle à l’importance du défunt, relatent « décès » et « disparitions », nulle mort, rien de cette brutalité de l’aventure horrible et sale qu’anticipait Camus.

Plus qu’une autre sans doute (encore que, même de cela, quelle certitude ?), par mon métier, ma spécialité, aujourd’hui mon Ministère, j’ai été familière du mot et de la chose. Aussitôt écrite cette phrase d’ailleurs, j’ai envie de corriger « moins qu’une autre sans doute, j’en ai été éloignée ».

Chaque Toussaint, comme tant d’entre nous, j’ai avec elle un rendez-vous particulier. Hier sur une route drue de pluie en direction de la Vendée, à Bordeaux, j’avais en tête une autre phrase  d’Hugo à sa fille Adèle: « Vois-tu, je sais que tu m’attends… »

La crémation le dispute aujourd’hui à l’inhumation. Un très beau papier du « Monde » s’interroge sur le(s) sens de ce brutal virage d’une tradition multi-séculaire à une pratique qui demeure peu coutumière des villages mais majoritaire dans les villes. Volonté  de manifester plus brutalement l’irrémédiable de la mort, désir secret de la soustraire plus vite au regard, au souvenir, de n’être plus engagé à un rendez-vous, un lieu pour ce rendez-vous, une tradition, presque un rite ?

Il pleut dans mon jardin. Pluie d’automne, pas encore froide, déjà triste. Dans la nature, tout est rite. Les roses trémières ne sont pas disparues qu’on en sème les graines généreuses. Le bois des arbres morts donne à la maison une chaleur crépitante et vive qui prépare longtemps à l’avance la fête très païenne de Noël.

J’avais envie de partager cet instant.

 

 

 

 

 

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