A vous de juger… Eh bien, justement !
Ségolène Royal (antenne 2, ce soir) pour la première fois libérée des contraintes de l’apparence, ou plutôt de l’excès d’apparence, et de celui de l’exercice oratoire, parlant plus naturellement que dans ses précédentes prestations télévisées, maîtrisant parfaitement les dossiers, ne se laisssant pas dérouter du message qu’elle veut donner tout en répondant aux questions posées.
Les lecteurs de ce blog savent quelle méfiance, et quelle antipathie fondamentale, j’ai de la télévision. Ici, j’ai trouvé l’émission d’Arlette Chabot équilibrée, suffisamment incisive, suffisamment respectueuse, et donnant à chacun à la fois le temps de la question et celui de la réponse. Rien à voir avec la terreur précipitée et agressive des questionneurs de l’émission de TF1.
Tous les grands chapitres ont été abordés. Rapidement par définition, fortement grâce au travail de Ségolène. Je n’ai pas crainte à dire cela : le travail est une garantie de compétence. Ségolène Royal a appris a faire passer son message, les pièces fortes de son programme, sans dévier de sa route. Ce n’est pas aisé. Bravo !
Ceux qui ont suivi mes campagnes précédentes, ou seulement la suite de ces billets depuis maintenant 9 mois, ne seront pas étonnés de me voir réjouie de l’entendre proclamer que le travail est une valeur de gauche*, et sa dépréciation l’effet du précariat et de l’irrespect au sens le plus large de ce terme, ou encore de l’entendre parler de la prévention à la fois comme la première mesure de santé publique et comme une condition de pouvoir financer les soins.
Je m’éxerce une nouvelle fois au difficile exercice du commentaire instantané. Je suis heureuse que cette émission ne se soit pas perdue en vain commentaires sur la manière de réagir à François Bayrou, ou à l’attitude de tel ou tel. Chapeau aussi à Arlette Chabot d’avoir donné un bon exemple d’émission de service public. Plus resserrée sur l’essentiel, sans négliger les questions qui fâchent, comme le livre non encore publié d’Eric Besson. Le seul commentaire de Ségolène : il faut se placer dans l’intérêt général, et en ce qui la concerne, l’intérêt de la France. Que chacun dans son engagement, au niveau de son périmètre d’action, se situe ainsi sans fléchir.
- cf billet du 5 février 07
Education, jeunes et allocation d’autonomie
Soixant mille jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans aucune qualification. A Bordeaux 30% des jeunes sans emploi ; 40,7 % des entrants dans le RMI qui ont moins de 29 ans ; parmi les RMIstes, 56% qui ont le bac ou plus… Tant de chiffres inquiétants que nous avons examiné hier lors de notre forum « Education jeunesse » à l’Athénée municipal.
Ce thême constitue une des priorités du « pacte présidentiel » ; 25% des propositions touchent plus ou moins directement la jeunesse avec de très belle propositions, comme la carte santé jeunes, l’aide à la création d’entreprises, le prêt de 10 000 euros à taux zéro…
Les débats d’hier ont consacré une large part à l’allocation d’autonomie et d’entrée dans la vie active, allocation personnalisée, accordée aux jeunes pour les accompagner dans leur projet d’études ou d’installation.
Le principe de cette allocation est double : revoir le système actuel, à la fois obsolète et inégalitaire ; parier sur la responsabilité du jeune et son autonomie relativement à l’aide (ou l’absence de toute aide) parentale.
Le système actuel comprend deux volets : les bourses au mérite et la défiscalisation des enfants à charge.
Les bourses ont été mises en place à une période où il y avait en France 300 000 étudiants. Ils sont maintenant 2,3 millions ; c’est un système très sélectif, qui ne permet par exemple pratiquement pas le redoublement. Ce système est aujourd’hui trop restricitif.
La défiscalisation des enfants à charge est extrèmement inégalitaire : elle ne profite qu’aux familles soumises à l’impôt et elle est d’autant plus avantageuse que les parents payent un impôt -et donc ont des revenus- importants. Les familles non soumises à l’impôt, c’est à dire les moins riches, ne reçoivent aucun crédit d’impôt et donc aucune aide.
L’idée de l’allocation d’autonomie est donc de remplacer les aides existantes par une allocation versée directement au jeune, en échange d’un projet de professionnalisation, régulièrement suivi. Ce dernier point est important et correspond à l’esprit général du pacte présidentiel : pas de droit sans un devoir. Le devoir ici est l’engagement de suivre et d’être suivi dans son projet.
Le débat d’hier n’a pas éludé une difficulté : les modalités de prise en compte , ou de non prise en compte, des revenus des parents. Comme le nom de l’allocation l’indique, l’idée est que le jeune soit autonome, indépendant de ses parents et gère lui même son budget. Mais on ne peut balayer un point : le projet professionnel du fils de Bernard Arnaud n’a pas à être soutenu par l’impôt des aide-soignantes de mon service. Les modalités d’analyse de la contribution réelle des parents méritent précision.
Cette allocation d’autonomie remet un peu d’égalité sociale dans la volonté de réussite. Un jeune qui doit travailler chaque soir ou chaque week end pour financer ses études n’est pas à égalité avec celui qui est totalement défrayé par sa famille.
Sur ce point la discussion a été vive et intéressante. Les « jobs d’été » et tous les contacts qu’un jeune peut avoir avec le monde professionnel sont favorables. Pour ma part, je pense qu’il n’y a pas meilleur enseignement que savoir ce que représentent quatre heures de smic quand on bosse sur un toit ou à une caisse d’Auchan. Mais ce contact professionnel ne doit pas pénaliser la conduite des études.
Bien d’autres questions ont été posées hier, et nous nous sommes tous accordés sur la nécessité, autour de nous, avec tous ceux que nous approchons, de garder à la campagne électorale le niveau qui doit être le sien. La France va choisir son avenir aux prochains scrutins : gardons le débat au niveau des enjeux.
La politique est elle un sport d’hiver ?
L’écrivain Leon Tolstoï, O combien prolixe, O combien écrivain, avouait que dès que venait la saison des moissons, il était irrésistiblement attiré par les champs et le travail avec ses paysans. On a des photos de lui, jusqu’à un âge avancé, charriant les gerbes au milieu d’un grand concours de moujiks, comme les propriétaires russes savaient alors en avoir.
Sa table de travail était désertée. Excusez du peu, le frais soleil de ce matin, vif et prometteur comme un fruit vert, a fait de moi dès le lever une adepte du grand Tolstoï. Ne manquaient que les hectares, les blés, les paysans courbés, et deux ou trois autres détails, comme d’avoir laissé le manuscrit d’Anna Karénine sur mon bureau… Mais l’ardeur était la même. J’ai roulé les pots de crassula, taillé, coupé, redressé, nettoyé, et me revoilà à ma table avec les statistiques concernant la jeunesse à examiner, interpréter et mettre en perspective avec les propositions du pacte présidentiel. Comme Tolstoï, j’ai assez fort envie de faire valoir mes droits au grand air, aux travaux sinon des champs des bouts de jardin et d’ajouter au pacte une 101ème proposition : donner au printemps la priorité à la campagne (la vraie, la verte) sur la campagne électorale. Une sorte de trève des jardiniers, reconnue par l’assurance sociale.
J’en ai parlé et ça va déjà mieux. Il n’y a meilleur traitement qu’un petit bout d’écriture. Ce n’est pas une remarque si légère. Je crois qu’une grande part des manifestations de violence sont dues à une insuffisante maîtrise des autres moyens d’expression. L’éducation, la culture, encore et toujours.
Prison : juste peine ou peine perdue ?
Plus souvent, beaucoup plus souvent malheureusement, peine perdue que juste peine ! Et Ségolène Royal a le mérite d’aborder le problème dans sa campagne et de proclamer haut et fort que, pour les jeunes surtout, tout vaut moins mal que la prison.
Disons-le carrément : pour un politique, la prison, le vieillissement, la maladie et bien d’autres sujets, ne sont en aucun cas porteurs. Fait-on une réunion sur l’un de ces thêmes (les trois me tiennent particulièrement à coeur) que l’on dit aussitôt : tu vas faire fuir plutôt qu’attirer. Le mérite de Ségolène Royal est donc d’autant plus grand d’avoir mis le dossier sur la table.
Examinons les faits. Même au risque de paraître plutôt casse-pieds, j’aime bien que ces billets reposent sur des éléments précis, vérifiés, que chacun puisse utiliser pour sa réflexion.
. 54 950 détenus en France, pour une capacité de 47 473 places . 70% des détenus vivent à plusieurs dans une cellule (chiffres 2002, les plus précis que j’ai trouvé à disposition)
. 30% sont des prévenus (en attente de jugement)
. 27,7% (près d’un tiers ) ont moins de 25 ans . 45,9% (près de la moitié) ont moins de trente ans . 74% (les trois quarts) ont moins de 40 ans
Qu’est-ce que cela veut dire : que la très grande majorité des détenus ont, en sortant, encore une vie à faire . Est-ce que la prison leur en donne (ou même leur en laisse) les moyens, ou est-ce qu’elle manque à la plus fondamentale de ses vocations ?
Quel est l’objet même de la prison. En réalité, il est triple : – punir en proportion de la faute (c’est le côté « juste peine ») – mettre la société à l’abri d’un renouvellement du délit ou du crime – permettre au délinquant de s’amender et de retrouver sa place dans la société
Ne discutons pas du premier aspect. Admettons-le, dans ce court billet au moins, comme « acceptable » , à la fois dans sa nature, et dans son caractère proportionnel. La discussion mérite pourtant d’être ouverte.
Le deuxième aspect est parfaitement rempli : le nombre d’évasions est minime, sinon infinitésimal. Oui, la société est à l’abri de l’individu incarcéré pendant le temps de son incarcération. Là aussi, un petit espace de discussion pourrait être ouvert.
Le troisième aspect est effroyablement insuffisant : le taux moyen de retour en prison est de 34% , ce qui veut dire qu’en réalité, le taux moyen de récidive ou en tout cas de nouvel acte délictueux est de près d’un sur deux, car tout acte délictueux ne ramène pas en prison .
Ce taux de 34% mérite analyse : il est de 23% pour les « primo délinquants », et de 61% pour ceux qui ont un cahier judiciaire chargé.
En un mot : Un quart de ceux qui vont pour la première fois en prison, y retourneront au lieu d’en être définitivement guéris, ou plutôt guéris de tout ce qui peut amener à y retourner. La prison n’est pas pour eux une « juste peine » mais elle est une peine absolument perdue, pour eux comme pour la société. Car même le deuxième objectif (se protéger) n’a aucun sens s’il n’est rempli que dans l’immédiat.
Et une peine extraordinairement coûteuse pour la société. Je ne discute pas même de ce budget mais de la part allouée à la réinsertion qui n’est que de 8% ; C’est un chiffre accablant.
Le « pacte présidentiel » du PS a le courage de poser le problème des alternatives à la prison, en particulier, mais non seulement, pour les mineurs. Le terme provocant d’ « encadrement militaire » , a fait couler beaucoup d’encre. Mais; pour un jeune « mérite » la prison que préfère-t-on : l’encadrement de loubards chevronnés et de la mafia , ou celui des chasseurs alpins ou d’un escadron de gendarmerie ? Et encore y a-t-il beaucoup d’autres variantes, et je dis souvent qu’à condition d’un personnel suffisant pour servir de tuteurs, je suis prête à prendre des « sauvageons » (le mot est de Chevènement), dans un service de cancéro, de grands traumatisés ou de soins palliatifs. La fraternité et la responsabilité y sont vite compris.
Les documents électoraux sont toujours à la fois trop longs et trop courts. Attachons-nous au fond des choses, référons-nous aux documents de base (et en particulier à la version complète des cent propositions, disponible sur internet). Examinons les propositons, jugeons, réfléchissons. Une société se juge aussi à la réalité et à l’application du droit.