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Algérie : le deuil impossible

Je n’en ai presque jamais parlé, jamais écrit si ce n’est à quelques amis algériens morts aujourd’hui, je n’y suis jamais allée avant et pendant la guerre, et pourtant l’Algérie fait partie des fils de trame qui ont tissé ma vie.

De près ou de loin. Dès l’enfance et longtemps après. Dès les premières années de la guerre, je connaissais le nom de toutes ses villes. Le téléphone sonnait, quelquefois la nuit, pour avertir mon père qu’un soldat du contingent né en Basses-Pyrénées (elles s’appelaient ainsi et nous habitions Pau) avait été tué à Biskra ou à Philippeville. Mon père à son tour prenait son téléphone..

D’autres souvenirs… J’ai suivi entre 54 et 62, la guerre d’Algérie pas à pas. Dix ans après, j’y suis partie à la fois sur les traces de Camus et sur celles de ses villes qui avaient changé de nom. J’y suis retournée à plusieurs reprises pour les mêmes raisons, j’y ai visité les caches des Moudhahidin dans les montagnes de Kabylie avec l’un d’entre eux, j’ai grimpé les escaliers qu’avait grimpé Camus à ses diverses adresses, je me suis abonnée aux journaux, j’ai beaucoup lu..

A Bordeaux, pendant ce temps, le Grand Parc qui allait recevoir de nombreux rapatriés et le pont d’Aquitaine se construisaient. Je suivais mon père sur ces chantiers dont il ressentait une grande fierté.

A Alger, les rues ont changé de nom. Mais je connais l’histoire de ceux dont elles portent aujourd’hui le nom, comment ils sont morts et, autant que faire se peut, qui ils étaient. Didouche Mourad, Amirouche et ceux, aussi, qui n’ont à ma connaissance pas de rue à leur nom, comme Krim Abdelkassem, le Kabyle.

Dans les journaux, apparait aujourd’hui la légendaire photo des négociateurs des accords d’Evian. Sans doute rien d’autre n’était possible mais la suite a montré qu’ils n’avaient réglé qu’une part de ce qui devait l’être, qu’ils étaient sans doute trop tardifs, que ce qui est venu après fait qu’aujourd’hui, de ce côté et de l’autre de la Méditerranée, personne n’en fait victoire.

J’étais presque de la génération des « appelés du contingent », en tout cas, tant de mes amis médecins « sont allés là bas », y ont passé quelques mois ou quelques années, dans l’atmosphère apparemment biblique de l’Oranie, dans les gorges des Aurès, dans les montagnes de Kabylie. Pendant des années, eux non plus n’ont rien dit. Comme le feront sans doute nos soldats de retour d’Afghanistan.

J’aime l’Algérie comme un parent qu’on a trop peu connu et qui a fait sa vie loin de vous. Aujourd’hui, l’immense majorité des Algériens n’était pas née dans la période de la guerre et tarde à s’en réjouir car la « liberté » n’a guère de sens si elle n’est accompagnée d’un avenir, d’une bonne vie, de l’espoir d’une meilleure encore.

Algérie. Le deuil impossible d’une enfance qui est déjà d’un autre temps.

Les Français ne sont pas un camembert que l’on découpe

Non, les Français ne sont pas des sections de camembert que l’on peint en couleurs différentes pour les distinguer, les diviser ou démontrer leur importance relative.

Les Français sont, comme la République elle-même : uns et indivisibles.

« Indivisibles » est pour autant une qualité fragile et, pendant 5 années, le Président de la République et son gouvernement ont fait leur possible pour le démontrer. Incapables de présider une France unie, ils ont usé et abusé de l’éternel précepte : « diviser pour règner ». Pas grandiose. Et la campagne électorale, avec sa succession de boucs émissaires, en montre aujourd’hui les fruits.

Il y a dans la constitution de notre pays une formulation ancienne qui interdit de définir des « sections de peuple ». Ces simples mots ont soulevé beaucoup de problèmes et imposé une révision constitutionnelle quand il s’est agi d’instituer la loi sur la parité. Il ne pouvait être question de favoriser une « section » entre hommes et femmes.

Au moment où cette constituion a été rédigée, les camemberts qui illustrent aujourd’hui le moindre exposé, le moindre article de fond, pour définir des groupes et donner à voir leur part respective, étaient d’un usage beaucoup plus réduit. A preuve que le vocabulaire peut s’actualiser sans le savoir : les Français ne sont pas davantage des sections de camembert que des sections de peuple.

Immigrés ou de souche, jeunes ou seniors, actifs ou chômeurs, la perméabilité est grande entre les groupes et l’unité supérieure à la division. Un exemple très concret : parmi les Français vivant sous le seuil de pauvreté, 80 % n’habitent pas dans les zones urbaines sensibles. Nous en avons la démonstration à Bordeaux : 25% de Bordelais sous le seuil de pauvreté et pas ou presque de zones urbaines sensibles (ZUS). De tous, il y a partout.

Le peuple est plus grand que les parts qui le composent. Un des enjeux majeurs d’une élection présidentielle devrait être de le lui rendre perceptible et de lui faire percevoir et partager son destin collectif.

C’est ce qu’Hollande exprime avec « le rêve français »; Je n’étais pas fanatique de la formule. « Rêve » signifie pour moi « ce qui n’est pas réalité » et le rêve français depuis des décennies et même des siècles existe bien et a mobilisé tant de nos parents et aïeux. Pour autant, je me suis ralliée : « rêve » beaucoup mieux qu’ « objectif » , « projet » ou « ambition », rend compte de la part d’espérance indispensable à la conception et à la construction d’un destin collectif.

Personne ne se sauvera seul. Ni ceux qui gagnent plus d’un million d’euros par an, ni les 10% qui possèdent 50 % du patrimoine de la France, ni aucun des autres. Les premiers ont le droit de concevoir, que dans une période de difficultés extrèmes, gagner en un an ce qu’un smicard obtiendrait en 2 vies, est indécent. Aux autres, il n’est pas interdit de comprendre que la réussite des uns peut constituer un moteur pour celle des autres.

Ce n’est pas un scoop : nous n’avons chacun qu’une seule vie et elle dépend bien davantage des autres que de nous mêmes. Maladie, épreuve professionnelle, simple accident de voiture, tout, chaque jour nous le rappelle.

Trop pourtant, nous le fait oublier et je crois que ce grand moment de la politique qu’est une campagne présidentielle est d’abord un rendez-vous avec ce destin collectif.

Excessif et lourdement significatif

J’accuse à mon tour Fillon d’une récupération malséante, excessive et pour tout dire honteuse.

Se souvient-on du motif de l’historique « J’accuse » de Zola : il dénonçait la condamnation honteuse du capitaine Dreyfus et l’antisémitisme dont elle était porteuse.

Quelle médiocrité, quelle abjection, de comparer le programme de François Hollande à cette faute historique et à la dénonciation d’un antisémitisme haineux !

Pour la 2ème fois (la 1ère était de se mettre dans la roue des « abattages rituels »), Fillon sort de la réserve Sarthoise et de la modération qui constituaient sa force.

Talleyrand disait « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». C’est dans la campagne présidentielle de la droite, tout le contraire : tout les excès qu’elle s’autorise est significatif de ce sur quoi elle s’appuie.

Immigration : bonne question, médiocres réponses

Oui, l’immigration est un vrai sujet, méritant que l’on en parle et qu’on y apporte une analyse posée et des réponses responsables à l’occasion d’une élection présidentielle.

Oui aussi, et malheureusement, le débat avarié sur la viande Halal, la dénonciation du « trop grand nombre d’immigrés » constitue une réponse pour laquelle « médiocre » est un faible qualificatif. Les propos de Marine le Pen, repris à Bordeaux par Nicolas Sarkozy, n’étaient pas des réponses, ils étaient là pour accutiser la question, tendre le débat, voire prendre le risque de provoquer des réactions violentes.

Le chiffre de 2,9 millions d’immigrés, avancé par Sarkozy et qualifié d’excessif, ne veut rien dire. Immigrés de quel pays, de quel continent ? D’outre Rhin, d’outre-mer ou d’outre-méditerranée ? De qui parle-t-on ? Quel est le chiffre considéré comme satisfaisant, admissible ? Que Sarkozy s’exprime au lieu d’attiser les peurs et de les utiliser !

Le noeud gordien de la question de l’immigration est sa répartition ou plus justement sa concentration . Une politique du logement imbécile a concentré les migrants du sud dans quelques dizaines de quartiers où on continue de les concentrer. La faute originelle dans notre pays est de ne pas tout mettre en oeuvre pour faire éclater la ghettoisation qui continue au contraire de s’aggraver dans chacune de nos grandes villes et autour d’elles.

Résultat : des quartiers entiers de noms labellisés « bien de chez nous », sans une exception où l’on cultive l’entre-soi comme un des beaux arts, sans savoir qu’il est au contraire ce par quoi les civilisations sont mortelles. Cette phrase de Valéry, Claude Guéant, à l’instar de son Président, ne la connait sans doute pas. On ne lit jamais assez cet apparent pisse froid de Valéry.

Et, bien séparé des précédents, des quartiers refermés sur eux-mêmes, où le communautarisme n’est même pas une volonté mais une conséquence inéluctable, où quelquefois la République se retire, laissant l’ordre aux mains des fauteurs de trouble et des commerces parallèles.

A toujours constitué pour moi une immense interrogation, le fait que lors des révoltes dans les banlieues ce sont les quartiers mêmes de ceux qui se révoltent qui sont saccagés, les voitures de leurs proches qui sont brûlées .. C’est au fond compréhensible : la haine mal formalisée de cet enfermement, de ces quartiers où l’on erre faute d’un job, d’une perspective, d’un équilibre social.

C’est de cet enfermement que nait la repli communautariste et, avec lui, le repli sur une religion portée comme un instrument politique. Je dis « portée » sans négliger le sens premier du mot : longs vêtements, calots, barbes des hommes, foulards, burkas des femmes, sont d’abord des drapeaux que l’on agite… Et dans lesquels tant de nos politiques foncent, quand ils n’y ajoutent pas les boucheries halal et les horaires de piscines.

Contre cette ghettoisation, qu’a été « le plan Marshall des banlieues » de Sarkozy ? La réponse est courte : rien. Et c’est ce même Sarkozy qui aujourd’hui utilise le chiffon rouge de l’immigration alors que c’est celui de la défaite absolue à toutes les guerres qu’il a déclarées en 5 ans (guerre à la délinquance, à l’insécurité, à la fraude …) qu’il devrait piteusement tenir serré dans sa poche avant de se retirer.

Quoi faire, quoi faire ? Remettre de l’éducation dans ces banlieues, imposer de la mixité réelle dans tous les projets immobiliers, imposer la mixité scolaire dans tous les établissements publics ET privés, quitte à transporter les élèves d’un quartier dans l’autre, mettre de l’emploi dans les quartiers, y construire des établissements d’excellence, matraquer financièrement les villes qui ne font aucun effort ni pour le logement social ni pour la mixité sociale (notre ville en est le bon exemple).

Je dis tout cela en vrac. Comme Ségolène lors de son débat de 2007, « je-suis-en-co-lè-re ». En colère qu’après n’avoir rien fait de substantiel, la seule mesure que l’on propose à droite soit l’étiquetage de la viande selon le mode d’abattage. Voilà, c’est sûr, c’est cela qui sauvera la République !

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel