Je les porte en moi comme une vieille rancoeur, une sourde haine, une vraie révolte. Les morts inutiles (mais toutes le sont), les morts évitables, les morts provoquées, les morts qui sont des vies assassinées.
De ces vies assassinées, ces derniers jours n’ont pas été avares. Mille au Niger, tant d’autres dans tant de pays, que nous ne saurons même pas ; chez nous, dont la proximité, le vécu presque en direct concentre la douleur comme un fer rouge qu’on approche et que l’on peut toucher.
Mais aussi, comme un fil continu, toutes ces morts évitables que l’on ne veut pas voir, que des mesures politiques pourraient réduire : tabac, alcool, autres drogues.. Tous ces tueurs de masse qui n’ont d’autres mobiles que l’argent.
Il nous a été donné, en échange de la conscience, un affreux privilège : savoir que nous mourrons. Notre mort, un jour que nul ne sait, est un du. Non pas un devoir, rien de cela, pas une obligation, personne que nous puissions identifier ne l’impose, tout simplement un du, inscrit dans le contrat qui nous a donné en échange la capacité de comprendre et la faculté de savoir, le libre arbitre et en fin de compte la liberté tout court. Cette mort là, toujours en apparence lointaine, concernant toujours les autres tant que nous vivons, ni nous n’y sommes accoutumés, ni nous ne l’acceptons, mais nous la savons.
Je ne l’ai su que peu à peu, peut être mieux maintenant dans mon métier d’aujourd’hui que dans celui d’hier, mon rôle assigné, assumé, je ne sais, c’est de faire prendre conscience et d’aider à combattre toutes ces autres morts qui s’accumulent corps sur corps, jour après jour, milliers de corps, millions de corps privés de milliards d’années de vie, d’intelligence, d’émerveillement et de la liberté d’être.