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La couleur de l’âge

La couleur de l’âge n’est pas le noir, tout au contraire. Le noir, c’est le deuil, le soir ou la nuit. L’âge et surtout le grand âge, c’est la vie, la vie qu’on a défendue, pour laquelle on se bat, qu’on met au-dessus de toutes les contingences.

La couleur de l’âge et même du grand âge, c’est le rouge. Et Emmanuelle Riva  ne l’a pas choisie par hasard, même si ce n’est pas obligatoirement dans cette intention. Hier, pour recevoir son « César », elle portait le rouge comme une toge.

Couleur de victoire jamais aussi méritée. Couleur d’éclat et de volonté. Quelque part dans « Out of Africa », Karen Blixen fait porter un toast à son héroïne accueillie pour la première dans un club sélect réservé aux hommes au moment même où elle doit quitter l’Afrique. Elle lève son verre et lance ces mots :

– A la robe de pourpre !

Pour mes « Elders », ces grands âgés qui ont fait le XXe siècle et ne baissent  aucunement la rame pour le XXIe, c’est cette couleur, ce toast-là que j’ai toujours envie de porter.

 

Back to the black

Back to the black of the night and the privacy of my flat.. Trois mots en anglais par contagion avec un chanteur country sur France inter qui m’accompagne dans ce moment de transition entre le rôle joué le jour et la solitude de la nuit.

Dans mon appartement d’étudiante (très) améliorée, une grande table toute blanche, dessus une radio, des pots à crayons, des sacs prêts à repartir, mes deux ordis, un set de table pour le petit déjeuner demain. Pas loin, des vestes sur le dossier des chaises, prêtes elles aussi pour le lendemain, un tas de courriers et de cartes de voeux pas encore traités. A côté, un meuble, blanc aussi, tout lisse, tout brillant et surtout toujours vide depuis huit jours qu’il est arrivé. Une atmosphère de passage, une odeur d’éphémère, pas totalement désagréable mais un peu étrange au regard de « la vie des autres ».

L’écriture est le fil rouge de ma vie. Très ténu, souvent, trop souvent absent, mais dont je retrouve toujours quelque trace dans les interstices de l’agitation des jours. L’écriture qui donne le sens, qui trouve la solution parce que, sans crier gare, elle pose les problèmes qu’on avait recalés dans un coin et qui s’invitent sur la table, blanche ou pas blanche, à n’importe quelle heure et de préférence la nuit. L’écriture en miettes  quand, du fond de la voiture, ou entre deux rendez-vous, je risque un tweet qui ramasse dans une forme littéraire nouvelle, ramassée comme un précepte latin, un instant, une question, une bribe de conversation ou une image.

Nougaro chantait (je crois) « sur l’écran noir de mes nuits blanches ». J’écris, un mot, dix ou cent, sur l’écran blanc de mes nuits noires. Quelle qu’en soit la couleur, l’important c’est ce petit morceau d’espace qui a la forme de l’écran, de la page ou de la pause qui, comme en musique, donne le sens de toute la partition.

 

Mais nous rendons-nous compte ?

Mais nous rendons-nous compte contre quoi nous nous battons ? La décadence de l’Europe, économique, industrielle, et bien au-delà. La décadence de l’Europe, c’est-à-dire la nôtre.

A l’extérieur, contre le terrorisme. Ce mot à plusieurs faces où se rejoignent toutes les formes d’intégrisme et de violence. Ce mot qui littéralement nous terrorise et qui, avec l’argent de la drogue, le fanatisme religieux et politique, brûle et détruit chaque parcelle de territoire où il s’implante.

Et j’entends parler ici d’élections, là de rancoeurs, ailleurs encore de petites manoeuvres pour de microscopiques pouvoirs. J’écoute les clameurs de petites haines de quartier, les déchaînements infimes de twitter, les pulsions vengeresses de tribuns de bars.

Il n’y a qu’un mot, qu’un objet : solidariser notre pays, donner envie de le porter, de faire effort, de dépasser le bout de son nez, toujours en avance je sais, mais justement, pourquoi pas ?

Je sais aussi : c’est ringard. Je sais aussi : ce sont peut-être les jeunes ringards, les nouveaux âgés de ma génération, qui vont trouver les mots, l’élan, le courage, pour dire.

 

 

 

On achève bien les chevaux

Trop cher à nourrir vivant, pas assez à vendre mort, le cheval finit sa course aujourd’hui dans nos assiettes. Assez piteusement, c’est à dire sous un faux nom.

La Fontaine lui-même n’aurait pas imaginé que pour être moins mal vendu, le cheval, animal élégant et aristocratique, aurait à se faire passer pour le boeuf. La grenouille, à la rigueur, mais le cheval !

Les aristos britanniques eux-mêmes, victimes de la crise, les dirigent en rangs serrés vers l’abattoir. En Irlande, pays du cheval noble et libre, ils étaient 2000 hier à faire chaque année le chemin qui mène des vertes prairies aux couloirs gris des abattoirs, ils ont été l’année passée 25000.

Plus dramatique encore, la destinée du cheval roumain. Combien d’images nous ont montré les charrettes trainées par ces nobles serviteurs sur les chemins précaires de ce pays malmené par l’histoire autant que par lui-même. Des paysannes en fichu suivaient l’attelage et l’on devinait que l’âge de l’animal était en proportion de celle de la charrette. Malgré tout, le tableau d’ensemble avait quelque chose de bucolique et d’intemporel.

La charrette devenue trop encombrante sur les routes et source d’accidents vient d’y être interdite. Les nobles animaux qui en assuraient le trait les ont empruntées une dernière fois, destination viande.

Et le cours de ladite viande, maigre et roborative, a chuté plus bas encore que son étiage ordinaire. Une aubaine pour les traders de viande dont l’existence ne nous était pas connue jusqu’alors. Mis en charpie, les muscles longs, élégants et forts, des chevaux ont farci lasagnes, raviolis et autres moussakas, arborant comme une grâce le nom de l’animal qui leur est le plus opposé. Pesant, peu rapide, fort certes mais n’invitant ni à monte, ni à courre : le boeuf.

Paul Valéry disait à sa fille qui avait utilisé à des fins ménagères les droits d’un de ses poèmes les plus faneux: « Vous avez transformé « La Jeune Parque »en foie de veau ». La cupidité des marchands a fait de Pégase une farce indigeste et honteuse.

 

 

 

 

Les vieux doivent-ils se dépêcher de mourir ?

Un Ministre japonais, ancien Premier Ministre, a invité lors d’une intervention publique les « vieux » à se dépêcher de mourir, vu qu’ils n’étaient plus utiles et coûtaient cher. Âme compatissante, il a d’ailleurs ajouté qu’il avait pris des dispositions pour lui-même.

Au pays du seputu et du harakiri , l’invitation relayée par la presse, a malgré tout ému et le Ministre a dû s’excuser. Rappelons que le Japon est le pays où l’on devient le plus vieux, ce qui n’est apparemment pas un motif de réjouissance partagé par tous.

Sommes-nous si loin de cette interrogation ? Des propos récents de Jacques Attali vont dans le même sens. Une enquête vient d’être lancée sur twitter où l’on doit répondre « oui » ou « non » mais où l’on peut aussi s’exprimer sans voter. Lors de ma dernière visite au site, la réponse « oui » l’emportait. Précisons que la question ne précise pas si l’on donne cet avis pour les autres ou pour soi même, non plus que le délai d’exécution de la sentence.

Cette interrogation qui entre dans le champ de mon Ministère ne m’est pas indifférente. La perspective, l’approche et l’inquiétude de la mort constituent même le fil rouge de cette période de plus en plus longue de l’avancée en âge. Ce n’est pas un scoop, la conscience de sa finitude étant « le propre de l’homme », comme  le rire ou le langage.

Pour autant, je crois qu’il faut l’examiner tout au contraire et pour ma part je pense que la bonne question est: « Qu’y pouvons-nous ? ». C’est aussi le propre de l’homme de combattre la loi de la nature qui fait que l’on vit et que l’on meurt, que l’on souffre en accouchant… Juste en passant, le fait que l’on se marie ou non, non plus qu’avec qui, n’entre nullement dans cette loi de la nature, évoquée en ce moment en boucle à l’Assemblée.

Pour ce qui est de la mort elle-même, nous n’avons d’autre pouvoir que de l’anticiper ou de la combattre. Pour ma part et pour les »vieux », présents et futurs, qui émargent à mon Ministère, je choisis la seconde option et je propose de remplacer la question par: « Que faire pour vivre jusqu’au bout en demeurant présent au monde, utiles fût-ce par cette seule présence à mes proches et en coûtant le moins possible à la société ? »

C’est tout l’objet de ma mission de démontrer que cette question n’est pas sans objet, que nous pouvons quelque chose nous-mêmes à notre vieillissement jusqu’au moment ultime, que la dépendance n’est pas dans l’immense majorité des cas inéluctable, que nous pouvons anticiper, adapter, aménager, faire évoluer nos conditions de vie pour en améliorer à la fois le confort et en diminuer le coût social.  En un mot et une formule, le Général de Gaulle disait que la vieillesse est un naufrage : à notre Ministère de fournir les rames et le canot.

Car enfin ceux qui entrent dans le champ de l’âge, sont ces baby-boomers qui ont fait la révolution de 68 et ont pris le monde à pleins bras. La révolution de l’âge est d’un autre ordre, mais ils ne sont pas sans moyens pour la saisir de même façon. Les âgés de demain ne doivent pas se dépêcher à mourir mais à tout faire pour vivre en dignité et en liberté.

 

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel