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Sud Ouest, le 13 novembre 2002

Carte blanche à Michèle Delaunay
« Mettre la santé au cœur des décisions politiques ». Ce n’est pas une marotte de médecin, mais une manière, forte et adaptée aux véritables problèmes des décennies à venir, de voir, faire et dire la politique. Tout d’abord, la santé est tout sauf le contraire de la maladie :  « un état de bien-être physique, mental et social », dit l’Organisation Mondiale de la Santé. Un état d’autonomie de l’individu et de prise de responsabilité pour la société, a-t-on envie d’ajouter, mais cela mérite deux mots d’explication.

Nous ne sommes plus au temps de la révolution industrielle ou du Front populaire : les problèmes ont changé de nature. Pour nos enfants, nous ne craignons plus la tuberculose mais le racket ; la drogue, la violence. Les enjeux dominants ne sont plus les congés payés, mais l’augmentation de l’espérance de vie (un quart de siècle en un siècle), c’est-à-dire les retraites et tous les problèmes de l’âge, les risques liés à l’environnement, dans lesquels nous rangeons sans hésiter la télévision, l’augmentation des exigences de santé et, en regard, celle plus forte encore du coût des traitements, l’émergence de nouvelles pathologies remplaçant de manière presque exponentielle celles que la médecine a réglées.
Les épidémies d’aujourd’hui s’appellent la dépression, les troubles addictifs/compulsifs, le diabète et l’obésité, le large spectre des troubles du jeune âge qui va de l’impulsivité à la violence. Ce qui ne veut pas dire que les grandes pathologies comme le cancer ont perdu de quelque façon en importance ; en face d’elles, au contraire, une solidarité sans faille s’impose. Le prix n’en pourra être payé que si l’on examine en amont les autres chapitres de cette « santé sociale » qui permettra de sortir de cette spirale inflationniste, qui confiera demain aux médicaments le traitement de ce que l’on a aujourd’hui la responsabilité de tenter de prévenir. Penser en termes de santé, c’est éviter d’avoir à le faire en termes de maladie et de remettre aux médecins ce qui est de la responsabilité de tous.
Un exemple : des enfants vandalisent leur école, menacent leur maître ou organisent une « tournante » ; cela relève de la santé bien plus que de la sécurité, et c’est dans ce domaine que l’objectif de tolérance zéro a un sens. Quelle « malbouffe » intellectuelle et télévisuelle – contre laquelle aucun José Bové ne s’élève -, quelle déshérence affective les ont amenés là ? Dans quelles conditions de bruit, de surpopulation au mètre carré vivent-ils ? Combien d’heures de transport et au contraire d’heures de désoeuvrement affront-ils chaque jour ?
Faisons large : l’éducation, l’urbanisme relèvent de ce grand ministère – au sens étymologique – de la santé sociale dont tous les Français, tous confrontés de quelque façon à ces problèmes, comprendraient la langue simple et directe.
Qu’il soit clair que cette politique de santé, qui pourrait être la santé de la politique en réconciliant avec elle les citoyens, est à l’opposé d’une sorte d’ordre moral, instituant l’hygiène de vie au rang des figures imposées. C’est au contraire une sorte de « médecine du monde », tournée vers les autres et préoccupée de ce que dans d’autres domaines on nomme le « développement durable ».
On voudrait que chaque ville prenne en charge un dossier (grand âge, éducation extrascolaire, socialisation urbaine…) et travaille à apporter à ces questions nouvelles des réponses nouvelles qui ne soient pas seulement celles du monde marchand. On voudrait que la santé soit enfin comprise pour ce qu’elle est : le moyen donné à l’individu de son autonomie et de sa liberté.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel