France Allemagne : le pacte des chefs de partis
Une image a marqué l’histoire : la haute stature du Général de Gaulle à côté d’Adenauer, petit et frèle, scellant à Reims la réconciliation franco-allemande
Cinquante ans après, les silhouettes, leur taille respective, ne sont plus les mêmes et le changement de proportion dit plus qu’un long discours. La France n’a plus, sur aucun plan, le port et stature du Général et la Chancelière Merkel vient aujourd’hui en soutien électoral du candidat Sarkozy, contrevenant en cela aux principes des chefs de gouvernement allemands de n’intervenir dans aucune des campagnes électorales de leurs voisins.
Est-ce raisonnable ? Est-ce utile ? Et à qui ?
« Raisonnable » n’est pas le mot juste. « Est-ce du niveau d’un chef de gouvernement ? » est plus approprié. Mme Merkel a donné la réponse elle-même en disant qu’elle se présenterait aux meetings de Nicolas Sarkozy « en chef de parti ». Alain Juppé le confirme explicitement en soutenant qu’ « il est tout à fait naturel que Merkel soutienne Sarkozy ».
Je diverge radicalement de l’avis du Ministre des Affaires étrangères : Mme Merkel, chef de gouvernement en exercice, représente aux yeux des Français l’Allemagne et non pas la CDU-CSU. Cet Etat, qui a à traiter avec tous ses partenaires européens quelle qu’en soit la majorité n’a pas à intervenir dans notre campagne électorale. Les Français, sensibilisés par l’overdose de références à l’Allemagne et le merkozisme que les deux chefs d’Etat tentent d’imposer, ne l’apprécient guère et à vrai dire, les Allemands non plus ; et ceci jusque dans le parti de la chancelière.
Auquel des deux est-ce le plus utile, si tant est que ça le soit ? Sarkozy ne peut faire campagne sur son bilan, ni sur son image à l’intérieur de nos frontières, plus rejetée encore que sa politique. Il lui reste la diversion, la succession d’écrans de fumée chaque fois que tombe un chiffre qu’il faut masquer, et le mirage d’une stature internationale. Il tente pour cela de se forger une position de garant de la solidité du couple franco-allemand, jouant en contrepoint du manque d’élan de la chancelière envers François Hollande.
Dans son intervention télévisée multi-chaines, Sarkozy a cité l’Allemagne 15 fois, mettant chacune de ses propositions sous protection germanique comme si invoquer à répétition les bons chiffres de l’Allemagne, avait la moindre chance d’améliorer les nôtres. Il tente aussi régulièrement de se présenter en partenaire égal, capable de rallier à ses vues une chancelière qui ne le démentira pas dans les médias français et jouera la bonne fille pour le présenter face à nos micros comme un pilier du sauvetage de l’euro.
La présentation est à l’inverse outre-Rhin. Merkel utilise Sarkozy pour imposer son autorité chez elle. Elle vend sa politique de rigueur en martelant que Sarkozy la partage et que si tous les deux vont dans le même sens, les autres les rejoindront. Elle redoute comme la peste la promesse de Hollande de renégocier le traité européen (qui devra être ratifié après l’élection présidentielle qui donnera pleine légitimité au nouveau Président) et aujourd’hui reconnaissons que la crainte de François Hollande constitue le lien le plus solide entre les deux compères.
Merkel en tant que personne est populaire en Allemagne. A l’inverse de Sarkozy, elle peut se prévaloir d’un taux de sympathie de 64%. Mais son parti fait aujourd’hui avec 36 % juste un peu mieux dans les sondages que le SPD (autour de 30%), tandis que leurs partenaires respectifs plombent lourdement les chances de réélection de la chancelière en 2013 (libéraux 3% pour elle, verts 16% pour le SPD).
Entre les deux chefs d’Etat, on peut, de plus en plus sérieusement, se demander lequel joue le rôle de la corde ou celui du pendu. A preuve, le magazine « Der Spiegel » qui titre cette semaine « Merkel, Sarkozy : le pacte du désespoir ».
Il y a 50 ans, le pacte de coopération signé par Adenauer et de Gaulle était tout entier tourné vers l’avenir, c’était même son sens profond. Le pacte entre Merkel et Sarkozy ignore cette dimension. L’Europe elle-même en est absente.
Juppé a raison : il s’agit bien de deux chefs de partis, pas de deux chefs d’Etat.