Le Monde en date du 21 mai, sous le titre très lourd « le chef désarmé », évoque les difficultés des quatre premières années du quinquennat. Exercice difficile pour les anciens Ministres qui ont été interrogés et qui ont, me semble-t-il, assez bien réussi à montrer qu’ils se situaient davantage dans la réflexion collective que dans le regret personnel.
D’un long entretien avec Thomas Wieder qui était plus un échange qu’une interview, il a retenu cette expression « à un électorat, il faut donner des preuves d’amour ».
Expression qui ne paraît pas relever du vocabulaire politique. Et pourtant, dans les deux années de mon ministère, je l’ai perçu ainsi. Le mal-nommé « ministère des personnes âgées et de l’autonomie » a en réalité un double versant : l’enjeu considérable de la transition démographique (30 ans d’espérance de vie à la retraite pour 30% de la population) et celui du grand âge. Les deux bien sûr mêlés : les jeunes retraités s’occupant massivement de leurs vieux parents.
A ceux-là nous avons donné quelques preuves d’amour (augmentation de l’APA, droit aux répit des aidants) mais nous en avons si bien dilué dans le temps leur application, qui ne sera toujours pas complète à la fin du quinquennat, que les signes en sont demeurés inapparents. Mais pour un groupe, ils ont été de toute manière insuffisants.
Ce groupe, c’est celui des retraités pauvres. Moins nombreux qu’il y a cinquante ans, et peut-être moins nombreux que dans cinquante autres. Mais, malgré cela, comptant pour 15% des retraités. Carrières incomplètes, femmes (épouses souvent) employées sans cotiser, métiers à faible salaire, qui aujourd’hui doivent vivre avec beaucoup moins que le SMIC. « Ma » loi leur apportait une aide réelle en cas de perte d’autonomie vécue au domicile, mais au-delà de cela, nos signes en leur direction ont été trop faibles.
Avancer vers la mort en état de pauvreté a pour moi quelque chose d’infiniment déchirant. Les âgés sans ressources ne peuvent attendre quelque chose de rien ni de personne que de l’Etat. Pas de »petits boulots » à faire en complément, pas de « père noël » venant d’aucune part, pas d’avancement ou de progression à l’horizon. Rien que l’Etat lui-même, sa compréhension et sa prise en compte de leur situation.
Une histoire infime a modifié ma conscience politique. Dans la rue, à Bordeaux, une femme que j’avais vaguement connue des années auparavant, m’a accostée. « Bien mise » malgré la difficulté où elle était, « sachant se tenir » comme on disait autrefois des pauvres qui gardaient dignité, contenance et apparence à force de courage, elle m’a saluée et nous avons entrepris une courte conversation. La plainte n’est pas venue sous cette forme mais comme une anecdote dans le récit : « vous voyez, avant, j’allais au salon de thé, retrouver des amies. C’était ma seule sortie. Eh bien, je ne peux plus : le salon de thé est trop cher, pourtant c’est ça que j’aimais ».
Comme on dit encore, cette femme avait travaillé, peiné, au dehors comme pour sa famille. Est-il possible quand la solitude vient, de ne plus pouvoir même s’offrir cette modeste sortie, qui permet de s’habiller, qui rythme journée et agenda, qui correspond à un infime luxe ?
Un an, pour donner cette « preuve d’amour »et d’autres, à ceux qui attendent tant de nous.