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Trois millions de chômeurs … et eux, et eux, et eux

Dutronc pourrait reprendre son tube « Et moi, et moi, et moi » qui servirait utilement de fond sonore aux conventions, meetings et visites de fédération des responsables ump.

Annonce ce matin de l’aggravation des chiffres du chômage dont on a du mal à penser qu’elle est à mettre sur le compte du gouvernement Ayrault, six semaines après la déclaration de politique générale du Premier ministre, et pas davantage des cent jours de François Hollande. Réaction una voce des responsables ump sur toutes les ondes : « opposition totale ».

Ce n’est d’ailleurs qu’une reprise d’un choeur bien orchestré depuis le début des hostilités entre les leaders de cette Union des Mauvais Perdants. « Opposition totale », pas au chômage d’ailleurs -à l’exemple de Nora Bera qui avait déclaré qu’elle était « contre » le suicide-  mais -en vrac- à Hollande, à Ayrault, au Gouvernement, au PS et tout ce qui pourrait y ressembler.

Cette « opposition totale », qui a un vague relan de « guerre totale », ce qui ne parait pas constituer le top de la communication, est donc le mot d’ordre, le slogan, l’étendard de la droite. Les chômeurs attendront. L’union nationale à laquelle Sarkozy  a tant appelé  à chaque épisode de la crise financière est rangée aux oubliettes. O-PPO-SI-TION vous dis-je, rien que ; et eux, et eux, et eux…

La déclinaison de ce slogan constructif connait quelques perles. Dans le programme des candidats, confirmés ou putatifs, à la présidence de l’ump, une grande mesure : la suppression des 35 heures. On se pince : est-ce que l’un d’eux n’était pas Premier ministre il y a trois mois ? Est-ce que collectivement, ils n’avaient pas la majorité à l’Assemblée ?

Distraction sans doute. Distraction aussi pour tout ce qu’ils n’ont pas fait pour la Grèce depuis deux ans, pour la sécurité depuis dix et j’en passe. Amnésie pour tout ce qu’ils ont défait.

On vilipende Hollande pour son attentisme en Syrie. Mais qu’a fait Juppé pendant plusieurs mois, qui avec courage s’est tu quand Fillon a voulu embarquer le Président et la Chancelière pour supplier Poutine d’être plus gentil et compréhensif, qualités dont il montrait au même moment qu’elles lui étaient naturelles en jetant dans des camps de travail (…) trois gamines qui avaient chanté une prière pour que la Russie connaisse, sans lui, des jours meilleurs. S’est-il exprimé ? A-t-il pris ses distances de cette suggestion abracadabrantesque ? Non. Bien sûr.

Qui peut y croire ? Qui peut les croire quand ils ne pensent qu’à un emploi, un seul, celui de président de l’ump ?

 

 

 

Mitterrand

Le souvenir le plus impressionnant que j’ai de Mitterrand n’a rien de politique. Encore que, même cela se discute. Chacun en jugera.

Cet excellent homme était alors à la fleur de l’âge. Fleur qu’il a, reconnaissons-le, portée longtemps de la plus belle façon. Les hommes de caractère ont ce  privilège de vieillir à leur avantage ; ce fut son cas.

Il était alors, dans mon souvenir, Ministre de l’intérieur et  il passait à Hossegor des morceaux de ses étés. Quelque part autour du lac marin, cercle d’une bienséante tranquillité où l’ont rejoint depuis lors une remarquable sélection de politiques. Ils se reconnaîtront.

Je n’étais pas de ce bord-là. Je parle ici de rive et de rivage. Le mien, le nôtre, était l’océan. Nous avions alors un gros chien, très gros et très beau, d’une exubérante et baveuse impétuosité qui au regard de son volume et de sa denture ne ralliait pas de prime abord tous les suffrages. C’était un berger briard, variété particulièrement massive et chevelue, dont la particularité réside dans l’épais rideau de poils couvrant les yeux et dérobant à un interlocuteur potentiel les intentions du canidé.

Mon briard –je le considérais comme grosse peluche chaude m’appartenant en propre- était noir, massivement noir, pesamment noir. Mitterrand, ce jour-là, blanc, élégamment, impeccablement blanc. De la chemisette légère au pantalon de fine laine ceinturé haut, comme le portaient les hommes qui entouraient Coco Chanel ou Mme Lanvin. Le voyant de l’autre côté de la vitre avancer vers notre porte, la petite fille de 6  ou 7 ans que j’étais le trouva fort bel homme. Le briard semble-t-il aussi qui s’apprêtait à s’élancer de tout son large sourire baveux dès qu’il pénétrerait.

Je n’avais pas été seule à le reconnaître. Un léger moment d’inquiétude parut saisir la maison toute entière. La transformation de l’élégante mise du Ministre en un essuie-pattes humide et terreux eût pu n’être pas sans conséquences désobligeantes.

Mitterrand ne se souciait pas de frapper, ni d’attendre qu’on l’accueillit. Il ouvrit largement la porte-fenêtre, tendit la main en apercevant le noir briard, qui aussitôt médusé, le rejoignit sagement, tête légèrement courbée pour l’offrir à la caresse.

La caresse vint. A la fois négligente et magistrale et la conversation s’engagea selon les règles les plus aimables de la civilité. Le briard resta couché au pied du Ministre tout le temps de l’entretien, le raccompagna selon les règles du respect et de la bonne distance, laissant immaculé le bas du large pantalon.

Des années plus tard, nul parmi les témoins de la scène n’éprouva d’excessive surprise quand Mitterrand fut élu Président de la République.

 

 

 

Mettre de la République au coeur de la politique de l’âge

La révolution de l’âge a été si radicale et si rapide (doublement de l’espérance de vie en un siècle) que la République n’a pas eu le temps d’y mettre complètement son nez. Non qu’elle n’ait rien fait (l’APA par exemple a permis une nette amélioration de la prise en charge) mais elle n’a toujours pas pensé cette révolution dans les mêmes termes que ceux qui ont présidé à l’établissement de son système éducatif.

Pour le dire autrement, la République se déploie uniformément et  systématiquement en direction du jeune âge (PMI, éducation, médecine scolaire..), elle n’intervient qu’à petite mesure pour ceux qui, à l’issue de leur activité professionnelle, vont avancer dans le champ de l’âge.

L’urgence est grande : le temps de la vieillesse est en passe d’atteindre le double du temps de la jeunesse. Dix huit ici,  bientôt pas loin de trente là. D’ores et déjà les personnes de plus de 60 ans sont plus nombreuses que les mineurs.

Il faut à ce long parcours des repères, des outils à disposition de ceux qui s’y engagent. Il faut que les bons vieux principes de la République descendent du fronton des mairies (et encore quelquefois des écoles) pour baliser le chemin de l’âge.

De la liberté bien sûr. Les âgés, s’ils sont à risque de perdre en autonomie quand au contraire les jeunes en gagnent, sont des adultes, des citoyens chevronnés, expérimentés, maintes fois affrontés aux batailles et aux épreuves. Autant que les autres –j’ai eu envie d’écrire : plus que les autres-  ils doivent  se sentir responsables de leur vie. Ce qui veut dire que leurs droits doivent être affirmés, respectés et qu’ils sont autant de devoirs pour les autres au moment où il ne sont plus eux mêmes en capacité de les défendre.  Pour le dire autrement, je veux sortir mon ministère du domaine du compassionnel pour celui du respect.

De l’égalité, O combien ! C’est peu de dire que vieillir doit être une chance pour TOUS et nous en sommes loin. S’il y a un domaine où les chances d’égalité sont mal distribuées (revenus, isolement familial et social..), c’est celui-ci. L’âge ne rapproche pas les conditions, il les écarte et c’est un premier sujet de gravité.

Mais l’inégalité va au delà : elle est aussi territoriale. La  politique de l’âge est complexe, elle met en jeu nombre d’acteurs, qui l’interprètent et la concrétisent souvent très différemment (par exemple, les conseils généraux). Il nous faut y mettre plus de cohérence et de lisibilité.

Fraternité. Ce maître mot est généralement décliné sous un autre nom : la solidarité et celle-ci a elle même bien des déclinaisons et deux grandes voies : les solidarités « traditionnelles » et les politiques sociales publiques.

Dans le domaine de l’âge, il faut  moins encore qu’ailleurs dissoudre les solidarités familiales ou de proximité, comme il n’a d’ailleurs jamais été question de les dissoudre pour le soin aux enfants. Qui imaginerait que l’Etat se substitue aux parents, hors cas de force majeure ? Au contraire, il faut les favoriser, les soutenir et les accompagner.

Les mettre en valeur aussi, car elles apparaissent quelquefois moins naturelles que le soutien aux enfants. Un seul exemple : si ce sont 60% des jeunes générations qui ont reçu après leur majorité des aides financières de leurs parents, ce ne sont que 15% des parents âgés qui en reçoivent de leurs descendants.

Et puis il y a les solidarités publiques dont l’une demeure tout au long de la vie : la sécurité sociale, mais qui ne prend pas en compte de multiples aspects de ces pertes progressives d’autonomie qui caractérisent l’avancée en âge. Et c’est le cœur de la loi que nous avons en préparation d’en redéfinir les moyens, les modalités et les objets. Bel ouvrage à vrai dire, mais malaisé.

La République a été jusque-là plus amie de la jeunesse que de l’âge. Ce n’est pas totalement de sa faute : en 1945, quand la retraite à 65 ans a été obtenue, l’espérance de vie moyenne était à 67,5 ans.  Avouons pourtant qu’elle a été depuis ce temps, un peu inattentive aux courbes démographiques qui auraient dues la tirer durement par la manche.

Il me semble qu’elle y est prête aujourd’hui. Et les Français prêts à l’accompagner.

 

 

Pourquoi les femmes sont si formidables

Pas question d’apporter une réponse exhaustive à cette fausse interrogation : les centaines de pages passées et à venir de ce blog n’y suffiraient pas. Je vais me cantonner au domaine que la bienveillance de Jean-Marc Ayrault, doublée de celle de notre Président, m’a confié : les pas-tout-à-fait-jeunes mais qui ne seront jamais vieilles.

Aucune statistique fiable, INSEE compris, ne rend compte de l’importance de ce segment de population. C’est plus qu’une erreur, un tort : aurions-nous des chiffres pour le documenter, ils viendraient de manière décisive en appui de la mission que je me suis quant à moi confiée. On la devine.

Le sujet du billet précédent, qui n’était pas tout à fait léger et même au contraire tout à fait dramatique, levant des interrogations sans fond sur la place de l’âge dans notre société et sur la souffrance de ceux sur lequel il croule sans qu’ils reçoivent un suffisant honneur, une suffisante amitié pour affronter les dernières heures du match.

J’ai trouvé dans mes lectures sur le sujet confirmation de ce que je savais : les femmes résistent mieux à l’âge, à l’isolement, à la dureté des choses que leurs « homologues » masculins.

Dolentes quelquefois dans les premières étapes de la vie, allant jusqu’à s’ouvrir les veines (du moins quelques veines) pour un bétasson de belle carrure, au lieu de se réjouir de n’avoir pas à supporter plus longtemps un pusillanime dont elles auraient du soigner les orgelets pendant 40 ans, elles s’accrochent avec un courage incroyable quand vient l’épreuve -du temps.

On dit souvent que les femmes vivent plus longtemps que les hommes parce qu’elles échappent à un certain nombre de périls, préférentiellement masculins : accidents du travail lourds, alcool, tabac, rixes diverses et autres délits dont il n’est pas question pour moi de faire la liste exhaustive qui me ferait passer non pour une féministe -que je suis- mais pour une masculinophobe -que je ne suis pas.

Cette explication est vraie. En partie. En partie seulement. Les femmes durent et endurent mieux que les hommes parce qu’elles savent s’occuper et trouver de la force dans des occupations mineures, austères, qu’elles savent modestes et sans gloire, mais dont elles ont expérimenté les vertus thérapeutiques.

Une mienne collègue médecin, vibrante comme une corde d’arc, gastro-entérologue dans un temps où cette spécialité était très largement masculine (comme le sont majoritairement les malades), m’avait dit après une séparation d’avec son légitime « Bof, moi, ça va. Et quand ça va pas, la nuit, je vais nettoyer sous l’évier et je finis toujours par me recoucher et m’endormir ».

J’y ai pensé souvent. Pas seulement quand j’allais moi même nettoyer un placard ou passer les plinthes sous un jet de vapeur, mais en visitant les résidences de personnes âgées ou les chambres dans les maisons de retraite.

Celles des femmes sont dans une immense majorité pimpantes et impeccables. Leurs propriétaires aussi. Celles des hommes demontrent jusqu’à la provocation que les pubs de la télé pour Vigor, Harpic ou Mir plus, n’éveillent chez eux qu’une attention lacunaire , voir un certain mépris.

Une confirmation -je le disais- m’a été donnée de cette résistance des femmes (les culturés diraient « résilience ») par les chiffres des suicides d’âgés : les femmes âgées se suicident trois fois moins que les hommes de même âge.

Souffrent-elles moins ? Non, bien sûr, mais tout le temps qu’elles ont un semblant de chez elles, et même quand elle n’ont plus à elles que leurs corps à habiter, elles savent mieux que les hommes que défendre l’un et l’autre, c’est se défendre soi, défendre ce drôle de truc indéfinissable sauf quand il est menacé qu’est la vie.

Ma connaissance de l’âge, celle que j’ai déjà, celle que j’acquiers chaque jour à force de lectures, de rencontres, d’auditions, me fait chaque jour davantage apprécier les femmes. Que les hommes me pardonnent, je ne les aime pas moins pour autant.

 

 

 

Suicides de vieux

Pas de saison, le sujet ? Mais si, justement, en plein coeur.

L’un, l’une à vrai dire, a sauté du 5 ème étage de la résidence-foyer dont elle avait fait son domicile. S’aidant d’une chaise pour arriver à bonne hauteur de la rambarde du balcon. Elle qui répondait toujours au rituel « Comment ça va ? » par « Bien, et vous ? », écoutant attentivement la réponse.

L’autre s’est tiré un coup de fusil dans la bouche. Suicide d’homme, façon Hemingway à Key West. Exclusivement d’homme, pour l’instant. Et pour cet homme-là, d’homme qui se sait malade en même temps que vieux. Les deux font bien souvent la paire.

L’autre encore, masculin lui aussi, a marché avant de s’ensevelir dans un fossé pour y mourir tranquille, loin de tout, à l’abri. Un peu comme ces hommes du grand nord qui marchent dans le froid jusqu’à être pour toujours arrêtés par lui et figés sur place.

Les suicides d’âgés augmentent en nombre et l’été leur est propice. L’été où la solitude est plus grande, l’isolement de tout et de tous. L’inutilité, le vide, la révolte.  le regret sans doute de la splendeur du monde et d’une vie autre.

Ils ne sont jamais un appel au secours. Suicides radicaux dont on sait qu’aucune main ne pourra les interrompre. Suicides d’adultes déterminés. Les trois que j’ai raconté, survenus dans les deux jours précédents le disent assez.

Qu’en dire de plus ? Que nous en sommes tous comptables : proches à tous les titres de proximité possible, parents, pouvoirs publics. Ces derniers, à la fois en priorité pour tout ce qui est en leur pouvoir, et bien impuissants quand on sait que ce sont les dernières heures qui emportent  la décision.

L’été. L’été meurtrier.

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel