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La crise n’est pas la crise

Gertrude Stein écrivait au début du siècle dernier « une rose est une rose est une rose ». De plus en plus en plus nombreux sont ceux qui déclinent  au contraire à l’infini « la crise n’est pas la crise… » Et de fait, la crise n’est sûrement pas une crise mais un changement de monde, peut-être même un basculement vers une autre chose mal mesurable parce qu’il reste à construire.

Cela n’enlève rien à la gravité de la situation mais au moins cela ouvre le champ de la réflexion et celui des possibles. Ce basculement, pour ne pas nous faire peur, nous l’appelons transition en faisant de la transition écologique le chef de file du processus.

La planète s’épuise, le climat se réchauffe, les énergies fossiles qui ont démultiplié la puissance de la technique deviennent plus rares et plus coûteuses. Les grands et petits prêtres de cette transition dont il faut hâter la préparation sont nombreux. Je ne m’y étendrai pas.

La deuxième transition n’a pas encore consolidé son nom. Certains parlent de « transition démocratique » mais cela ne concerne que quelques pays et ne couvre pas le champ du problème. Car c’est bien là aussi d’un basculement qu’il s’agit : celui des continents. La force économique, le poids politique se renforcent en Asie, stagne aux USA, faiblit en  Europe, croit mais de manière encore hésitante en Afrique. Peut-on appeler cela la « transition géopolitique » ? On verra ce que l’usage consacrera ce qui apparait aujourd’hui comme une évidence douloureuse.

La troisième transition est la transition démographique. Il ne faut pas l’entendre au seul sens qu’on lui a donné au milieu du siècle dernier. C’est aujourd’hui un rééquilibrage radical des générations en faveur des plus de 60 ans. Les « vieux » (mais peut-on encore les appeler ainsi ?) sont déjà près d’un milliard. Leur nombre, autant que leur proportion relative, croît partout bien que très différemment selon les pays. Arrivée massive des âgés dans le pays de l’enfant unique, la Chine, avec ce que cela suppose de déséquilibre et d’inquiétude. Situation un peu voisine en Allemagne où le taux de natalité est faible. En France, les plus de 60 ans sont d’ores et déjà plus nombreux que les mineurs, et ils compteront bientôt pour 30% de la population.

Ce dernier chiffre se double d’un autre : une femme qui sort aujourd’hui de la vie professionnelle a une espérance de vie de 30 ans (27 exactement). Ce long temps, il ne s’agit plus de « s’en occuper », ni même de l’occuper, il faut en faire un temps positif, utile (et si possible agréable) à soi-même comme à l’ensemble de la population.

Il deviendra sinon un motif d’exclusion et de rejet des « vieux ». La population dite « active » ne pourra pas supporter (financer, soutenir, soigner…) à la fois l’éducation de la population jeune non encore active et l’accompagnement de la population âgée qui ne l’est plus sans une révolution sociétale demandant à chacun non seulement la solidarité, mais le niveau maximum de responsabilité.

Ce n’est pas la planète, là, qu’il s’agit de sauver mais la capacité de ces sept milliards d’humains à vivre ensemble. Et pour compliquer le tout, ils n’arrêtent pas d’être plus nombreux aggravant à la fois transition écologique et géopolitique.

Nous ne sommes pas forcément bien partis. La crise perdure, les humeurs se gâtent, le sens collectif s’éloigne ou le paraît. L’important est d’arriver, et pour cela de penser global et non intérêts d’un groupe. Je pense par exemple à la réforme des retraites qui s’inscrit d’évidence dans la transition démographique. Elle est une des conditions de ce nouvel équilibre entre les générations.

« Ne pensez pas à ce que l’Amérique peut faire pour vous mais à ce que vous pouvez faire pour elle ». L’Amérique a changé de dimension depuis les années Kennedy. Pour nous, c’est au minimum l’Europe, mais plus justement encore le destin de cette humanité capable du meilleur mais quelquefois du pire.

La crise n’est pas la crise. Peut être un moment, peut être une fin. Mais pas la crise.

 

Bataille pour l’autonomie

Notre pays se situe à mi-chemin entre les pays du nord et ceux du sud pour la relation aux âgés et le soutien qu’on leur apporte.

Dans les pays du nord, le maître mot est : l’autonomie jusqu’au bout. On connait cette belle et cruelle image d »un très âgé sentant ces forces décliner qui part s’enfoncer dans la forêt enneigée pour ne pas être une charge à quiconque et mourir autonome. Mes homologues suédois ou danois poussent très loin cette culture de l’autonomie; Quand un âgé ne peut plus se suffire, des services de réhabilitation sont envoyés à son domicile pour mettre en place un programme de reprise de la force physique et de la sureté de mouvements. Toutes les dispositifs technique sont mis à sa disposition pour pallier ce qu’il ne peut pas récupérer : domotique, sanitaires adaptés, dispositifs d’assistance.. Et ce n’est qu’en dernière limite qu’on attribue des aides humaines à domicile ayant pour mission de faire à la place de la personne.

Dans le sud, la culture est celle de l’entourage par les proches, famille d’abord, voisins ensuite. Il n’y a ainsi dans les pays d’Afrique du nord, et moins encore d’Afrique sub-saharienne de maisons de retraite. Y laisser son parent âgé serait considéré comme un manquement aux traditions comme aux préceptes religieux. Les maisons de retraite au Maroc ne sont destinées qu’aux européens qui vivaient sur place.

La situation de la France est intermédiaire et nous n’avons pas en particulier la même culture de la réhabilitation, la même exigence de faire remonter dans le train de l’autonomie les âgés qui donnent signe d’être menacés de la perdre. Pas suffisamment d’aides technique, des aides plus souvent destinées à faire à la place plutôt qu’à donner les moyens de faire.

L’arrivée dans le champ de l’âge de la génération des boomers, non seulement nombreuse mais ayant traversé -et souvent porté- l’émancipation à partir des années 70,  conduisent aujourd’hui la politique de l’âge à monter le curseur en direction des pays du nord.

Mes « conscrits » (nés comme moi entre 45 et 55) veulent rester chez eux, y être autonomes, bénéficier pour cela de toute l’autonomie possible. S’ils ont des enfants, ils sont souvent loin et quand ils seront dans le grand âge, ces enfants eux-mêmes ne seront pas jeunes. Les courbes démographiques nous apprennent de plus que le nombre d’aidants potentiels va diminuer au regard de ce qu’il est maintenant et cela constitue une raison supplémentaire de mettre l’accent sur le culture d’autonomie et d’en donner aux maximum les moyens à tous (et non seulement aux plus riches).

La chance est que cela est désormais possible : les pertes d’autonomie sont longtemps réversibles et/ou réparables. Les signes d’alerte sont aisés à dépister.  Les modalités pour remonter dans le train que j’évoquais tout à l’heure sont connues, accessibles si nous faisons ce choix qui demande bien évidemment un effort de solidarité. Les aides techniques progressent chaque jour et en outre constituent une opportunité économique de première grandeur pour la France.

Le sujet est d’engager les aidants , familiaux ou professionnels, dans cette culture de prévention/réhabilitation. Un exemple : mieux vaut mettre en place l’aide nécessaire pour qu’une vieille dame puisse aller chez le coiffeur que faire venir le coiffeur à son domicile. Lien social, estime de soi, tout y gagne.

C’est l’esprit du projet de loi que je prépare, mais aussi de chacune de nos actions au quotidien. Dispositif MONALISA, travail commun avec les caisses de retraite sur les dispositifs de prévention, introduction de la domotique dans les EHPAD.. Mais ce doit être aussi celui de chaque famille autour des parents âgés et de chaque Français pour soi même.

 

Des amies du dimanche

Luxueuses, somptueuses, leurs grandes hampes montent fièrement de plantes qui ne coûtent rien et qu’on s’offre d’un jardin à l’autre. Pas même besoin d’avoir la main verte ni des voisins généreux : une seule hampe contient assez de graines pour couvrir un hectare, en quelques étés quand même.

Ces plantes merveilleuses n’ont pas que la majesté de leurs hampes : la générosité de leurs feuilles dont trois suffiraient pour une jupe, leur texture comparable à la peau, leur découpe savante ajoutent au précieux de la plante que pourtant nulle jardinerie ne songe à vendre car trop banale et sans autre valeur que le regard qu’on sait lui porter.

Ce regard n’est pas anodin et bien des médecins (tiens donc !) l’ont suffisamment porté pour faire entrer le nom de la plante dans le vocabulaire scientifique. Les épithéliums peuvent se développer selon le beau dessin de l’ « acanthose »et la comparaison à la découpe des feuilles est souvent utilisée par de doctes personnes très éloignées du jardinage.

Plus loin encore dans les siècles et bien avant que le microscope ne débusque le dessin de l’acanthe dans des formes minuscules, les architectes l’ont élevé très haut au sommet des colonnes corinthiennes « à feuilles d’acanthe ». Ces belles épanouies ornent l’histoire de la peinture et de la bijouterie. Elles sont partout et jusque dans les châteaux, plantes du pauvre qui ont fait fi de l’ascenseur social.

Tout cela n’a évidemment pas échappé aux poètes qui lui comparent la souplesse et les courbes des jeunes filles, l’irréel des mondes imaginaires et bien d’autres fantaisies de l’esprit dont les poètes ont le secret.

Mon jardin en est plein et je dois les contenir pour qu’elles ne l’emportent pas sur le lierre étendu au sol, les sureaux tout aussi prolifiques, les bébés micocouliers  semés à tout vent par leurs parents, les petits palmiers tombés des grappes jaunes que les adultes essaiment largement… Tout cela est si amical, ordonné en même temps qu’anarchique, satisfait de la pluie comme du soleil, bref, heureux de vivre que j’ai eu envie d’en parler…

Ma médecine

Nommée Ministre, je me suis promise d’éxercer cette honorable fonction en Médecin, ce que j’ai été pendant 45 années. Qu’on se rassure : je n’ai pas exercé la médecine en Ministre, je n’avais qu’une vague idée de ce que cela pouvait être, loin en tout cas de la pratique particulière de mon Ministère et surtout, je n’avais ni le moindre plan, ni la plus petite hypothèse qui me laisse augurer de l’être un jour.

Être Ministre comme on est médecin, j’imagine que l’on devine un peu ce que cela signifie. Je ne voudrais pas utiliser un vocabulaire archi-rebattu, mais c’est mettre les gens avant ce qui les entoure. C’est aussi mener une équipe (les membres de mon cabinet), comme une équipe hospitalière et cela veut dire beaucoup. Mon équipe en effet n’a pas changé depuis sa composition, il me semble qu’elle va bien compte tenu du contexte difficile qui est le nôtre. C’est une équipe jeune -comme le sont les équipes hospitalières où infirmières, externes, internes ont majoritairement moins de 30 ans-,  qui sait pourquoi et surtout pour qui elle travaille, une équipe engagée et talentueuse, qui sait être joyeuse et aussi râler juste ce qu’il faut. La « dream team » m’a dit vendredi dernier un visiteur auquel elle avait été présentée. Je lui laisse la responsabilité du compliment. Il n’est pour autant pas totalement infondé.

C’est donc à la médecine que je pense souvent. Je réfléchissais aujourd’hui aux 45 années qui furent les miennes. Pas une heure, ni dans mes études, ni dans la pratique, n’a jamais été consacrée à l’aspect régional, territorial, de notre éxercice. Quelles sont les spécificités de l’état de santé des Aquitains, comment marche le maillage territorial à la fois médical et médico-social ? Quelle collaboration entre ces deux champs ? Quelle relation aux collectivités territoriales? Quel agencement des professionnels entre eux ? Bref, de cela qui m’occupe beaucoup aujourd’hui, je n’ai jamais entendu parler en tant que médecin.

Dans chacune de mes visites de terrain, vendredi dernier en Bretagne, la précédente en pays nantais, la précédente encore à Montpellier et juste avant dans le Nord,  je suis frappée des spécificités de chaque territoire. Profil pathologique différent, inégalités de santé autrement distribuées, engagement variable des collectivités, coopérations plus ou moins anciennes et plus ou moins vivaces.. Bref, Lille n’est pas Lyon, Guincamp a bâti un tissu de solidarités qui lui est spécifique, la pauvreté n’est pas le même dans le Pas-de-Calais que dans l’Hérault… Ce n’est sans doute pas un scoop, mais après un certain nombre de déplacements, on découvre comme une évidence l’urgence de la territorialisation de nos pratiques de la santé social, ce couple indissociable dont les Etats-Unis ont fait des chaires universitaires et qui se bâtit chaque jour sur le terrain. Le « mariage pour tous » n’est pas que celui contre lequel on défile aujourd’hui même, mais celui des Conseils généraux avec les Agences Régionales de Santé (ARS), des aides à domicile avec les services infirmiers, et des gériatres avec les démographes.

Ce mariage-là, différemment conjugué dans chaque territoire, reste encore à élargir. On ne doit plus soigner, prévenir, accompagner, aujourd’hui comme hier. La formule d’un de mes coéquipiers au Cabinet doit inspirer jusqu’au projet de loi que je prépare : l’intelligence du terrain.

Pas facile dans une loi, par essence normative, de partir du terrain pour bâtir de meilleures pratiques. Le risque est de rajouter une couche là où il y en déjà plusieurs, fondamentalement diverses et spécifiques du territoire. Dali avait inventé des montres molles, ce qui laissait entendre que l’on pouvait négocier avec l’implacable métronome du temps, il nous faut inventer une loi « intelligente » (« smart ») qui puisse se gorger des pratiques du terrain sans se dénaturer.

De tout cela, pendant ces 45 années, je n’ai jamais entendu parler. La pratique des dix dernières années l’a peu ou prou suscité puisque nous avons travaillé en faisant une place plus grande à l’ambulatoire et en déléguant davantage aux acteurs de terrain, grâce par exemple à l’hôpital à domicile. Ma spécialité (cancérologie), je le reconnais, invite davantage à la centralisation hospitalière qu’à la pratique locale. En langage ministre, elle peut même être qualifiée de « régalienne », mais sa déclinaison pratique, une fois les traitements décidés est pour autant elle aussi territoriale et fait appel aux complémentarités et aux solidarités locales.

C’est très étrange, je n’avais jamais pensé à cela comme un tout. Cet après-midi, dans le silence joyeux de mon jardin, cela m’est apparu comme une évidence.

 

 

Les Unités de Soins de Longue Durée

Les unités de soins de longue durée accueillent les patients âgés « polypathologiques » (à maladies multiples) dont l’état ne permet plus l’admission en maison de retraite médicalisée.

En très grande majorité, elles sont hospitalières et publiques. Le secteur commercial n’a pas investi ce champ, lourd et exigent. Pour 99,5% des patients qui y entrent, il s’agit du dernier domicile et nous avons à leur égard des obligations particulières. La moyenne de durée de séjour est de un an et demi mais beaucoup de malades décèdent dans les trois premiers mois.`

Ce secteur relève du Ministère de la Santé mais nous participons à un groupe de travail visant à améliorer la situation des malades, des personnels et des unités elles-mêmes qui correspondent souvent à des locaux anciens, ne répondant pas à toutes les exigences d’un hôpital moderne.

Beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire. C’est bien le sujet de la fin de vie qui est en cause. Non les derniers jours, mais les derniers mois, le dernier lieu que l’on connaîtra, les dernières personnes qui apporteront leurs soins, les derniers repas…

On le dit et on le répète : notre société sera jugée sur ce qu’elle fera du dernier temps de la vie. Accompagnement, financement.. Nous sommes tous concernés à la fois individuellement et collectivement.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel