Mater sola certa
Où l’on voit que le latin ne va pas sans humour, même le plus rébarbatif de cette langue, qui est le latin juridique. Rien que pour cela, ne le laissons pas cette belle langue sombrer dans l’oubli.
Je bouscule un poil la citation latine pour conserver « la mère seule est sûre », qui en ce jour de fête des mères mérite attention. Ces quatre mots ont dix fois plus d’acceptions diverses pour peu qu’on ait l’esprit vagabond.
La mère seule est sûre.. du père ! Encore que même cela n’est plus totalement certain. Des circonstances que je laisse à imaginer peuvent devenir des équations à plusieurs inconnu(e)s.
Plus dans l’esprit de la fête que nous célébrons : la mère seule est cette ressource sûre, ce lien, ce recours constant qui la rendent si chère à son enfant. Encore que là aussi, on trouverait de quoi disserter dans une copie du bac. « En vous aidant de la tragédie antique et de la littérature contemporaine, vous commenterez cette locution latine « la mère seule est sûre » et la confronterez aux enjeux du féminisme contemporain ».
A y réfléchir, ce serait même un sujet de concours général et la correction des copies ne manquerait pas de saveur.
Seule à être sûre, la mère, du nombre de ses enfants. Cela au moins, relève du théorème et ne souffre guère d’exception. La fête des pères, qu’attendent avec impatience les marchands de cravates et d’eaux de toilette sentant le déodorant pour lieux du même nom, est de ce point de vue beaucoup plus aléatoire. Feydau ou Labiche auraient été j’en suis convaincue friands de scènes ou un père serait fêté ce jour-là par une progéniture beaucoup plus large qu’envisagée, voire même espérée. La fête des pères hélas n’avait pas encore été inventée.
Je le dis souvent, le latin par sa densité et ses formules est la langue du tweet. Gageons qu’avec cette locution, elle peut animer les interminables repas de fêtes des mères ou deux ou trois générations se congratulent de l’historique du cadeau de fête des mères, du napperon au collier de macaronis, en passant par le « compliment » ou le petit poème.
Les guerriers et les soldats
Il y a en politique deux groupes de combattants : les guerriers et les soldats.
Les guerriers jouent plutôt individuel, fomentant des coups, celui du jour comme celui d’après, élaborant des stratégies, prenant le maquis un moment pour mieux ressortir où on ne les attend pas. Machiavel(s), Talleyrand(s) ou Clausewitz(en), brillants en campagne, souvent gagnants et médaillés de victoires improbables, ils séduisent et à la fois ils sont craints.
Les soldats, grognards, fantassins ou artilleurs, Duguesclin ou Bayards, évoluent plus volontiers dans le collectif. Ils font pack, vont au combat comme les joueurs de mêlée au rugby. Pas de victoire sans eux, pas de mouvement de troupe, pas de constance, pas de fraternité ni dans les mi-temps, ni après ni avant elles.
L’idéal existe : guerriers vis à vis de l’adversaire, soldats à l’intérieur de leur équipe. A la fois capable de montrer la voie et d’être au coeur des troupes. Ceux-là, en politique comme ailleurs, ne sont pas les plus nombreux.
Et puis, il y a ceux qui durent, je veux dire qui ont une pensée et qui laissent une trace. Guerriers et soldats quand il faut car ils auraient été sinon dès le départ piétinés, mais capables même si les jaloux ou les circonstances abrègent leur combat de laisser derrière eux une marque indélébile.
Chacun mettra des noms aux représentants de ces groupes. La troisième colonne n’est pas la plus fournie : Mendès, Blum, Jaurès, quelques autres.. De Gaulle bien sûr, sans doute le mieux partagé dans les trois valences évoquées.
Un métier comme souvent, où il est difficile de gagner la guerre, mais beaucoup plus encore de survivre à la paix.
Un héros de notre temps
Le quinquennat de François Hollande est dès aujourd’hui marqué par l’entrée au Panthéon de quatre héros qui marquent notre Histoire. Quatre héros forgés par la résistance devant l’ennemi imprescriptible que fut le nazisme.
Pas un Français qui ne puisse s’en réjouir, deux hommes, deux femmes dont la force et le caractère sont en tous points remarquables et admirables.
A propos de cette panthéonisation, on m’interrogeait à l’instant dans la salle des 4 colonnes sur mon ressenti et mes attentes. Une chose m’apparaît et ne constitue en rien une réserve ou un regret à l’égard des personnalités choisies. Mais c’est sans aucun doute un souhait et le sentiment d’un besoin.
La période de la Résistance est pour la grande majorité des Français lointaine. Bien que faisant partie de l’Histoire contemporaine (nous connaissons des personnes qui l’ont vécue), elle est déjà entrée dans l’Histoire. Les circonstances la marquent et, du moins à l’identique, elles ne nous paraissent pas reproductibles à l’horizon de notre vie. Très clairement, les jeunes ne sont pas en capacité de s’y identifier.
Or, ce qui manque à notre début de siècle, c’est la conviction que l’héroïsme, l’exceptionnalité, ne sont pas des valeurs ou des ambitions d’un autre temps, non plus que d’un milieu privilégié. Un roman de Lermontov s’appelle « un héros de notre temps ». C’est celui-là qui manque pour éclairer le chemin de ceux qui sont encore à son début.
Dans cette perspective, j’avais proposé au Président et à Vincent Peillon, la panthéonisation de l’instituteur d’Albert Camus. Celui sans lequel, selon les mots du discours de prix Nobel, Camus n’aurait jamais été celui qu’il fut.
Car l’instituteur, l’enseignant aujourd’hui n’a pas un autre rôle, ne doit pas avoir une ambition plus modeste. Le petit pied-noir d’Alger, fils d’une veuve, femme de ménage, avait exactement les mêmes besoins que tant d’enfants d’aujourd’hui, dépourvus de tout « capital social », parlant un français mâtiné d’un dialecte ou d’un autre, en tout cas ne possédant que des outils fragiles dont il ne savait pas comment se servir.
A cet enfant, il faut donner des chances d’égalité, montrer qu’il est plus qu’il ne croit et même qu’il ne peut imaginer ; lui donner aussi, et le premier élément n’est rien sans le second, le désir, la volonté et le courage d’être celui-là. A tous les jeunes, il faut montrer que le héros ne sort ni d’un livre, ni d’une bande dessinée ou d’une console de jeu, mais de la vie réelle.
Ma proposition avait ce sens-là : honorer l’éducateur, l’enseignant, le formateur de caractère, l’exemple, d’où qu’il vienne, lui montrer que l’enjeu, « ce qu’on appelle gloire », n’a pas faibli depuis l’instituteur Louis Germain.
Le prochain candidat à la panthéonisation, c’est ce héros de notre temps, dont les ennemis ne portent pas forcément d’uniforme, le terrain d’action n’est pas forcément le maquis, rien de poétique, de cent fois filmé et glorifié, tout au contraire. Le héros de notre temps vit aujourd’hui dans la tragique indifférence de la société et dans le petit sauve-qui-peut.
Une journée de solidarité bien décolorée
La « journée de solidarité » instituée en 2004 par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin pour contribuer à la prise en charge publique de la perte d’autonomie a perdu beaucoup de son sens au cours des années. Qui connait encore son origine ? Qui sait que la perte d’un jour de RTT ou la minute 52 secondes supplémentaires (…) qu’un salarié de la SNCF est supposé travailler chaque jour permet d’abonder le budget de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) ? Ce budget de 2,4 milliards chaque année va pour 2/3 au grand âge et pour 1/3 au secteur du handicap : il contribue aux allocations de solidarité et permet de nombreuses réalisations en direction en particulier des établissements d’accueil des personnes concernées.
Cette « décoloration » apparait de plus en plus dommageable dans ce temps de « transition démographique » où chacun devrait s’imprégner du besoin de solidarité intergénérationnelle. Les écoles sont malheureusement fermées : la journée aurait pu être consacrée à un enseignement adapté à chaque niveau de classe sur le sujet. Des initiatives telles que repas en commun avec les résidents d’un EHPAD, projections de films, débats avec des âgés, activités communes.. auraient pu donner utilement corps à ce lundi de Pentecôte « férié travaillé ».
Il n’en est malheureusement rien. Soixante-dix pour cent des Français ne travaillent pas aujourd’hui et ce lundi n’est qu’un pont de plus parmi tous ceux du mois de mai. De moins en moins d’allusions dans les médias (pas une ligne par exemple dans Libération ni dans Sud Ouest du jour), aucune manifestation particulière envers les âgés. Peut être aurait-on opportunément pu instituer une fête des grands parents correspondant à ce jour, je ne sais, mais cette indifférence générale est consternante.
Je peux le dire maintenant, j’étais (dans mon temps de Ministre) pour ma part favorable à une deuxième journée de solidarité permettant d’assumer un meilleur financement des établissements d’accueil et permettant d’étendre la loi que j’ai élaborée à ce secteur au lieu de la centrer sur le seul domicile. Cela supposait un très gros effort de pédagogie et l’appui soit des églises (si ce jour avait été une fête religieuse), soit des anciens combattants s’il s’était agi du 8 mai, dont on aurait pu décider qu’après le 70ième anniversaire, il pouvait devenir un jour férié travaillé. Cette perspective n’a pas été retenue mais nous savons qu’une prise en charge plus complète ne pourra se faire qu’au prix d’une recette supplémentaire ou d’un recours à l’assurance privée.
Chacun doit s’interroger sur son choix. Pour ma part, le mien est celui de la solidarité. Les données démographiques (augmentation de la population mondiale, longévité) sont claires : « le XXIe siècle sera celui de la fraternité ou ne sera pas ». Cette parodie d’une citation attribuée à Malraux n’est pas juste : le XXIe siècle sera, mais sans fraternité il sera d’une grande cruauté.