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Vivre en 3 D

Je m’interroge chaque jour davantage sur l’équilibre de notre société (voire de notre pays) entre droits, devoirs et désir. Je veux parler, pour ce dernier, du désir d’apprendre, de faire, de laisser une trace qui sert de moteur à beaucoup d’entre nous. Beaucoup ? C’est justement la question.

C’est très clairement d’abord à ce troisième mot, complexe, variable, instable, sans doute même fragile dans le courant de nos vies, que s’adresse en premier le discours d’Emmanuel Macron. Et son succès incontestable (15 000 personnes le 10 décembre à son meeting), devrait avoir quelque chose de rassurant. Qu’il me soit permis d’en parler tout en n’étant pas soutien de sa candidature, dont je regrette qu’elle ne se situe pas dans le cadre des primaires de la gauche car elle aurait grandement élargi le champ du débat.

C’est le même moteur qui sous-tend cette réponse admirable du Pape François à des jeunes qui l’interpellaient : « on n’est pas sur cette terre pour végéter, mais pour laisser une trace ». Par chance, le Pape François n’est candidat à rien et je m’autorise de le citer sans réserve particulière.

Droits, devoirs et désir ont également leur place tant dans notre vie en société que dans notre vie personnelle. Ils en appellent à des champs différents. Les droits, c’est la raison qui les conçoit : nous ne pourrions vivre en paix sans eux. Les devoirs s’adressent à la conscience : la loi les impose comme les droits, mais ce drôle de truc que Freud appelait le « sur-moi » en étend largement le champ, comme le font les croyances religieuses ou philosophiques. Le désir, c’est autre chose. Bergson, je crois, l’appelait lui l’ « énergie vitale ». Même en voyant une fleur pousser, on a la quasi certitude que c’est bien quelque chose qui existe et qui ne doit pas être si mauvais, ne serait-ce que parce que, justement, les fleurs poussent.

Macron encore, parle du travail « outil d’émancipation » comme les socialistes le faisaient au début du siècle dernier. Et pour ma part, j’y crois toujours. Dans un de mes premiers documents électoraux, j’en ai fait l’un des grands titres de mes propositions « le travail, une valeur de gauche ». Quelques années plus tard,  Nicolas Sarkozy l’a lié -et à mon sens réduit- au gain avec son slogan « travailler plus pour gagner plus ».

Le travail n’est pas que cela. La question politique est justement qu’il conserve son lien avec le désir, l’énergie vitale et l’émancipation: par des conditions satisfaisantes, par l’adéquation avec les capacités et aspirations de celui qui l’exerce et la possibilité de le voir évoluer et de progresser au cours de sa vie professionnelle.

Le sujet n’est pas neuf, c’était celui, il y a quelques dizaines d’années qu’il m’a été donné de traiter au concours général de français (« le travail, outil d’aliénation ou de libération »). Ce qui est neuf, c’est le travail lui-même ou plus précisément son lien avec l’emploi.

D’abord parce que le travail ne croît pas en proportion du nombre de ceux qu’il est appelé à faire vivre et que des prévisions assez terribles laissent à penser qu’il deviendra en partie « occupationnel » pour une part d’individus non adaptés aux nouveaux enjeux de ce nouveau siècle. Ensuite, et tout le monde en a conscience, du fait de la part constamment croissante des techniques et du numérique. Alors, comment lui conserver son moteur, ce désir d’être, de faire et de réussir qui nous sauve de pas mal de pathologies diverses ?

Même si elle n’est pas que cela, la question est éminemment politique et les réponses le sont aussi. Il ne suffit pas de parler de l’âge de la retraite, du niveau voire de la décroissance des allocations chômage comme cela a été le cas lors des primaires de la droite, mais du travail lui-même. Des débats où chacun a 15 minutes de prise de parole personnelle n’y sont pas propres ; n’y seront jamais abordés vraiment que les conditions et les conséquences du travail ou de son absence.

C’est pourtant la condition même de notre vie en société de vivre en 3 D : droits, devoirs, désir. J’inverserais même volontiers l’ordre, pour que nous ayons quelque chance de retrouver l’équilibre du monde au détriment de la violence qui l’anime, du négativisme qui le détruit et du refuge dans des idéologies barbares qui le ramène des siècles en arrière.

 

 

 

Métropole : ne pas se tromper d’enjeu

Des deux questions issues de mon patrimoine auvergnat « Combien ça coûte et à quoi ça sert ? », ne  nous a été posée ce vendredi 2 décembre, lors du dernier Conseil de Métropole à Bordeaux, que la première : « Combien ça coûte et à qui ? »

Question importante dans les temps difficiles que nous vivons, mais qui, détachée de la seconde, n’est que pingritude et défense d’intérêts locaux. « A quoi ça sert ? », ou plutôt « à quoi ça doit servir, une Métropole ? »,  personne n’a seulement abordé le sujet.

Il y a la réponse décalquée du « combien ça coûte ? » qui est : « ça sert à coûter moins cher ». Par la mutualisation (et au passage la réduction) des services et des équipements, ça sert à faire payer à l’ensemble des habitants de la métropole, des équipements répartis plus ou moins équitablement sur l’ensemble du territoire métropolitain. Par derrière, se dessine une autre question : est-il bien raisonnable de faire payer aux habitants de Cenon (1300 euros de niveau de vie moyen) les équipements (en l’occurrence le Grand Stade) que Bordeaux, la ville la plus riche (1750 euros de niveau de vie moyen), a eu l’imprudence de décider pour des raisons de prestige ?

Notre réponse a été « non », ce n’est pas raisonnable, d’autant que le transfert du Grand Stade à la Métropole s’est fait en calculant avantageusement pour notre ville, la compensation des coûts qui allaient avec, comme l’a démontré le grand argentier de notre groupe, Matthieu Rouveyre. La culpabilité en revient au fait que le Président de la Métropole est aussi Maire de Bordeaux, et que les élus métropolitains sont désignés au prorata des majorités dans chaque ville mais non au suffrage universel.

Mais je veux aller plus loin, ce que j’illustrerai d’un autre exemple parmi ces transferts. Pour moi, la finalité d’une Métropole est de répartir les équipements de prestige, susceptibles de mobiliser autour d’eux fierté et dynamique positive, entre les différents quartiers et communes de son territoire et de réduire ainsi les fractures entre communes pauvres et riches, comme entre quartiers défavorisés et quartiers nantis. Qui a seulement pensé à évoquer cette question, seule capable d’éviter ghettoïsation et révoltes des laissés-pour-compte ?

C’est ce qu’avait fait Jacques Chaban Delmas en installant dans un quartier à plus de 80% d’habitat social (le Grand Parc), une piscine olympique ouverte aux compétitions internationales. Cette piscine qui a vu la victoire du Bordelais Jean Boiteux aux championnats du monde de 1952, était l’emblème de ce quartier. Sur la célèbre place Tourny, au coeur de Bordeaux, un panneau a indiqué pendant des décennies « Quartier du Grand Parc » et au dessous « Piscine olympique ». Il chauffait le coeur de tous les habitants du nord de Bordeaux.

Qu’a fait le Maire suivant, Alain Juppé, après 15 ans de mandat où cette piscine est demeurée fermée ? Il a réduit de près de 55% la surface de baignade ! Adieu trophées, adieu articles de presse à l’occasion de chaque compétition : la Grand Parc a perdu son identité sportive et une part importante de son attractivité pour les Bordelais qui allaient y nager.

Cette monumentale erreur n’a pas empêché de justifier à grand renfort de paroles verbales lors du Conseil du 2 décembre, l’intérêt d’un équipement olympique dans la métropole. Ce qui est totalement légitime, mais justement, nous l’avions ! Que n’a -t- on conservé celui qui existait et qui était situé précisément dans un vaste quartier où il drainait à la fois énergies locales et fierté, et où il était moniteur de mixité sociale !

Le futur nouveau « stade nautique » à dimension olympique, aujourd’hui purement sur papier, sera situé à Mérignac, ville dynamique qui en rien ne démérite pour qu’y soit localisé ce flambeau du sport métropolitain. Mais quelle faute historique, sociale et financière, de n’avoir conservé en 2007, comme cela était parfaitement possible au prix d’une réhabilitation beaucoup moins coûteuse qu’une création et surtout socialement beaucoup plus utile, la dimension olympique et donc métropolitaine du quartier du Grand Parc ?

Réfléchissons au sens des Métropoles, ces territoires favorisés en eux-mêmes : l’enjeu décisif est pour elles un enjeu d’équilibre entre les territoires qui les composent, tournant radicalement le dos aux ghettoïsations des quartiers à population fragile en y implantant des équipements de prestige autour desquels ils puissent trouver une identité nouvelle.

 

 

La politique a ses gaietés

Le sympathique « tire bouchon » qui éveille dans l’inquiétude chaque samedi matin petits et grands élus du Sud Ouest narre ce 3 décembre un court échange de la veille entre Alain Juppé et moi.

Alors que les éléments se déchaînaient contre la bonne tenue du Conseil de Métropole, m’empêchant de poursuivre mon intervention sur le délicat sujet des transferts d’équipements ville/métropole, je rappelais dans un grand bruit d’écrans qui montaient et se baissaient de manière frénétique, l’histoire que racontait l’ancien Président Giscard d’Estaing, alors jeune collaborateur d’Edgar Faure. Celui-ci lui avait donné mission de compromettre le déroulé des meetings de ses adversaires en sabordant micros ou lumières de manière à déstabiliser l’orateur, indiquant qu’ « un problème technique suffisait à empêcher de poursuivre le fil d’un discours ».  Au passage, n’est-il pas délicieux d’imaginer le Président du « discours du bon choix » trifougnant  prises de courant et commutateurs ? Précisons que « trifougner » est un mot auvergnat que Giscard doit prononcer de façon savoureuse.

Alain Juppé connaissait sans doute l’histoire et a répondu avec humour « pour vous empêcher de parler, Madame, il faudrait au moins DEUX problèmes techniques… »

Je l’en remerciais aussitôt, car c’est au fond un hommage… La salle rit à l’échange qui n’avait en effet rien de désagréable de part et d’autre.

Notre quotidien régional ayant amputé la séquence de son meilleur, il m’a paru nécessaire de la conter dans son entier et en particulier dans son meilleur qui est de rétablir l’homme « au nom d’emprunt » comme le qualifiait de Gaulle dans son rôle précoce de petit mécano. La politique a décidément ses gaietés. Ni trop nombreuses, ni trop durables et d’autant plus remarquables.

 

Communiqué de presse suite à la déclaration de François Hollande annonçant sa décision de ne pas briguer un nouveau mandat présidentiel

C’est d’abord une réaction de respect devant la sobriété, le courage et la responsabilité de la déclaration de François Hollande, qui est la mienne.

Comme François Hollande l’a fait lui-même, que chacun s’interroge sur sa part de responsabilité dans les épreuves internes de ce quinquennat. On ne gagne ni on ne perd jamais seul et je salue la résilience hors du commun de François Hollande devant l’accumulation des épreuves et des drames que notre pays a endurée.
François Hollande part en Homme d’Etat et je souhaite qu’à gauche, tous, nous soyons à la hauteur de ce qu’il remet aujourd’hui entre nos mains.

A la recherche du corps soignant

C’est un signe : même l’estimation du nombre des professionnels de santé en France varie du simple à près du double soit de 1,2 à 2 millions. Beaucoup plus homogène est l’estimation du « corps enseignant », puisque celui-ci est considéré comme l’ensemble des salariés du Ministère de l’éducation et celui de la recherche et de l’enseignement supérieur. Le double système d’exercice, libéral ou privé, de nombre de professions de santé, n’aide sans doute pas à la cohésion mais les limites mêmes du secteur ne sont pas clairement établies. Les acteurs de la prévention et de la santé publique en général doivent- ils être inclus au même titre que les soignants ? La réponse est pour moi évidemment « oui » : la santé est d’abord de la prévention et celle-ci ne doit certainement pas être considérée à part. Le plus soignant des soignants fait aussi de la prévention, qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire.

Est-ce à dire que le « corps soignant » n’existe pas vraiment ? D’ailleurs, l’a-t-on jamais vu défiler ensemble pour quelque cause que ce soit ? S’est-il jamais mobilisé autrement que pour des revendications sectorielles ? Tiers payant  ou prix de la consultation pour les médecins, conditions de travail pour les infirmiers, « mastérisation » pour des groupes particuliers… Voilà qui est doublement et gravement dommageable.

Nous en faisons en ce moment-même l’expérience : la santé demeure très absente du débat présidentiel, alors qu’elle constitue la préoccupation majeure des Français et que chacun d’eux est très attaché à notre système de santé. Dans notre paysage républicain, l’ Hôpital est un mot aussi fondateur que l’Ecole, pourtant aucun candidat n’en fait un fer de lance et quand on en parle, les propositions et les engagements relèvent plus souvent de la généralité que des faits. Tel « facilitera l’accès aux soins pour tous », tel autre « réduira les inégalités » sans préciser plus avant.

Le dommage va plus loin : a-t-on vu jusque-là les professionnels s’engager unanimement pour un des grands enjeux de santé publique qui mettent à mal l’état de santé général de notre pays et créent une fracture chaque jour plus grande entre riches et pauvres? Les « maladies de la misère » (tabac, alcool, obésité, addictions diverses..) n’ont jusqu’à ce jour pas vu se lever les professionnels de santé dans leur ensemble, alors qu’ils ont dans les mains une grande part de la solution, à la fois par leur pratique et par leur capacité à exiger que ces sujets figurent dans les programmes politiques et y trouvent des réponses concrètes.

Le sujet le plus propre à l’unanimité des professionnels de santé est le tabac qui tue en un jour plus  qu’aucun soignant ne sauvera dans la durée de son exercice. De cela, personne ne discute, les faits ne sont que trop établis. Comment les acteurs de santé peuvent-ils rester taisants sur ce drame qu’ils partagent au quotidien avec leurs patients et qui par ailleurs met en péril notre système de sécurité sociale et notre capacité à financer les considérables progrès de la médecine (27 milliards/an pour les seuls soins des maladies du tabac).

Bien d’autres sujets, au-delà même de la réduction des maladies évitables, relèvent de notre capacité à faire pression. Le développement des soins palliatifs en est un parfait exemple. J’oserais dire qu’il s’agit d’une urgence politique pour qu’enfin, toute personne en ayant besoin sur l’ensemble du territoire, puisse y accéder. Qui d’autre que les professionnels de santé peut exiger que cette question soit mise sur la table ?

Les professionnels de santé ont aujourd’hui beaucoup plus que la responsabilité de soigner. Eux seuls sont en capacité d’exiger que la santé soit au coeur de la politique, que nul candidat n’échappe à exposer sa vision, à détailler ses engagements concrets et pour tout dire, qu’il soit mis dans l’obligation de s’exprimer aujourd’hui et d’agir demain dans l’exercice de sa fonction.

 

 

 

 

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