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Kafka, la petite fille en pleurs et la poupée

Une dame, très gentille et de bonne allure, m’a abordé ce soir « sur le terrain » alors que je me rendais, tracts en mains, sur le lieu de notre forum présidentiel, au coeur du Bordeaux. Je reparlerai du forum, je ne veux parler que de la dame. « Pourquoi ne nous donnez-vous plus de « notes de lecture » dans votre blog, pourquoi ne nous parlez-vous presque plus de littérature ? »
Et elle a ajouté « c’est ce que je préférais dans votre blog ».

L’imparfait m’a fait une petit pincement au coeur. J’ai expliqué qu’au plus fort de la campagne présidentielle, le temps n’était peut-être pas à parler de belles-lettres. En écrivant cela, il me revient un vers très pompier de Lamartine, engagé dans l’action politique
 » »Ami le temps n’est plus où j’écoutais mon âme
Se plaindre et s’alarmer comme une pauvre femme.. »

On était quelque part autour de la révolution de 1848. Lamartine a fait de meilleurs vers ; à vrai dire, pas tant que ça, mais je me laisse encore mener là où je n’avais aucune intention d’aller… Cette dame, malgré sa dernière phrase, m’a fait le plus grand plaisir : j’adore raconter des histoires et parler de ceux qui en parlent, et je m’aperçois que je ne l’ai pas fait depuis des mois…

L’écrivain Franz Kafka était à la fois beau garçon (à l’exception d’oreilles trop décolées, façon Bayrou), drôle, spirituel et charismatique. Personne ou presque n’en a la moindre idée : c’est toujours une image sombre et inquiète que l’on donne de lui. Les gens sérieux et les experts en littérature ne regardent souvent qu’un côté du miroir et Kafka avait la gaieté, l’humour et la gentillesse des grands inquiets.

Mais je tourne un peu autour du pot : c’est difficile d’écrire une histoire sur Kafka. C’était un écrivain tellement incroyable, qu’on se sent un peu intimidé.

J’essaye pourtant… Kafka rencontre un jour dans un parc public une petite fille qui pleurait à chaudes larmes. La petite fille paraissait totalement désespérée. Kafka va vers elle et l’interroge : elle avait perdu sa poupée, la plus belle poupée qui soit et personne n’avait pu la retrouver.
-« Mais non, ta poupée n’est pas perdue.. Elle est juste partie en voyage, et d’ailleurs elle a écrit une lettre, tu ne dois pas t’inquiéter ».
La petite fille le regarde, pas très convaincue :
-« tu l’as, la lettre ?.. »

Non, Kafka, n’avait pas la lettre, mais il l’apporterait demain. Promis. Demain, ici, juste à la même heure.

Et Kafka rentra aussitôt chez lui et commença d’écrire la lettre. Avec la même application intense qu’il écrivait toute chose. Il fallait que la petite fille soit consolée par la beauté de l’histoire et que le mensonge devienne cette drôle de vérité qu’est la fiction romanesque.

La poupée écrivait qu’elle avait voulu voyager et qu’il lui fallait, à son âge, s’éloigner un peu de la famille aimante où elle vivait. Elle n’oubliait pas la petite fille, elle pensait à elle, elle lui écrirait tous les jours, mais c’était normal qu’elle découvre aussi un peu le monde. Rien que de très raisonnable, en effet, pour une poupée qui avait été très bien élevée.

Kafka courut le lendemain apporter la lettre à la petite fille. Chaque jour, pendant plusieurs semaines, il écrivit une nouvelle lettre et chaque jour donna rendez vous à la petite fille pour lui lire la lettre. Elle avait désormais complètement oublié la perte de sa poupée et elle n’était plus que fascinée par la relation que la poupée lui faisait de sa nouvelle vie, de toutes les personnes intéressantes qu’elle était amenée à connaître et de tous les enseignements qu’elle lui communiquait.

Après de nombreuses lettres, Kafka ressentit beaucoup d’angoisse à l’idée d’interrompre l’histoire et de devoir trouver une fin qui pourrait se prolonger sans blessure dans l’imagination de la petite fille. Il résolut de marier la poupée. D’abord, il présenta le jeune homme, puis il raconta le mariage et il expliqua qu’ils étaient tous les deux (la poupée et son jeune mari) bien loin, qu’ils pensaient très souvent à la petite fille, mais qu’ils devaient pour un temps, le temps d’avoir eux aussi une famille, renoncer à la voir.

Il ne faut surtout pas que cette histoire ait une morale parce qu’en réalité elle n’a pas vraiment de fin, ni de conclusion, comme toutes les histoires de Kafka, et sa vie même. C’est simplement une histoire merveilleuse à raconter au moment de s’endormir.

Brèves de terrain

Il y a les « brèves de comptoir » et maintenant les brèves de terrain. Pas toujours drôles, mais presque toujours instructives. Hier, entre les étals du vide-grenier de Bordeaux, beaucoup de rencontres plaisantes, d’autres un tantinet moins avenantes. Des « Merci Madame » pointus, quand nous proposions une invitation au meeting de Ségolène Royal. Le « Merci, Madâme », prononcé avec une légère césure entre « merci et madame » et une retombée très savante de la voix sur les deux dernières syllabes de « Madame », est très caractéristique de certains quartiers de Bordeaux. A sauvegarder sans hésiter au titre des langues régionales minoritaires.

Je ne m’offusque jamais, puisque la phrase est en réalité fort polie, mais connaissant mon monde, je n’hésite pas à répondre un peu du même ton et en particulier à prononcer « Madame Royale », en levant au contraire la voix sur les dernières syllabes, comme faisaient les courtisans en s’adressant à la fille ainée du roi Louis Louis XV qui était décorée de ce beau nom.

Bourdieu l’a dit déjà : la distinction est un art subtil et tout d’amusements*.

Devant un stand, même proposition d’invitation à un homme qui nous accueille au contraire fort bien. « Pour le le premier meeting de Sarkozy, nous étions 600, vous entendez bien 600 policiers, pour assurer sa sécurité ! On n’avait jamais vu ça. Sûr, qu’il n’aura pas les voix de tous les policiers… »

Ils étaient parait-il 60 autour de sa villa du Pyla pendant toute la durée de son séjour. Je n’ai pas vérifié cette information, si elle est juste, elle n’a pas besoin de commentaires.

Une amie, un poil morpionne comme le sont en général mes amies, m’a dit qu’elle n’avait jamais nagé au Pyla entourée de tant de garçons baraqués… Rien n’est jamais tout à fait mauvais !

Moins drôle : une dame d’une quarantaine m’interroge : « Et que ferez vous pour moi ? Si la réforme Fillon s’applique, mon mari arrivera un mois trop tard pour avoir ses trimestres. Il a commencé à quatorze ans et depuis il n’a pas cessé de décharger des camions. Il est cassé, je vous le dis cassé ». La discussion s’est prolongée, nous avons bien montré que la pénibilité devait et serait prise en compte. En voyant l’adresse du blog, elle m’a fait promettre de l’écrire. C’est fait : la pénibilité du travail sera prise en compte.

D’autres rencontres (assez souvent) « Ah, Madame Delaunay ! Vous avez soigné ma belle-soeur en 1972.. Vous étiez interne, vous vous en souvenez ? ». Je demande quand même « Vous voulez bien me rappeler son nom.. » « Madame Lalanne, d’Hagetmau ».

Madame Lalanne, d’Hagetmau, en 72 .. Mais bien sûr !

Le terrain, c’est chouette, chalheureux, détendu. De nombreuses images du photoblog en témoignent. Les « Merci, Madâme » étant de très loin minoritaires, nous en revenons avec une certaine lourdeur des pattes arrières mais toujours de bonne humeur.

Comme je mets toujours mes arrière pensées clairement en avant, j’ajoute : venez avec nous !

  • C’est pas tout à fait ce que Bourdieu a dit, mais c’est ce qu’il a pensé.

micro-billet

Un week-end tout en micro-billets. Je crains que le programme « full campaign » de ce week-end ne me laisse guère le loisir d’autre chose. Il est amusant de noter à ce propos que l’anglais ne connait pas la jolie confusion de mots entre la campagne électorale (« campaign ») et la verte campagne (« country »). Un week-end full country est en ce moment de l’ordre des ambitions inatteignables !

Le micro-billet est comme le micro-crédit : dans un cas l’absence de temps, dans l’autre l’absence de fonds..

Petit bavardage sans importance. Il m’est pourtant une consolation. Sarkozy pense à la présidence de la République en se rasant (à vrai dire tout le temps), en faisant à la hâte les choses de la vie, des mots me passent dans la tête, qui appellent de petites idées qui ne se fixent que si on les écrit.

Ce sont bien souvent les mots qui appellent les idées, et non le contraire. C’est pour ça qu’il faut les préserver, les garder dans leur variété et leurs finesses de sens. C’est pour ça que nos langues (dont personne ne parle dans aucune campagne, et jusque dans la constitution européenne, pourtant si concernée par la pluralité linguistique) sont si importantes.

Brève

Il fait clair. Le soleil donne de nouveau des signes timides de sa venue.
La dernière année de sa vie, avec Dora Dymant, une jeune fille issue d’un shtetl polonais, Kakfa rêvait de tenir un restaurant à Tel Aviv. Il serait serveur, elle cuisinière…

Kafka est mort moins d’un an plus tard.

Comme les matins sont quelquefois inquiets.

Perrens et les Oqos

Au coeur de la semaine de la santé mentale, nous avons tenu ce matin le Conseil d’Administration de l’hôpital Charles Perrens. Je suis présidente de ce Conseil d’administration et je ne le signale que pour exprimer combien j’apprécie cette fonction. La psychiatrie est une des plus belles spécialités de la médecine. Il y a dans l’immatérialité (apparente) de ses signes quelque chose de fascinant, et la rencontre des troubles du comportement, de l’intelligence, de tout ce qui fait que l’homme est homme et de la possibilité de soigner et de guérir prend une dimension particulière.

Ce que je dis là n’est peut être pas très clair. Toutes les maladies, le moindre petit signe, cachent un abime d’inconnu (une papule sur la peau, une tumeur dans le pancréas..) ; dans le plus petit signe comme dans le plus grave, il y a, malgré toutes les avancées de la science, plus de choses que nous ignorons que de choses que nous comprenons. Mais l’inconnu parait moins insondable quand on peut le toucher, le mesurer, l’analyser sous le microscope. Une part de la psychiatrie échappe à cette possibilité d’analyse, malgré les progrès de l’imagerie, de la pharmacologie et de tas d’autres beaux mots en -ie. Pourquoi un homme est-il emmuré dans son mutisme, pourquoi un autre perd-il le sens commun (comme on dit), pourquoi un autre encore sombre-t-il dans l’abime du cafard ???

Je ne voulais parler de rien de tout cela en commençant : l’écriture est une curieuse amie, qui vous emmène où elle veut et quelquefois vous plante en rase campagne sans possibilité d’aller plus loin.

Je reviens à Charles Perrens. Tout le monde ou presque sait que Perrens est « le Centre Hospitalier Spécialisé » en psychiatrie de Bordeaux, le plus important de la Gironde avec le CHS de Cadillac. Perrens fait aussi partie du Centre Hospitalier Régional et de l’Université de Bordeaux II par ses services hospitalo-universitaires.

Les « Oqos » ont soulevé au Conseil d’Administration une discussion de fond. Les Oqos ne sont pas une famille grecque immigrée qui poserait des problèmes au directeur en dansant le sirtaki devant ses bureaux. Les O.Q.O.S. sont un (de plus) de ces sigles imbécilles qui n’ont pas d’autre but que de planter le citoyen moyen et de lui rendre incompréhensibles les moindres rouages de l’administration. Les Oqos sont les Objectifs Quantifiés de l’Offre de Soin. En un mot les perspectives budgétaires des années à venir.

Pourquoi les Oqos sont-ils si importants ? Parce que si on les dépasse, l’établissement sera sanctionné (c’est à dire privé d’une fraction de ses moyens).

Les Oqos sont calculés sur l’activité en cours, en autorisant par pure générosité un volant d’augmentation annelle de +2,5%. J’espère que vous suivez… Je l’exprime autrement : si dans 4 ans, 10% de personnes en plus ont besoin de soins psychiatriques, l’hôpital verra ses moyens DIMINUER.

Vous croyez avoir mal lu et vous avez raison de ne pas comprendre du premier coup. Tout individu sensé penserait que si les besoins en psychiatrie augmentent, les moyens devront aller de pair.

Or les besoins en psychiatrie augmentent, et c’est d’ailleurs de cela que je voulais vous parler en commençant .

Ils augmentent – parce que la population augmente à Bordeaux et en Gironde
– parce que des pathologies qui n’étaient autrefois pas prises en charge par la psychiatrie le sont aujourd’hui, en premier lieu desquelles l’anxiété et la dépression
– parce que certaines pathologies augmentent en fréquence en population constante : la dépression, certains troubles du comportement, les troubles psychiatriques infanto-juvéniles

Sur ces divers domaines, Perrens est en pointe et ses médecins y ont une expertise reconnue. Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons voté contre les Oqos. Nous avons voté, pour l’exprimer autrement, contre une planification purement budgétaire de pathologies qui ont, pour certaines d’entre elles, une part sociétale que nous ne maitrisons pas.

On ne peut limiter les besoins de la psychiatrie (et de plusieurs autres spécialités) sans se donner parallèlement les moyens de la maîtrise et de la prévention de la part évitable des maladies qu’elle soigne.

Ce billet n’est pas « sexy », comme on dit volontiers maintenant. Plusieurs phrases sont quasi-imperméables à la première lecture. Mais j’ai essayé de ne pas tomber dans une simplification un peu raccoleuse.

Vivement que nous ayons un ministère de la Santé qui s’occupe vraiment de la santé, c’est à dire de la prévention, et pas seulement de la maladie, du déremboursement des médicaments et des honoraires des médecins

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel