m

Les partenariats publics privés à l’index

La Ministre de la Justice, Nicole Belloubet, vient de rejeter l’idée de construire les 15 000 places de prison figurant dans le programme d’Emmanuel Macron via des partenariats publics-privés.

Cette décision est solidement étayée par plusieurs rapports de la Cour des comptes dont le principal, en 2015, et le dernier concernant la justice en 2017. De tous ces rapports résulte une sanction sans appel : ces partenariats, très coûteux à toutes les étapes de leur déroulement, grèvent le budget de l’Etat ou des collectivités qui y recourent. La mise en garde est sévère contre leur utilisation qui ne vise qu’à « différer le paiement d’une dépense et donc la constatation d’une dette ». Et en fait, cette dépense, les « PPP » l’augmentent largement, voire ils la multiplient.

Il serait long de résumer les rapports. Retenons-en seulement les constats principaux faits à partir de tous les cas analysés : insuffisance de mise en concurrence, procédures de transparence méconnues, suivi insuffisant des contrats, impact sur la situation financière des collectivités à moyen et long terme…

La Ville de Bordeaux n’a malheureusement que trop usé de cette formule de « partenariat » très inégal pour deux équipements majeurs : le Grand Stade et la cité municipale. Je ne donnerai ici que le « stock de dette » facture » de la Ville (c’est-à-dire des  Bordelais) pendant 3 années consécutives. Les chiffres sont issus du compte administratif annuel.

Cité municipale 2014 : 31 116 371,82  ; 2015: 29 504 025 ; 2016 : 27 895 697, 44 euros.

Grand Stade 2014 : 123 953 938  ; 2015 : 122 275 865, 20;  2016 : 119 203 943 euros.

La Cour des comptes considère que le coût total des loyers passés sera de 310 millions d’euros  , soit pas très loin du double de ce qu’il aurait été en maîtrise d’ouvrage directe (186 millions). Vinci et Fayat ne s’en plaindront pas.

Pourquoi cette folie de partenariats ? La Cour des comptes l’a exprimé clairement : pour ne pas imputer la dépense sur la dette de notre collectivité. Lors des échéances électorales, creuser la dette n’est pas très porteur. Mieux vaut faire porter le coût sur les successeurs aux responsabilités…

Ces mauvais comptes ne font pas les bonne mairies, et c’est pourquoi la Cour des comptes met en garde ceux qui seraient tentés d’utiliser cette formule de (faux) partenariat en indiquant qu’on ne doit les mettre en oeuvre que, strictement, pour des équipements d’intérêt public. Les stades ne sont pas de ce point de vue en tête de peloton.

Dans le même esprit, la Ministre de la Justice, bien qu’à la tête d’un budget très contraint, réfute les PPP pour la construction des prisons. Salut à elle !

 

 

 

 

 

 

 

 

Menace sur les biens publics

Nous avons fait au fil des années l’expérience catastrophique de la vente des autoroutes au privé. Il s’en est suivi pour les Français une hausse constante des tarifs, et pour l’Etat, dans l’incapacité de renégocier les contrats de cession, une perte de revenus toujours croissante, alors que les bénéfices des actionnaires augmentaient continûment. Un rapport de la Cour des Comptes de 2013 a sanctionné le fiasco de ces ventes et nous pouvions espérer que la leçon aurait servi définitivement d’expérience.

La menace qui pèse aujourd’hui sur les deux aéroports parisiens, Roissy et Orly, démontre, au contraire, que les gouvernants n’apprennent rien. Ces deux aéroports sont les deux plus grands aéroports français, ils détiennent une part majeure des transports de passagers venant ou partant de France et leur fréquentation -et donc leur rentabilité- est en constante augmentation. Cette forte fréquentation est bien sûr un atout économique, elle peut s’avérer, en des temps troublés, constituer aussi un enjeu stratégique, car Paris est évidemment une plaque tournante majeure du transport aérien . L’acheteur éventuel est, comme pour les autoroutes un géant du BTP (Vinci en l’occurrence). Le prix avancé est de 8,5 milliards.

Quel est l’intérêt de ce « one shot » pour notre Gouvernement ? Je n’en vois qu’un et de court terme : afficher un meilleur équilibre budgétaire. Les inconvénients, voire les risques, sont d’une autre importance : privation de recettes régulières et croissance, perte complète d’autonomie de décision et de négociation en cas d’augmentation des coûts de location. Dans dix ans, nous serons tout aussi paralysés que nous le sommes en face des gestionnaires d’autoroutes, de parkings.. et de tant d’équipements imprudemment délégués au privé pour des raisons financières immédiates.

S’il y a un mouvement d’opinion, une pétition à lancer, c’est maintenant. Demain, il sera trop tard, comme ont été sans effet les mouvements en faveur du rachat des concessions autoroutières.

lire à ce sujet un article de « la Tribune » , journal économique peu suspect de gauchisme

 

 

 

Et les femmes qui n’ont ni salaire, ni parole ?

L’égalité des salaires entre femmes et hommes est un juste combat. Mais quand parlerons-nous de celles qui n’ont ni salaire, ni parole, sortent peu ou pas de leur domicile où leur activité se résume au service de la famille ?

Lors d’une de mes campagnes cantonales, dans un quartier de Bordeaux, qualifié de « sociale », je frappe une fin de matinée à la porte d’un appartement, mon projet pour le quartier à la main. Derrière la porte, une voix féminine et jeune, demande « qui est là ? ». Je décline mon identité et le motif de ma visite : je serais heureuse de me présenter et de présenter mon action pour le territoire, comme il est de règle dans cet exercice extrêmement instructif qu’est le « porte-à-porte ».

La voix réponde « ô madame Delaunay, je serais si contente de parler avec vous, mais le matin en partant, mon mari emporte la clef.. »

No comment. Je suis restée paralysée sur le pas de la porte. Cherchant ensuite ce que je pouvais faire, j’ai écrit au bailleur social pour qu’il fasse une circulaire expliquant que pour des raisons de sécurité, tous les habitants devaient pouvoir à tout moment sortir de leurs appartements. Je crains que cela n’ait été d’aucune utilité réelle dans le cas précis. La circulaire, qu’elle ait été affichée ou déposée dans la boite aux lettres n’est sans doute jamais parvenue à l’épouse.

Le féminisme d’aujourd’hui doit être aussi, et sans doute surtout,  un féminisme social. Reconnaissons-le, les sujets évoqués par mon histoire, ne sont pas les plus faciles à porter. Ils sont pourtant les plus nécessaires et s’il y a une exigence envers les religions, les cultures, les traditions, c’est d’oeuvrer dans le sens de l’égalité des droits entre femmes et hommes. J’emploie une formule très pondérée « oeuvrer dans le sens », car la brutalité peut être lourdement contre-productive.

La loi imposant la possibilité d’identification des visages dans l’espace public est une bonne loi et nous devons agir de la sorte. L’obligation pour tout individu de pouvoir sortir à tout moment de son logement pourrait être un pas dans le même sens. Je suis persuadée que c’est dans cette direction  que ce Gouvernement devrait continuer de travailler.

De même, les femmes qui n’ont pas accès au salaire, partent avec un lourd handicap dans la marche pour l’égalité. La formation des jeunes filles, l’inclusion dans un milieu professionnel, l’obtention d’une autonomie financière sont des conditions fondamentales d’égalité. C’est cela, en premier lieu, que je voudrais contribuer à porter.

De l’âgisme au dégagisme

La parenté de son entre deux mots n’est jamais tout à fait indifférente. Deux, relativement récents, et l’un et l’autre en pleine expansion, le confirment ; Le premier, « âgisme », né en 1969 de la bouche d’un gérontologue américain, signifie « discrimination du fait de l’âge » ; le second « dégagisme » est devenu populaire à la faveur du printemps arabe  (2011). Il a aujourd’hui droit de cité dans notre pays pour exprimer la volonté de « dégager » ceux qui étaient antérieurement en situation de  pouvoir.

Subrepticement, les deux mots se sont largement rapprochés. « Dégagisme » a couvert bientôt la volonté de voir des têtes nouvelles, puis de renouveler les générations et ,de fil en aiguille, de remplacer les plus âgés par de plus jeunes.

La campagne, puis l’élection d’Emmanuel Macron a fait beaucoup de ce point de vue. À ce jeune Président, décidé à instaurer un « nouveau monde » en opposition à « l’ancien monde », on ne concevait pas d’adjoindre une équipe, puis des députés, qui ne soient peu ou prou de sa génération. Inconsciemment, on n’imaginait « en marche » que de jeunes et dynamiques marcheurs. Ses équipes de campagne étaient majoritairement composées de jeunes adultes  et, après l’élection, son équipe à l’Elysée, traversant pour sa « rentrée » la cour du noble palais, donnait davantage l’impression d’une délégation de chefs scouts que de politiques expérimentés. Tout cela était d’ailleurs parfaitement étudié : personne n’a déclaré « on ne veut pas de vieux » mais on l’a donné à voir. Résolument, l’heure était au jeunisme.

Et c’est là qu’on découvre un incroyable paradoxe de la langue. Le « jeunisme », c’est un avantage –et non l’inverse- donné de principe à quelqu’un du fait de son jeune âge. En 2017, un pas de plus a été fait dans sa direction. Rajeunissement de l’âge moyen des ministres avec l’arrivée de 8 trentenaires, puis rajeunissement (en même temps que féminisation) des députés. La fonction politique, porteuse jusque-là de l’idée d’expérience et d’autorité, basculait dans l’idée de renouvellement des visages et des âges.

L’essentiel est pourtant dans le renversement complet de sens entre jeunisme et âgisme, l’un de plus en plus favorable, l’autre versant de plus en plus dans la condamnation. Le « jeunisme », malgré sa nuance de critique, indique clairement une préférence pour les jeunes, un bonus qui leur est concédé. Tout à l’inverse, l’ « âgisme » est porteur d’une dépréciation, voire désormais d’une discrimination négative, et en cela il se rapproche davantage de « racisme », quelques-uns allant même jusqu’à considérer l’âgisme comme une sorte de racisme anti-vieux.

Cela ne va pas sans inquiéter, non pas à titre individuel mais à titre sociétal. Les courbes démographiques, que l’on feint encore trop souvent d’ignorer, démontrent que les plus de 60 ans constitueront bientôt le tiers de la population française, ce qui est d’ailleurs déjà le cas en Nouvelle-Aquitaine. Pourquoi ne seraient-ils pas représentés à proportion dans les instances politiques.

Plus grave encore, si l’on peut dire, ces « 60 et plus » sont majoritairement en bon état, actifs et désireux de contribuer à ce nouveau monde dont ils sont fondamentalement partie prenante, la plus grande nouveauté de ce monde étant justement la longévité et donc, la part croissante des âgés dans la société. La situation ne s’améliore guère à penser que ces « plus de 60 » sont les ex-babyboomers et qu’ils ont grandi dans une culture d’émancipation et d’autonomie prenant ses racines dans la « révolution » de mai 68 dont nous « fêtons » le cinquantenaire. Ils seront, ils sont déjà, les premiers « émancipés de l’âge » qui veulent vivre sans le subir comme un poids, disposition tout à fait contraire au consentement passif au dégagement. C’est à eux aujourd’hui d’imposer cette participation, en particulier aux instances locales, et à lutter contre cet autre mur de verre qu’est l’âge.

Ce « dégagement » est surtout une erreur sociétale majeure. La place et le rôle des « retraités » (ou pas encore retraités pour une part non négligeable d’entre eux) est le trou noir de la pensée politique actuelle. A les laisser sur le bord de la route, en les considérant volontiers comme des contributeurs désignés à l’impôt plutôt que des porteurs d’innovation, on risque d’en faire des aigris, ce qui est le moindre mal sauf…. Pour les politiques eux-mêmes. Dans les élections à forte abstention, les plus de 60 sont majoritaires à eux tout seuls, car si les jeunes boudent les urnes, eux, y sont fidèles.

Le risque, plus lourd à mon sens, est qu’ils se désengagent, alors qu’ils constituent la colonne vertébrale de notre cohésion sociale, dans les familles d’abord, dans les associations, dans les partis politiques comme dans les municipalités. Pour les deux derniers cités, je crains que cela ne pointe déjà son nez. A force de considérer les « boomers » comme une génération de nantis, n’ayant réussi que grâce à des circonstances économiques extérieures, je crains que ceux qui le peuvent au moins ne se conduisent comme tel quand il s’agirait au contraire de valoriser leurs combats et leurs apports à peu près dans tous les domaines, avec un léger bonus pour les femmes de cette génération.

On disait il y a peu qu’ «une société se juge à la place qu’elle fait aux personnes âgées ». On le dit toujours mais l’expression est en passe de changer de sens. Sa signification traditionnelle désigne le grand âge : quelle place la société fait elle aux personnes vulnérables et en perte d’autonomie ? Ce sens est toujours éminemment légitime mais il se double d’un autre : quelle place fait la société aux 15 millions de retraités actifs ? Quel rôle ? Quelle participation ? Quelle valorisation de ce rôle et de cette participation ?

J’en arrive donc au « dég’agisme » que je ne résiste pas à orthographier ainsi. Les études sociologiques montrent que la valeur et la place que l’on accorde aux âgés est un des paramètres de leur évolution cognitive : qu’ils n’aient aucun rôle, ni aucune reconnaissance, ils se replient et régressent. Au Japon, les personnes âgées sont regardées de manière beaucoup plus positive qu’aux Etats-Unis et, j’ose dire, que dans la France qui s’installe. Le risque pour ces âgés d’évoluer vers le repli et la démence est d’autant plus grand qu’on ne leur accorde ni place, ni responsabilités, qu’on ne leur manifeste plus d’estime ; quelles sont reléguées à distance de la vie des autres, ne participent ni aux assemblées, ni aux décisions, y compris à celles qui les concernent.

Il y a une dizaine d’années, on ne trouvait pas de politiques qui ne se faisaient un fort de soutenir que l’Assemblée nationale devait ressembler à la France toute entière. Diversité, professions, origine sociale… Nous en sommes toujours loin, mais nous nous en écartons aujourd’hui au regard de la part déterminante des « âgés actifs » dans la composition de notre société. Même inquiétude dans le milieu professionnel, où le « tutorat » demeure une exception et où le couperet de la retraite est bien souvent une incroyable privation de compétences et de formation.

C’est une immense révolution que la révolution de l’âge ; nous n’en avons toujours pas mesuré l’importance ni l’impact et il me semble que nous la considérons à l’envers. Qui en parle ? Qui a entendu UNE phrase sur le sujet dans la bouche de notre jeune Président ? Existe-t-il UN Ministre pour évoquer la transition démographique dans ses multiples composantes (logement, mobilité, économie..) alors que tous leurs secteurs sont concernés, des transports à l’économie et du logement à la formation.

Cette révolution ne fait et ne fera que s’amplifier, même une fois passé le dos d’âne lié au baby boom des courbes démographiques. Serons-nous assez bêtes pour faire du plus beau cadeau que nous a fait le XXème siècle, la longévité et la possibilité d’une « troisième vie », un poids ou un fardeau pour la société et, pour les personnes concernées, une souffrance ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le recul de la mixité sociale, c’est le recul de la République

L’exigence de la mixité sociale et scolaire occupe nombre de mes billets, en particulier parmi les derniers. J’y reviens à la faveur d’une note de la fondation Jean Jaurès qui mérite d’être couronnée du titre de « lecture de la semaine ».

A Paris, comme dans nos métropoles (et je pense en particulier à Bordeaux) la ghettoïsation des quartiers s’accentue d’années en années. Ce n’est peut-être pas seulement de la seule responsabilité des plus riches, mais bien souvent aussi de la politique des municipalités qui habillent des termes (pas totalement injustifiés) de « rénovation » et de « lutte contre l’habitat insalubre » la gentrification des quartiers populaires de leurs communes. Les opérations de réhabilitation des logements se solde souvent par un départ de populations qui ne reviendront pas du fait de l’augmentation des loyers. On se doute que les municipalités de droite y ont un intérêt plus marqué que celles qui s’appuient sur un vote populaire, pourtant même cette considération n’a pas un caractère absolu. Que l’ordre et la propreté soient mis en avant -comme c’est toujours le cas- et la majorité des habitants y trouve son compte.

Le drame s’acutise car la mixité sociale d’un quartier détermine en grande partie la mixité scolaire. L' »entre-soi » des quartiers riches est dommageable pour les adultes qui en viennent à partager des codes et des cultures qui les séparent des autres, il est dramatique pour les jeunes qui, dès la maternelle, âge où les a priori ne sont pas encore construits, vont voir s’imposer à eux un modèle uniforme qui ruine la découverte de l’autre, de ses différences et de ses richesses. De ce point de vue, les ghettos de riches et les ghettos de pauvres sont également dommageables.

J’ai été conseillère générale (on dit aujourd’hui « départementale ») d’un quartier de Bordeaux où  sont installés deux collèges, l’un dans la partie « Chartrons », l’autre dans la partie populaire (le « Grand Parc ». Tout y était différent, de l’atmosphère aux résultats, malgré les efforts des deux équipes enseignantes.

J’en profite au passage pour donner un coup de chapeau à Jacques Chaban-Delmas. Je ne connais pas d’autre Maire de droite qui ait créé de toutes pièces un quartier en coeur de ville comportant 80% d’habitat social. Ce quartier, « le Grand Parc » a été négligé pendant 20 ans par son successeur qui en réhabilite enfin les grands équipements mais… y concentre les nouveaux logements sociaux de la ville quand d’autres territoires en comptent 0%.

Il y a pourtant des remèdes. Par exemple, compter le taux de logement social par grands quartiers et non par communes. Par exemple, se garder comme l’envisage le Gouvernement d’ « assouplir » les exigences de la loi SRU de 25% de logement social en 2025 pour l’ensemble des communes. Par exemple, distribuer les élèves d’un quartier très social sur plusieurs collèges de la ville (le « brushing »); par exemple imposer une distribution sociale à l’intérieur des collèges privés. Le contraire se passe à Bordeaux : un collège privé se construit dans le quartier le plus social de la ville (les Aubiers), les élèves de ce quartier n’y seront que très parcimonieusement accueillis. Par exemple, installer des établissement d’excellence dans les communes ou dans les quartiers les plus défavorisés…

La pratique au quotidien est très éloignée de ces ambitions. « Le recul de la mixité sociale ronge le modèle républicain ». Je cite ici le papier de Françoise Fressoz dans le quotidien « Le Monde » en date du 22 février. Tout le monde le sait, beaucoup le craignent, quelques uns s’en inquiètent mais la plupart regardent ailleurs.

 

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel