m

Les vieux doivent-ils se dépêcher de mourir ?

Un Ministre japonais, ancien Premier Ministre, a invité lors d’une intervention publique les « vieux » à se dépêcher de mourir, vu qu’ils n’étaient plus utiles et coûtaient cher. Âme compatissante, il a d’ailleurs ajouté qu’il avait pris des dispositions pour lui-même.

Au pays du seputu et du harakiri , l’invitation relayée par la presse, a malgré tout ému et le Ministre a dû s’excuser. Rappelons que le Japon est le pays où l’on devient le plus vieux, ce qui n’est apparemment pas un motif de réjouissance partagé par tous.

Sommes-nous si loin de cette interrogation ? Des propos récents de Jacques Attali vont dans le même sens. Une enquête vient d’être lancée sur twitter où l’on doit répondre « oui » ou « non » mais où l’on peut aussi s’exprimer sans voter. Lors de ma dernière visite au site, la réponse « oui » l’emportait. Précisons que la question ne précise pas si l’on donne cet avis pour les autres ou pour soi même, non plus que le délai d’exécution de la sentence.

Cette interrogation qui entre dans le champ de mon Ministère ne m’est pas indifférente. La perspective, l’approche et l’inquiétude de la mort constituent même le fil rouge de cette période de plus en plus longue de l’avancée en âge. Ce n’est pas un scoop, la conscience de sa finitude étant « le propre de l’homme », comme  le rire ou le langage.

Pour autant, je crois qu’il faut l’examiner tout au contraire et pour ma part je pense que la bonne question est: « Qu’y pouvons-nous ? ». C’est aussi le propre de l’homme de combattre la loi de la nature qui fait que l’on vit et que l’on meurt, que l’on souffre en accouchant… Juste en passant, le fait que l’on se marie ou non, non plus qu’avec qui, n’entre nullement dans cette loi de la nature, évoquée en ce moment en boucle à l’Assemblée.

Pour ce qui est de la mort elle-même, nous n’avons d’autre pouvoir que de l’anticiper ou de la combattre. Pour ma part et pour les »vieux », présents et futurs, qui émargent à mon Ministère, je choisis la seconde option et je propose de remplacer la question par: « Que faire pour vivre jusqu’au bout en demeurant présent au monde, utiles fût-ce par cette seule présence à mes proches et en coûtant le moins possible à la société ? »

C’est tout l’objet de ma mission de démontrer que cette question n’est pas sans objet, que nous pouvons quelque chose nous-mêmes à notre vieillissement jusqu’au moment ultime, que la dépendance n’est pas dans l’immense majorité des cas inéluctable, que nous pouvons anticiper, adapter, aménager, faire évoluer nos conditions de vie pour en améliorer à la fois le confort et en diminuer le coût social.  En un mot et une formule, le Général de Gaulle disait que la vieillesse est un naufrage : à notre Ministère de fournir les rames et le canot.

Car enfin ceux qui entrent dans le champ de l’âge, sont ces baby-boomers qui ont fait la révolution de 68 et ont pris le monde à pleins bras. La révolution de l’âge est d’un autre ordre, mais ils ne sont pas sans moyens pour la saisir de même façon. Les âgés de demain ne doivent pas se dépêcher à mourir mais à tout faire pour vivre en dignité et en liberté.

 

 

 

En ce moment précis

Nous sommes déjà le 28 et je n’ai encore rien fait. En outre cette espèce de poème qui me lancinait l’esprit maintenant s’éparpille et m’échappe. Je me réveille le matin, j’y pense et puis tout se dilue dans la pâleur blafarde de ces jours de pluie. Je peine, je peine pour regagner le chemin perdu, je crie au pied de la montée « Attendez ! Arrêtez ! Attendez! », mais les pages lentement s’effeuillent, très lentement il faut bien le reconnaître, mais elles ne se posent jamais. Jamais comme nous autres hommes. On s’arrête pour regarder autour de soi, pour allumer une cigarette, pour bavarder un peu. (..) Mais alors que nous sommes arrêtés sur le bord du chemin, rêvant à des choses étranges, les heures, les jours, les mois et les années nous rejoignent un à un et avec leur abominable lenteur, ils nous dépassent, disparaissent au coin de la rue, Et puis le matin, nous nous apercevons que nous sommes restés en arrière et nous nous lançons à leur poursuite.

A ce moment précis, pour parler simplement, finit la jeunesse.

Oui, je sais, nous ne sommes pas le 28 ou du moins je ne crois pas. Et pourtant il pleut, et surtout, c’est de peu d’importance. Les jours passent et depuis ce moment précis me saisissent de la même manière inquiète. Ces lignes que je sais à peu près par coeur, leur accélération finale, vertigineuse et leur conclusion, simple, linéaire comme un couperet, ont marqué ma vie depuis un âge que l’on pouvait considérer comme « jeune ».

Beaucoup les auront reconnues : Buzzati, 1950.

Le poids du reste à charge

Cent pour cent des familles sont concernées par l’inquiétude du grand âge et de la perte d’autonomie. Pour beaucoup d’entre elles aussi, c’est une charge financière lourde et quelquefois rédhibitoire. Résultat : des âgés dépendants pour lesquels il n’y a pourtant pas d’autre solution restent à domicile dans des conditions précaires et épuisantes pour les aidants.

C »est une des lourdes questions de la politique de l’âge. Hier à Lille,  François Hollande a posé que nous y répondrions. Je voudrais que l’on mesure ce que cela représente d’engagement dans une situation budgétaire difficile.

Tout cela demande quelques explications pour les non-professionnels. La politique de l’âge est complexe car elle s’est constituée par étapes dont la dernière celle de la dépendance a été constamment annoncée, promise mais finalement abandonnée.

Les maisons de retraite, de plus en plus souvent « médicalisées » et répondant à la dénomination rébarbative d’EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) accueillent les personnes qui ne peuvent plus rester à domicile. Leur tarification relève du casse-tête chinois et de plusieurs acteurs publics : assurance-maladie pour les soins, État pour le logement, Conseil Général pour la perte d’autonomie.

Le tarif hébergement de ces maisons est à la charge du résident qui reçoit pour autant des aides publiques : Allocation Personnalisée pour l’Autonomie (APA en établissement), Aide Personnalisée au Logement (APL). Ces aides prises en compte, la facture pour le résident s’appelle le « reste à charge ». Le mot prend bien souvent tout son sens par le poids de la charge relative au revenu à la fois des « résidents » (les âgés hébergés) et de leurs familles.

J’en vois qui ne suivent pas… Qu’ils sachent pourtant que je simplifie.

Le montant moyen de ce reste à charge est de 1600 euros par mois pour un EHPAD public, 2400 euros pour un EHPAD privé à but lucratif. Les EHPAD privés à but non lucratif (ex-Croix Rouge) se situent peu au-dessus des EHPAD publics.

Le montant moyen des pensions de retraite est de 900 euros pour les femmes qui constituent entre les 2/3 et les 3/4 des personnes en établissement. Il est de 1200 euros pour les hommes. Cherchez l’erreur…

C’est ce fossé entre revenus et coût qui constitue la pierre la plus lourde dans la réforme que nous entreprenons. Actuellement, comment est-il comblé (ou pas) ?

Pour les personnes les plus pauvres par l’Aide Sociale à l’Hébergement (ASH) auxquels subviennent les Conseils Généraux sous réserve  de contribution des enfants, voire des petits enfants par le biais de l' »obligation alimentaire » et au décès de la personne âgée du recours sur succession.

Cette « obligation alimentaire » est très complexe à activer et bien souvent le processus retarde la prise en charge. François Hollande nous a donné mission de la simplifier, ce qui n’exclut pas de la supprimer tout simplement.

A noter que le tarif des places habilitées à l’aide sociale est fixé par le Conseil Général.

Alors comment diminuer ce « reste à charge » pour les familles des classes moyennes ? Plusieurs pistes sont possibles.

– Diminuer les coûts impactant le tarif hébergement, c’est-à-dire ce reste à charge. Par exemple, le coût du foncier (des terrains) des maisons de retraite. Mais aussi par la mutualisation entre plusieurs établissements (comme c’est le cas dans des EHPAD publics d’Essonne) ; cette possibilité me parait très prometteuse.

– Faire jouer la concurrence et c’est aussi l’objet du site national que nous mettrons en place où chaque famille pourra trouver aisément les maisons de retraite du territoire de l’âgé, les places disponibles, les services, les coûts précis et aussi les surcoûts que beaucoup d’établissements facturent en sus (blanchisserie,  coiffure, autres prestations ..). Cette nécessaire transparence concerne TOUS les établissements et aidera grandement les familles.

– Augmenter les aides publiques : APA, APL, ALS ; Revoir leur distribution pour les rendre plus efficaces.

– Encadrer les tarifs, et là, deux pistes. Encadrer le prix du loyer à la relocation, au changement de résident, comme c’est le cas par la loi Duflot dans le logement hors EHPAD. Mais aussi établir des conventions avec les maisons de retraite, limitant les marges d’augmentation de tarifs.

Les pistes -j’ai cité les principales- sont ouvertes. Nous y travaillons depuis le 1er jour au Ministère.

Le top départ est donné. François Hollande s’est engagé à cette répondre à cette obligation d’accessibilité financière et c’est pour moi un objectif majeur.

 

 

 

 

Pierre Veilletet me manque aussi

Nous avons commencé à écrire en même temps. En même temps, mais éloignés ne nous retrouvant (avec aussi Jean-Claude Guillebaud) que pour le temps d’une rubrique dans Sud-Ouest « 17-24 ». Nous avions cet âge et racontions la jeunesse de ceux qui l’avaient eu avant nous, déjà ou pas encore célèbres, déjà ou pas encore entrés dans l’histoire.

Pierre Veilletet était de ceux qui ont reçu l’écriture comme une grâce. Il écrivait avec une sorte d’humour négligent, une fine cruauté, un regard aigu capable de voir en trois dimensions, le passé toujours présent, le présent toujours un peu blessé, l’avenir toujours incertain. « Beau comme la décadence » ou brillant et aigu comme un rire, son style était une marque de fabrique, d’exigence et, une fois encore, de grâce.

Il a continué à écrire, dans Sud Ouest, sur les rayons de nos bibliothèques, et moi si peu. Et ce « peu » m’intimidait lorsque je le rencontrais, rarement, mais suffisamment pour que le fil ne soit jamais rompu. Je me souviens d’une rencontre alors qu’il revenait de Madrid où il avait suivi la longue agonie de Franco. Il m’avait dit: « j’avais envie d’un communiqué : « Les journalistes sont morts. Signé : Franco ». »

Il écrivait, en introduisant son « Bordeaux » : « Nul homme n’est l’homme d’une seule ville ». Je cite de mémoire et peut être imparfaitement, mais ce pied de nez élégant était le moteur de son style. Il m’a marqué comme tous ceux qui déjà à cette époque reniflaient vers l’écriture.

Notre dernier rendez-vous est un rendez-vous manqué et je le vis comme tel. Une semaine trop chargée à Paris m’a empêchée de lire Sud Ouest un jour ou deux. Il en a profité pour mourir et je ne l’ai su qu’avec retard. Je vous en veux, Pierre, et vous me manquez sans doute un peu plus encore que nous nous soyons encore une fois manqués.

Vous vous rattrapez déjà.

Brève

L’âge est une sorte de métronome auquel nous ne pouvons rien. Il en va tout autrement de la vieillesse, que l’on porte comme les vêtements en douce ou avec panache, et que l’on déchire quand ils finissent par trop peser

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel