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« Eloge du rire sardonique »

Vingt-huit années de différence d’espérance de vie entre les uns et les autres. Habitants du Bangla Desh d’un côté, des Hauts-de-Seine de l’autre ? Point du tout, cette différence qui est à elle seule presque une courte vie, on la trouve entre les Glaswégiens des quartiers riches, le sud et l’ouest de la ville comme partout, et ceux des quartiers pauvres. Ces Glaswégiens ne sont pas loin de nous ni spatialement, puisqu’il s’agit de Glasgow, ni temporellement puisque la statistique que l’on croirait venir de l’époque victorienne est bien actuelle.

Vingt-huit ans : on en arriverait presque à donner raison à Eric Woerth qui compte l’espérance de vie comme un mauvais paramètre de la pénibilité du travail. Ces Glaswégiens de l’est et du nord sont bien souvent chômeurs, et le Ministre pourra à la rentrée soutenir le syllogisme que moins on travaille plus on meurt tôt et qu’il faut reculer au-delà de 80 ans, l’âge de départ à la retraite.

La lecture du Monde diplomatique d’où j’extrais ce chiffre terrible est rarement réconfortante et la livraison d’août, qu’on a le temps de lire plus à fond, ne manque pas à la règle. La culture battue en brèche par l’intégrisme et le « salafisme » officiel en pays musulman, l’exode urbain devenu un exil rural économique, beaucoup quittant aujourd’hui la ville car ils n’ont plus les moyens de s’y loger… Un article après l’autre interroge, bouscule et attriste.

Je fais une échappée vers le canard enchaîné : le récit en quelques lignes des bons principes d’une lapidation réussie est pire encore que tout le « diplo » où je retourne. Sa dernière feuille « Eloge du rire sardonique » apporte la seule conclusion possible à ce morceau d’après-midi de lecture.

Les mots déchus

Un article de Libération (« La tyrannie de la toilette ») me fait souvenir d’un de ces mots que j’ai connus dans la vigueur de son usage et qui s’est éteint. L’un au moins de ses usages.

Dans les années 50, si on ne parlait plus d’ « atours », on disait encore couramment « la toilette » au sens de vêtement, ou plutôt de l’ensemble de vêtements et d’accessoires qui est de mise pour une occasion. Pour le Grand Prix de Pau, ville où j’habitais, une femme portait « sa plus belle toilette ». Elle n’en avait souvent pas un si grand nombre mais toutes avaient un sens, une intention et supposaient des heures de travail de couturière par ses petits plis, son drapé ou ses incrustations. Une femme qui avait « le goût de la toilette »avait généralement du goût, mais surtout elle aimait paraître et montrer qu’elle savait avec justesse adapter sa tenue aux heures et aux situations.

La « toilette » n’était pas l’apanage des plus riches. Ma grand-mère, paysanne qui ne s’asseyait pas à table, se tient aujourd’hui encore sur ma cheminée dans sa plus belle et seule toilette et avec quelle dignité, quelle obscure fierté, non pour elle, mais pour sa race, j’oserais dire pour sa classe. J’interprête sans doute, en connaissance de ce que fut sa vie, mais il y a dans cette toilette impeccable, dans sa posture très droite, sans concession à l’abandon ou au confort, une volonté d’être respectée pour ce qu’elle est qui est comme une leçon.

Bien souvent, dans une conversation, dans une lecture, je m’interromps un instant. Tel mot m’est aimé plus que d’autres, tel autre me déplait ou me fait peur (tel « déchéance » dont j’ai parlé dans un billet antérieur). Tel autre me frappe car il parait ressorti d’une vieille armoire, dont cette « toilette » dont Libération dénonçait la tyrannie … dans les années 1910. Tous, si on s’y arrête, racontent une histoire et un seul peut en contenir mille.

Le discrédit des lois

« Je ne vois rien de comparable dans notre Histoire proche ou lointaine à ce qui se passe en ce moment. Jamais les conséquences d’une politique n’ont accablé ses auteurs dans un délai aussi court ».

Le bloc-notes de Mauriac en 56. C’est Guy Mollet qui va prendre un lourd paquet dans les lignes qui suivent ces deux-là. C’est aujourd’hui à un autre qu’on pense.

Les unes après les autres, à un rythme qui s’accélère, les lois qui nous ont été imposées se dégonflent. Leurs effets attendus, ou du moins promis à grande publicité, se montrent ou néfastes ou nuls. La cathédrale de papiers de la rupture s’effondre pans après pans.

La première votée a été aussi la première à s’écrouler. Des trois volets de la loi TEPA, que reste-t-il de crédible ? Le bouclier fiscal est rapidement devenu le boulet fiscal et il est aujourd’hui le boomerang fiscal que l’affaire Woerth renvoie à la tête de ses auteurs. Remboursement de 40 millions d’euros à la plus généreuse donatrice de l’ump et autres arrangements ne laisseront pas le gouvernement indemne. La défiscalisation des heures supplémentaires qui devait doper l’emploi et récompenser ceux qui voulaient « travailler plus pour gagner plus » n’a produit ni relance, ni confiance et pas davantage de pouvoir d’achat. L’exonération d’impôts pour les intérêts d’emprunts pour l’achat d’un logement a si fortement alourdi la dette que le gouvernement lui-même est contraint de revoir la copie et d’accepter avec trois ans de retard ce que nous plaidions à l’Assemblée : la mise sous condition de ressources et la réservation aux seuls primo-accédants à la propriété.

La loi sur la récidive, pilule particulièrement amère n’a pas davantage fait diminuer la récidive que la délinquance. Elle n’a fait qu’engorger les prisons : moins cependant qu’on pouvait le craindre, la majorité des juges se faisant une règle de ne pas l’appliquer.

La diminution de la taxe sur la restauration de 19,6 à 5,5% a fait un coûteux flop. Flop en terme de création d’emplois, de baisse des tarifs et de sauvetage des petites entreprises en difficulté. Une inconnue : son impact sur les adhésions à l’ump, puisqu’un bon d’adhésion était joint par le Ministre à la lettre d’annonce de cette mesure qui nous a coûté la paille de 4 milliards d’euros.

Le travail du dimanche devait lui-aussi permettre aux salariés « volontaires » d’arrondir fortement leurs fins de mois puisque le salaire devait être doublé le dimanche. Il n’en a rien été : comme nous l’avions prévu, les volontaires du dimanche n’ont guère le choix, les fraudes s’accumulent et peu fréquents sont les cas où le salaire est éffectivement doublé.

Je cherche sans trouver des lois pour lesquelles nous ayons connaissance d’un bilan positif. Elles existent sans doute, ne soyons pas manichéens, mais sont à l’évidence si marginales que même la droite ne pense pas à s’en glorifier.

« Notre malheur, c’est cette pérennité à Paris d’une équipe de malheur. Le constater ce n’est pas céder à la passion politique. La chute de Monsieur Woerth ne sauvera rien puisqu’il sera remplacé par un autre lui-même ».

C’est Mauriac de nouveau qui parle. A deux mots près.

Parfum de vacances

Commencé la journée avec Lucrèce, commenté par une philosophe qui avait, à s’y méprendre, la voix et le ton chic de Christine Lagarde. Tout à l’heure, ballade comme si on y était, la culture en plus, dans Buenos Aires, en m’attaquant à une tranche de pastèque grande comme une roue de charrette.

Hier soir, après le rayon vert (le vrai, le fugitif rayon vert, juste devant ma fenêtre), un long commentaire politique sur les deux Corées, passé, avenir et soubresauts. Tout cela, avec un petit poste, excellent, gros comme une boîte de sucre en morceaux.

Tout cela aussi pour rendre une fois hommage à France-Culture, affectueusement nommée dans la maison, pour lui enlever tout caractère guindé, « France cul ». France cul sans lequel nos étés seraient bien démunis.

Nos hivers aussi. Mais avouons-le, hors de cette parenthèse de grand large, la nécessité de suivre l’actualité politique comme un gros chien qui renifle et essaye d’en décrypter toutes les odeurs, me détourne souvent vers d’autres fréquences. France cul a pour moi, comme le simple fait de déposer ma montre dans un tiroir pour ne la reprendre qu’au départ, comme le courant d’air qui tape les portes à grands risques pour les chiens et les chats qui viendraient à s’y faufiler, un riche, entêtant et toujours renouvelé parfum de vacances.

Nadine Morano attribue à Elisabeth Guigou ce qui appartient à Alain Juppé

Faut-il même en sourire ? La première zélote de Nicolas Sarkozy ne prend, avant ses déclarations tonitruantes, pas même le soin de demander à son cabinet de vérifier ce qu’elle va dire. Elle est à bon exemple : Nicolas Sarkozy lui-même aligne sans sourciller les fausses vérités, les chiffres arrangés et les comparaisons fautives. Sa dernière intervention télévisée en a donné un florilège.

Concernant Nadine, Elisabeth et Alain, de quoi s’agit-il ? Du sujet très sensible de la déchéance de nationalité. Voulant une fois encore soutenir les paroles imprudentes du Président, Nadine s’est référée à Elisabeth Guigou qui aurait en 1998 étendu cette possibilité aux actes de terrorisme.

Double erreur. EG a au contraire limité cette possibilité en l’interdisant pour toute personne que la mesure rendrait apatride. Et en abrogeant un décret du mémorable Charles Pasqua qui permettait de l’étendre aux crimes de droit commun.

Celui qui a étendu la possiblité de déchéance de la nationallité, c’est Alain Juppé. Qui doit aujourd’hui vivre avec tristesse que Nadine Morano ne l’ait pas considéré comme une caution morale suffisante et lui ait préféré Elisabeth Guigou. Je ne me prononcerai sur ce point, d’autant que c’est Jacques Toubon qui officiait alors au Ministère de la justice dans le gouvernement d’Alain Juppé.

Intentionnels ou pas, ces quiproquos, ces bricolages destinés à enfumer le débat, atteignent une fois encore la force de la parole publique. A laquelle on devrait pouvoir se référer.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel