C’est la vie !
Combien de fois, combien de fois (presque toutes) ai-je entendu ces trois mots dans un soupir, une sorte de haussement d’épaule, de gêne, d’acceptation, de dérision, dans de multiples tonalités, quand un de mes malades venait de mourir ?
Combien de fois. A tel point, que je l’attendais. Qui le dira le premier ? Encore dans la chambre ou seulement dans le couloir, quand l’évidence brutale de la mort vient d’arriver à la conscience ou peu après, quand il s’agit déjà de s’en libérer ?
« C’est la vie ». Ces trois mots ridicules et paradoxaux quand c’est clairement de la mort qu’il s’agit et que la question est de la tenir à peine à distance tout en affirmant qu’en effet, le dernier instant fait partie intégrante de la vie.
C’est l’instant d’avant et tous les autres encore avant que nous avons vécu aujourd’hui au centre de soins palliatifs de Rueil Malmaison. Nous : le Président de la République (c’est plutôt agréable à dire) et « ma » Ministre, Marisol Touraine.
Très belle visite, non en raison des visiteurs mais des visités. Exemplaires, habités, transcendants, de cette pâte particulière que seule la médecine -pas n’importe laquelle- m’a donné de pratiquer et quelquefois de partager.
Le centre s’appelle « Notre dame du lac » et le lac est le dernier vestige de l’hôtel de Richelieu dont il ne reste pas même une photographie. Un centre de soins palliatifs et de soins de suite de neurologie de 40 lits qui fut novateur puisque dès 1946, il s’installa dans ce rôle, innominé alors, du « soin » quand il se sépare du « traitement » et du projet de guérison.
Il n’y fut question, tout le temps de notre visite (mais certainement avant et après elle) que de vie. Jusqu’au dernier moment, jusqu’à l’instant ultime, la question, le projet, l’ambition de l’équipe, des malades, c’est la vie ; et tout ce que nous y avons partagé, c’est une sorte de bonheur d’une variété peu banale mais pour autant à la portée de tous qui vient du désir de porter et de recevoir des signes que ce bonheur existe.
J’en conviens, l’expression de ce que j’essaye de traduire est un poil emberlificotée. Ce que nous avons partagé ne l’était pas. Au contraire. Comme la lumière, le temps et deux ou trois choses du même ordre, c’était une réalité indéfinissable mais une réalité absolue.
Et puis, encore une chose : le plaisir de retrouver le vrai Hollande, l’homme Hollande, loin du formalisme obligé du Conseil des Ministres, fin connaisseur de ce désir intime de donner sinon du bonheur, quelque chose qui s’en rapproche, en quelques mots, une manière de sourire, d’ouvrir son visage vers l’autre.
« C’est la vie ». La vie dans sa quintessence, son fil impalpable, dont je retrouve la légèreté rien que d’en parler.
Merci à toute l’équipe du lac et à Monsieur de Richelieu qui a eu l’idée de le faire couler à Rueil.