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Mon candidat pour la panthéonisation : le « glorieux cortège » des hussards noirs de la République

Au début du siècle dernier, un petit garçon pauvre, gavroche déjà inspiré des rues d’Alger, fait une rencontre que beaucoup de petits garçons pauvres de ce temps ont fait aussi  : rencontrer un instituteur qui va modifier le cours de sa vie. Par son enseignement, par son exemple, pas sa volonté.

Ce petit garçon aura 100 ans le 7 novembre. « Aurait » serait plus juste, mais il vit toujours avec nous, avec tant d’entre nous. Sa mère est femme de ménage, son père mort à la guerre. C’est ce qu’on appelle là-bas un « petit blanc ».

Quarante ans plus tard, au lendemain de sa distinction par le prix Nobel (1957), il écrit une lettre, pas très longue, admirable, à un vieux monsieur inconnu du grand public : son instituteur. De ce vieux monsieur, il parle aussi dans son discours de réception du célèbre prix.

Trois ans à peine plus tard, une petite serviette de cuir est éjectée d’une Facel Véga écrasée sur la route,  quelques heures après son départ de Lourmarin. Dans la voiture, Michel Gallimard, Albert Camus, morts tous les deux.

Dans la serviette de cuir, un manuscrit « Le premier homme ». Admirable d’authenticité, de pureté. Tellement signifiant pour ceux qui portent dans leurs gènes cette reconnaissance envers l’Ecole.

L’instituteur s’appelait Louis Germain. Rentré en France après la fin de la guerre d’Algérie,  il est bien sûr mort aujourd’hui. Titre de gloire modeste : il est aujourd’hui mon candidat pour entrer au Panthéon au nom de tous ces « hussards noirs de la République » qui ont compté si fort dans la construction de cette République et dans l’éducation d’enfants de tous milieux et de tous lieux, y compris cette Algérie lointaine d’alors.

Il le ferait aussi au nom d’Albert Camus, avec lui, lié à lui pour l’éternité et quelques lignes de la lettre de Camus pourraient être présentes pour le dire.

Catherine Camus, on s’en souvient, a préféré, après la proposition de panthéonisation de Nicolas Sarkozy de panthéoniser son père pour le cinquantenaire de sa naissance, que celui-ci demeurât sous les Lavandes de Lourmarin. Je crois pouvoir dire (je lui ai écrit) qu’elle ne serait pas opposée à ce qu’il y entrât à l’occasion du centenaire de sa naissance pour accompagner de son aura et de sa reconnaissance, Louis Germain.

 

 

 

Lettre d’Albert Camus à son instituteur, Louis Germain

Cher Monsieur Germain,

J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur.

Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers  qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. Je vous embrasse de toutes mes forces.

Affectueusement,

Albert Camus

 

Lettre écrite le 9 novembre 1957 par Albert Camus après qu’il vient de recevoir le prix Nobel à son instituteur Louis Germain

 

 

Le cycle des acanthes

S’il y a un moment où je regrette de n’être pas entourée de petits enfants, c’est quand la nature se révèle autour de moi pour ce qu’elle est : le plus formidable des outils pédagogiques.

Tout à l’heure, bienheureusement atterrie dans mon jardin, je me suis adonnée à un sport très fin : la cueillette des graines d’acanthes.

Il faut à cet exercice un peu de familiarité avec cette grande et noble plante qui n’a pour autant aucune valeur marchande. On  comprend le facile symbole. L’acanthe, qu’aucun pépiniériste, aucune chaîne jardinière n’a encore repérée, est de ce point de vue de l’ordre des biens de l’esprit, de ceux que l’on partage, que l’on donne ou que l’on échange pour les seuls plaisir et amitiés.

Elle n’en est que davantage un outil pédagogique enviable et tout autant le cycle exemplaire de son cours. Fort résistante, elle sort de l’hiver ridée, fanée ou carrément gelée. Une coupe sévère des feuilles endolories accélère le prodige : d’autres plus petites, plus vertes, plus fortes, plissées mais cette fois comme des nouveaux nés, non comme de très vieilles dames, repartent dès les jours suivants. L’acanthe est robuste, preuve que les mauvaises herbes peuvent être belles et bonnes.

Quelque part entre avril et juin selon les climats, part du coeur de ce qui ressemble alors à une somptueuse salade dont trois feuilles suffisent à faire un fragile déguisement à une petite fille, une sorte de tout petit champignon qui va bientôt se hisser, se hisser, sur une hampe solide, dépassant glorieusement la plus haute feuille. La plus grande de celles que j’ai coupées ce matin mesurait un bon 2 m 50.

De semaine en semaine (et pour moi de  dimanche en dimanche quand je les retrouve), ces hautes hampes se couvrent de boutons puis de fleurs mauves, penchées de chaque côté de la hampe, le tout avec une élégance très aristocratique : port droit et élevé, grâce des fleurs courbées comme des petites princesses timides et étonnées d’être là.

L’été avance. Les petites princesses fanent doucement autour d’une noix verte et lisse qui va bientôt brunir.  En se promenant le long de ces « vivants piliers », on entend bien souvent des craquements : la surface de la noix éclate, le petit nid bien protégé où dorment les graines se découvre et les uns et les autres peuvent s’arrondir au doux soleil jusqu’à être gorgé de toutes les chaînes de réactions chimiques qui les feront le printemps suivant revenir à l’alpha du cycle de l’acanthe.

Il est souhaitable de ramasser ces graines, au demeurant brillantes et brunes comme de doux grains de café  : elles sont sinon projetées au quatre coins du jardin, lequel en 2 ou 3 générations s’en trouvera couvert à l’égal du jardin d’Yves Saint Laurent à Marrakech qui partageait avec moi cette belle amitié. Oserais-je dire : « excusez-moi du peu », car comme on sait ce sont nombre de poètes, de tailleurs de pierre, de joaillers et de bâtisseurs de cathédrales qui se trouvent réunie dans cette confrérie.

Seul tout petit désagrément : outre la prolificité de la plante, les petites piqûres du bout des doigts quand on veut séparer la graine de son cocon de petites feuilles séchées et acérées. Rien de vraiment désagréable, juste un petit rappel que l’homme n’intervient jamais tout à fait impunément dans le cycle de la nature.

Alzheimer, la nouvelle frontière

La maladie d’Alzheimer est sans conteste la nouvelle frontière de la recherche et de la médecine, mais aussi de l’angoisse devant une maladie « incurable ».

Il n’en est ainsi que relativement récemment. La maladie décrite en 1906 par le célèbre Alois n’est apparue que beaucoup plus tard dans le champ de la médecine quotidienne et dans la sphère publique. J’en connaissais le nom au début de mes études comme celui d’une forme rare de démence et je l’ai vu prendre de l’importance, enfler et acquérir cette douloureuse forme de célébrité qui la résume aujourd’hui au nom de son auteur, dépassant en cela « le Parkinson » et laissant loin derrière des maladies qui ont perdu beaucoup d’actualité car très clairement dans le champ de l’aisément substituable par le traitement. « Le Basedow’, « l’Addison », ne sont plus désormais dans le vocabulaire courant. Bien d’autres non plus.

Alzheimer a pris toute la place dans le champ des maladies dégénératives. A tort bien évidemment car nombre d’autres désordres sont à l’origine de démences de type Alzheimer. Je visitais ce matin « la plus grande unité Alzheimer de France ». Ce sont en fait une dizaine de pathologies qui y sont accueillies, accompagnées et soignées.

Pourquoi « la nouvelle frontière » ? Parce que c’est (presque) la seule maladie dont on dit brutalement qu’elle est incurable. Il y a une cinquantaine d’années, on entendait ce qualificatif tranchant comme la lame de l’échafaud à propos du cancer, « LE CANCER » majuscule, dont on sait aujourd’hui qu’il est infiniment pluriel et que plus de deux cas sur trois guérissent et que, de ceux qui ne guérissent pas, nombreux sont ceux qui sont désormais rangés parmi les maladies chroniques, c’est-à-dire de longue durée. Ceci était pratiquement impensable il y a quelques décennies.

Après le cancer, vint le SIDA et l’on n’utilise plus ce mot d’ « incurable » pour cette affection parce qu’elle se traite et permet de continuer de vivre. Certes, aujourd’hui on ne peut la déclarer « guérie » mais pour autant nous savons que, si tous les cas étaient correctement traités, nous pourrions éradiquer l’épidémie,  car sous traitement adéquat les patients ne sont plus contagieux.

Ces progrès, énormes, considérables, même si nous les voudrions plus radicaux et plus universels, ont amené la maladie d’Alzheimer au premier rang des grandes peurs. Le fait qu’elle détruise le plus identitaire de nos organes, le cerveau, en fait une interrogation lourde, porteuse d’une angoisse que j’ose qualifier de métaphysique.

En 2040, quand les fortes générations du baby-boom commenceront d’arriver au grand âge, le taux de dépendance devrait mathématiquement augmenter lourdement, ne serait-ce que du fait de la prévalence des démences. Mais 25 ans, c’est aujourd’hui le temps de la recherche médicale. Non seulement de la recherche mais de l’approche de la solution.

L’expérience du SIDA en témoigne. Elle nous rappelle qu’on peut soigner sans guérir et pourtant élever loin au-dessus de la tête des malades la perspective de la mort. Un jour, un beau jour, nos malades se sont dégagés de la noire certitude où ils étaient et ils ont recommencé à vivre.

Eh bien, je crois qu’en 2040, nous en serons là pour la maladie d’Alzheimer. Je ne sais de combien la mort sera repoussée : cette maladie est très majoritairement une maladie du grand âge, peut-être le sera-t-elle de très peu. Mais la fin de la vie sera toute autre et le risque de grande dépendance moindre. Nous aurons fait la paix avec Alzheimer.

Quelle sera alors la nouvelle frontière ?

 

 

 

Mobilisation et solidarité exemplaires : et si on en parlait AUSSI ?

Le matériau de construction d’une maison de retraite, a fortiori d’une maison médicalisée (EHPAD), est avant tout ce drôle truc, au nom un peu ringard : la solidarité humaine. C’est bête, ça ne figure comme tel sur aucun étalage, dans aucune statistique, mais si cela vient à manquer, la maison de retraite se fissure, les mines y sont ternes, les résidents déprimés.

Vendredi dernier, en début de nuit, un incendie s’est déclaré à La Terrasse, en Isère, dans la chambre d’un résident qui ne sortait pas de son lit et ne fumait pas. La maison de retraite est nickel sur le plan de la sécurité. L’explication n’a pas été tout de suite trouvée, elle l’est aujourd’hui : un appareil électrique d’appoint a « grillé ».

Dans un temps remarquablement bref l’incendie a été circonscrit et au bout de 2 heures, le désenfumage était terminé. Pour autant, deux autres résidents sont morts du fait des fumées toxiques, et un quatrième, actuellement en réanimation, risque de décéder dans les heures à venir.

Au total, 3 morts (90, 96 et 100 ans). Les 80 autres résidents, tous choqués par cet événement violent, une équipe très secouée mais aussi très entourée par l’ensemble de la petite ville.

Et aussi, et c’est très remarquable, un drame qui a soulevé une mobilisation remarquable et rapide des services publics et des secours, un engagement non moins remarquable de toute l’équipe de la maison de retraite qui est spontanément revenue en hâte sur place, et une solidarité de l’ensemble des habitants qui considèrent tous cette maison comme centrale dans la vie locale.

Un exemple, un seul : un jeune homme s’est précipité pour sortir les résidents un à un et les transporter -le plus souvent dans les bras- vers la salle communale.  Il allait et venait sans discontinuer, jusqu’aux chambres les plus proches du départ d’incendie encore très enfumées. Il s’occupait de tous mais a dit après : je cherchais mon grand-père, j’aurais voulu le sauver. Ce grand-père a malheureusement compté parmi les trois décès.

Les jeunes ont été nombreux comme lui, allant et venant jusqu’à ce que tous les résidents soient hors des murs. Inutile de préciser que dans cette maison où 80% des résidents sont en grande dépendance, très peu étaient capables de se mobiliser eux-mêmes, fût ce très faiblement.

Toute la nuit, les résidents évacués ont été accompagnés dans la maison communale ou régnait un calme pour les apaiser. Dès le lendemain matin, des places d’accueil se sont ouvertes, à l’hôpital où une unité entière a été ouverte et une équipe soignante mise en place. De même dans les EHPAD du voisinage qui se sont spontanément proposées.

Je passe sur tant d’autres petits actes qui m’ont montré, lors de ma visite, que tout avait été pensé, aménagé, réalisé pour que résidents et familles soient le moins possible choqués et gardent des séquelles de cet événement. Tout cela avec une grande connaissance des besoins et des problèmes de ces grands âgés.

Je veux saluer cette maison de retraite. Je pense chaque jour davantage que les maisons de retraite sont un baromètre remarquable de la santé sociale d’un territoire. Celle-ci me parait exemplaire dans ce qui m’a été dit par les élus, les familles, le voisinage plus que par ce que j’ai constaté. Elle est située au coeur de la ville, elle est ouverte sur la vie locale, sans barrières, et ressemble à une résidence comme toute autre résidence contemporaine. Les familles y sont très présentes, participant à l’animation jusqu’à remplacer l’animatrice pendant ses congés, la culture -je dis bien, la culture- y a sa place. Son directeur est considéré comme « référentiel » par le Conseil Général. S’il y avait une médaille des maisons de retraite, je la lui attribuerais pour son attitude pendant -et j’en suis sûre après- ce drame.

Je vais me faire taxer de « bisounours ». Mais j’ai la ferme intention de dire et de dire encore quand quelque chose fonctionne, réconforte, aide à croire et à espérer. Hier à La Terrasse, c’est exactement cela que nous avons trouvé.

 

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel