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Le savoir, le dire, le combattre et pourtant en mourir

Il ne marquera pas que le football, celui qu’on appelait « le Hollandais volant », mêlant la grandiloquence wagnérienne à son anti-conformisme désinvolte ; il restera comme un exemple de l’histoire incroyable du tabac dans nos sociétés. Wagner encore : après tant de victimes, de drames et de compromissions, cette histoires évolue vers son inéluctable crépuscule. Et Johan Cruyff n’y sera pas pour rien, et sans doute encore quelques millions de victimes.

L' »art total » du musicien allemand a inspiré le « football total » du joueur néerlandais. Son combat, personnel et public, sa mort, illustrent le « désastre total » du tabac. Peu de médias l’ont souligné, peu l’ont seulement évoqué.

Mort à 69 ans (il était à 3 mois près, mon « conscrit »), Johan Cruyff n’est pas mort d’un cancer pulmonaire, il est mort du tabac. Fumeur depuis l’adolescence,  sa première alerte survient à 44 ans sous la forme d’un double pontage coronarien. Celui qui faisait de son tabagisme invétéré une image de marque singulière dans le monde du sport, fumant jusque dans les mi-temps, passe alors à la contre-offensive et s’engage en Catalogne dans une première campagne anti-tabac. Puis il signe un partenariat avec l’OMS pour une campagne internationale « Quit smoking with the Barça » (l’équipe dont il était devenu l’entraineur). Jamais, il n’a caché le poids d’une addiction dont il ne réussissait pas à se défaire malgré la mise en scène de ses efforts. Jamais non plus, il n’a ignoré qu’il pouvait en mourir.

Malgré cet engagement, malgré cette lucidité, les médias ont été pour la plupart très timides à faire le lien entre sa mort et ce tabagisme devenu légendaire. Je comprends ce respect si l’on a nulle connaissance des souhaits du défunt de faire connaître sa maladie et d’en combattre la cause, mais ce n’était aucunement le cas de Johan Cruyff et cette personnalité sportivement et humainement admirable constitue aujourd’hui une figure de proue du combat contre le tabac.

Quelques uns l’ont précédé dans ce courage et cette volonté d’aider ceux qui viendraient après eux, comme Yul Brunner qui jusqu’à ses derniers jours enregistra un spot télévisé « Don’t smoke ». David Bowie mit en scène sa mort jusqu’au moindre détail mais sans faire jamais mention de ce combat contre un ennemi qui pourtant a fini par l’emporter. On appelait aussi Johan Cruyff  « le Bowie du foot » pour son originalité, son plaisir à jouer son personnage, mais sans doute avait il une pâte humaine plus épaisse comme il  l’a d’ailleurs montré en d’autres domaines.

Il disait « j’ai deux passions, le football et le tabac. L’une m’a tout donné, l’autre risque de tout me prendre ». Elle l’a fait. Je ne sais rien de ses derniers mois depuis le diagnostic en octobre dernier de cancer pulmonaire. A vrai dire, je ne sais rien de ses derniers mois à lui, mais je sais beaucoup des derniers mois d’hommes et de femmes qui les ont vécu avec la même impitoyable lucidité sur la maladie comme sur sa cause.

Pour cela, je crois profondément qu’il voudrait être encore l’acteur de ce combat contre l’inadmissible tolérance de notre société vis-à-vis du tabac et je dédie ce billet à lui-même et à sa famille.

 

A qui appartient l’espace public ?

C’est pour moi une interrogation dépassant largement les enjeux bordelais que la confiscation dans nos villes de l’espace public à des fins commerciales. Bordeaux pour autant, est en pointe avec la généralisation du stationnement résidentiel payant et le coût exorbitant des parkings.

Ces derniers jours, pressée d’aller en quelques heures en plusieurs points de la ville, ce à quoi je n’aurais aucunement pu parvenir en transport en commun, j’ai mesuré une fois de plus que l’espace public l’était de moins en moins. Bien sûr, c’est en premier lieu la question des voitures : où les garer quand on ne peut faire autrement que les utiliser ? Je connais leur dégât écologique, je connais leur encombrement de l’espace public, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un outil indispensable pour nombre de ceux qui n’habitant pas le centre urbain viennent y travailler, à des heures où l’on a bien souvent peu le coeur à marcher dans la nuit (infirmières qui embauchent à 7 h ou débauchent à 22 h), de financer des heures de parkings qui amputent lourdement le salaire et/ou qui ont à se rendre en différents points dans un délai restreint (aides à domicile..). Outil indispensable aussi pour tous ceux qui marchent mal, doivent transporter des charges..  Nul n’est besoin de multiplier les exemples. Trop nombreux sont ceux qui les vivent au quotidien.

Lors d’un des deux conseils de proximité auxquels j’ai assisté en deux jours, la plainte des riverains présents -majoritairement propriétaires- était de ne plus trouver de parkings gratuits pour eux-mêmes dans un des derniers quartiers où le stationnement résidentiel payant ne couvre pas encore l’ensemble du réseau. L’adjoint de quartier n’a été que trop heureux de rassurer les participants et de confirmer ce que l’un d’eux avançait : les propriétaires sont en premier lieu les électeurs d’une ville.

Les parkings, livrés aujourd’hui presque totalement au grands groupes du secteur privé, ne font qu’aggraver la situation. La tarification au quart d’heure, incluse dans la loi Hamon sur la consommation, a été complètement déviée de son but : au lieu de bénéficier au pouvoir d’achat des utilisateurs, tout a été fait localement pour qu’elle profite in fine à celui des groupes financiers ou industriels qui bénéficient de la délégation de gestion. Le coût de l’heure de stationnement est devenu prohibitif et en interdit l’usage à la grande majorité de ceux qui viennent travailler à Bordeaux.

Lors de chacun des deux conseils de proximité, des projets -souvent lointains- ont été présentés : tous comportaient la suppression de places de parking, sans qu’aucune solution de remplacement ne soit avancée.

La ville, progressivement, devient cité interdite. Non à tous, mais à tant. Ceux pour qui les déplacements « doux » sont non seulement « durs » mais impossibles. C’est environ 50% de la population qui ne peut se déplacer en vélo : trop gros, trop faibles, trop vieux, mal voyants ou mal entendants… Pour  ceux-là la ville devient chaque jour plus impraticable ; ceux pour qui toutes les possibilités de stationnement ou de parking d’une voiture deviennent inabordables au quotidien, comme l’est aussi le prix de l’immobilier qui les a exilé hors centre.

Ce sont des sujets apparemment triviaux. Ils posent cependant deux questions. La première concerne les élus qui décident de la délégation des parkings au privé ou de la généralisation du stationnement payant. Comme à Bordeaux, les premiers chantres de l’éviction de la voiture, ne s’y déplacent jamais autrement, ne savent pas ce qu’est chercher une place de stationnement pour arriver à l’heure à une quelconque obligation, car ils ont -bien souvent depuis des années, voire des décennies- un chauffeur.

La seconde va plus loin : à qui appartient l’espace public ? Un maximum de liberté d’usage ne devrait-il pas y prévaloir ? Régulée, réglementée bien sûr, pour que tous puissent en bénéficier, mais non laissée à des enjeux qui sont en fait bien davantage commerciaux et financiers qu’écologiques. Le stationnement est aujourd’hui un nouvel impôt et cet impôt, laissé à la décision des élus locaux, est tout sauf juste, équitable non plus qu’égalitaire.

Viendra-t-il le temps où, comme il y a des siècles, les villes auront des portes où l’on acquittera un péage, laissant les manants à leurs portes ? En tout cas, viendra sûrement le temps, où le commerce sera réservé à de grands groupes financiers et le travail, exilé en bordure ou définitivement découragé.

 

 

 

Où est le fil rouge ?

On connaît d’autant mieux son pays qu’on le compare à ses voisins. Nous attendons aujourd’hui les résultats des élections dans trois Länder allemands représentant 17 millions d’habitants. La chancelière Merkel risque d’en sortir affaiblie, voire très affaiblie, si un vote de rejet de sa politique d’accueil des réfugiés fait baisser fortement son parti, la CDU.

Que fera-t-elle, alors  ? Elle a déjà exprimé que, quitte à perdre le pouvoir, elle ne changerait pas de politique sur ce dossier majeur. Les députés de la droite CDU/CSU sont moins unanimes et beaucoup craignent de n’être pas réélus aux élections nationales si elle ne réduit pas fortement l’afflux des réfugiés en Allemagne (pour mémoire 1 million 100 000 sont déjà arrivés, les derniers 100 000 au cours du seul mois de janvier 2016). Pour mémoire aussi, nous n’en accueillons que 30 000, autant que le Land du Schleswig Holstein, qui a la même population que le département de la Gironde.

Deux chanceliers, tous deux SPD (Sociaux Démocrates), ont ainsi perdu le pouvoir du fait de leur constance. Helmut Schmidt qui voulait maintenir une force de défense importante contre l’Est, Gerhard Schröder qui a décidé de réformes dures du marché du travail pour permettre à l’économie allemande de sortir de la crise où elle s’enlisait. A l’un et à l’autre de ces deux chanceliers on donne aujourd’hui quasi unanimement raison sur leur décision d’alors.

Ethique de responsabilité qu’Alexis Tsipras a envisagé tout autrement en acceptant nombre des obligations qui lui étaient faites par l’Europe pour sortir son pays d’une inévitable banqueroute. L’éthique est la même, son usage est inverse.

En France, ce n’est pas un enjeu, c’est mille qui mobilisent l’opinion. Je n’en fais reproche ni au Gouvernement, ni à ceux qui s’opposent à lui. Torts partagés, sans doute, comme dans tous les couples. Mais où est le fil rouge, où est l’idée force, le « Yes, we can » d’Obama, ou le « Wir schaffen das » de la chancelière ?

Lundi, ce sont les agriculteurs qui  se révoltent contre les grandes surfaces, l’Europe, la mondialisation ; mais les agriculteurs allemands, que nous accusons de vendre moins chers, ne sont-ils pas dans la même situation ?

Mardi, c’est la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité qui soulève une monumentale bronca. Mais, la déchéance de nationalité EXISTE déjà, plusieurs dossiers sont en ce moment même en cours, est-ce qu’en la constitutionnalisant, nous n’en interdisons pas un usage dangereux si un parti extrême venait au pouvoir ? Il est facile en effet (ou du moins possible) d’obtenir une majorité pour modifier une loi -ce qui serait le cas sans constitutionnalisation- il est beaucoup plus difficile d’obtenir les 3/5 des deux chambres pour modifier la constitution. Nous en faisons en ce moment-même l’expérience,  et c’est le prix de la démocratie.

Mercredi, ce sont étudiants et lycéens qui descendent dans la rue pour obtenir le retrait d’une loi de 141 pages, en cours de modification au moment-même où j’écris, et alors que le Parlement n’a pas exercé son pouvoir d’amendement.

Jeudi, où serons-nous ? Et vendredi, et après … J’ai hélas la réponse : nous serons plus bas.

Je ne dis aucunement qu ‘agriculteurs, amis et connaisseurs du droit,  jeunes inquiets de leur avenir, n’aient pas DES RAISONS d’inquiétudes, d’interrogations. Moi aussi, je dis tout de go, que je me serais passée de mesures qui jouent comme des chiffons rouges quand l’essentiel n’est pas dans ce qui est dénoncé, quand tant d’acteurs y jouent le rôle de stratèges au bénéfice d’intérêts partisans ou pire, individuels. Tous se réclament des « valeurs ».  Quelles valeurs, qui font que la jeunesse se mobilise sur le barème des indemnités pour préjudices qui s’ajoutent aux indemnités de licenciement alors qu’on n’a vu aucun d’eux sur les plages de méditerranée s’alarmer de l’avenir de migrants en danger de mort qui ont majoritairement leur âge ? Quelles valeurs quand le « couple franco-allemand » (et l’Europe entière) se fracture sur cette même question des réfugiés ?

Les valeurs, celles qui me sont personnelles, celles qui figurent au fronton de notre République, je les connaîs mais je déteste de les voir utilisées à dimension variable, au mépris de l’avenir collectif de notre pays chancelant, comme au mépris de ceux que Villon appelait « nos frères humains ».

 

 

 

Le sens des mots

Combien n’ai-je reçu de commentaires, couvrant toute la gamme désagréables à insultants, pour avoir écrit qu’un mandat politique était PRECAIRE ! Or, il l’est en effet, et il n’y en a pas de plus constitutionnellement précaire, puisque c’est une qualité rendue obligatoire par la notion même de démocratie.

Que veut dire précaire ? J’en appelle au « Trésor de la Langue Française ». « Trésor » en effet dont je recommande à chacun la lecture, et pas même « cher trésor » puisqu’il est accessible gratuitement en ligne ; sa consultation régulière éviterait beaucoup de litiges et d’incompréhensions.

« Qui n’est octroyé, qui ne s’exerce que grâce à une concession, à une permission toujours révocable par celui qui l’a accordée. Avant (…) [Solon], la plupart des habitants de l’Attique étaient encore réduits à la possession précaire du sol et pouvaient même retomber dans la servitude personnelle (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p.342). V. précarité ex.

1. … l’administration peut délivrer des autorisations précaires d’occupation et percevoir en échange des taxes spéciales (pour l’implantation de stations d’essence, d’étalages, de terrasses de café, etc.)…

Suivent bien d’autres exemples. Et un sens supplémentaire est proposé « par extension » : « dont on ne peut garantir la durée, la solidité et la stabilité ». J’ajoute : et le renouvellement.

Les sarcasmes, voire les injures, qui ont plu sur ma remarque confondaient pour la plupart l’instabilité dans le temps et la faiblesse des revenus, laquelle n’est pas contenue dans le mot. Oui, un mandat politique est précaire, mais beaucoup d’entre eux ne correspondent pas à une situation de pauvreté, encore que l’on puisse en discuter puisque nombreux sont les « petits » mandats locaux qui ne s’assortissent que d’indemnités très faibles, voire quasi nulles.

Et si, notre presse saisissait ces mots mal entendus comme des occasions de pédagogie. Je suis profondément convaincue que « s’entendre sur les mots » est une voie vers la compréhension réciproque et la fraternité.

Le mépris

Rien de plus méprisable que le mépris, et pour cela rien qui blesse davantage, de quelque manière qu’on le subisse.

Pour cela sans doute, le terme est depuis un certain nombre d’années le point Godwin de la droite lors des débats politiques. « Vous méprisez les Français qui se lèvent tôt » ou pire « ceux qui habitent dans les quartiers et sont gênés par les odeurs… ». Ce point Godwin-là connaît en effet mille variantes, en France et au-delà, et Donald Trump comme tous les populistes le décline à plaisir.

Aujourd’hui, c’est au sein de la gauche qu’il atteint le grade de vocation définitive aux gémonies. D’autant que le mot est si violent qu’il met celui qui le reçoit à la figure dans une brève sidération laquelle est d’ailleurs la raison de son usage.
Hier, pour avoir posé la question « Du million de pétitionnaires qui exigent le retrait de la loi travail, combien en ont lu une seule ligne », j’ai reçu en salves -mais seulement après quelques heures quand les détenteurs de la VraieGauche s’en sont emparés- les coups de cette arme fatale. Le tweet, je le reconnais volontiers, aurait été plus justement formulé en écrivant « combien n’en connaissent davantage que l’écho dans les médias ? ».

Cette question méritait sans doute d’être posée puisqu’elle tient aujourd’hui une place importante d’un papier du « Monde » mais de ma part elle ne pouvait évidemment relever que du « mépris » : mépris des jeunes, mépris des pauvres, mépris des chômeurs, mépris pour ceux dont apparemment  je crois qu’ils ne savent pas lire, mépris pour les Français en général, mépris pour ceux qui ont des valeurs, mépris pour la gauche (la vraie), mépris pour mes engagements de campagne… Ce mépris quasi universel faisant de moi, au choix, un suppôt du Président de la République, du Gouvernement, de Manuel Valls, de Myriam el Khomri, des parlementaires en général et des élus qui sont tous des jean-foutre.

Rien qui me touche autant que cette accusation de mépris. Je l’ai essuyé quelquefois, j’en connais l’inguérissable blessure et je mets en garde contre son usage tout autant que sur son expression. Le mépris n’est pas toujours où l’on croit.

Je le reconnais: ma colère concernait plus les initiateurs de la pétition demandant purement et simplement le retrait de la loi travail avant même que personne n’ait le texte en sa possession que les pétitionnaires eux-mêmes. Je ne veux pas même les citer et j’aurais préféré les entendre en leurs qualités sur les inégalités sociales et culturelles des femmes ou sur le drame des réfugiés. Car en effet de quel mépris font-ils preuves en demandant le retrait d’un texte qu’ils n’ont pas pu analyser avant le lancement de la pétition ; avant son examen et son amendement par les parlementaires qui représentent la démocratie dans notre pays ; envers la ministre Myriam El Khomri qui donne son nom à cette loi et reçoit des insultes bien peu en rapport avec son parcours et sa condition de femme ?

Où est le mépris ? Chez celui qui s’interroge ou chez  celui qui avant de lancer une action de buzz médiatique n’en mesure pas les effets ? Chez celui qui ose mobiliser des lycéens qui dans un cas sur 4 ne pourront entrer dans un marché du travail verrouillé et n’y trouveront au mieux que des CDD à répétition ? Chez celui qui ose parquer sous l’étiquette « Medef » des milliers de petites entreprises qui n’osent pas embaucher par peur du coût  d’un licenciement (laquelle peut varier de 1 à 10 d’un conseil des prud’hommes à l’autre) ?

Où est le mépris ? Que chacun, avant de l’utiliser en l’air comme arme fatale, se garde de le voir éclater à ses pieds.

 

 

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