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La citrouille et le carrosse

Ma collaboratrice Marie m’a offert hier une « main » (cette mesure un peu désuète convient bien à son objet d’aujourd’hui) de graines de potiron. Le potiron a non seulement le plus joli des noms mais il est également parfait par ses dimensions, sa couleur et ses formes, sans parler de ses bienfaits quand une main familiale l’a transformé en soupe.

Cela m’a fait souvenir d’une histoire que Mamaman adorait raconter. A l’occasion de la confection d’une de ces soupes, elle avait planté un peu au hasard une graine de potiron en lisière d’un gazon rustique de notre jardin. Quelques mois après, la baronne Pauline de Rothschild vient la visiter. Mamaman n’était plus tout à fait jeune, il s’agissait d’une visite tout à fait privée et d’autant plus précieuse.

Par quelque grâce, la modeste petite graine avait fait carrière. Elle était devenue aussi grosse et rebondie que la citrouille de Cendrillon et s’était installée au bout de sa tige tortillée sur le gazon. Nos deux dames entament un tour de jardin et la baronne, sincèrement ravie, s’enthousiasme;

– « Mais, ma chère amie, même les jardiniers anglais n’ont jamais eu cette audace ! Cette citrouille, son feuillage, sa tige, sur ce gazon, voilà ce que je n’ai jamais vu, non plus à Tintinhull qu’à Jenkin place.. Je vais suggérer qu’on prenne ce risque sur les pelouses de Mouton ».

Les amateurs de vin savent ce qu’est « Mouton ». Je ne sais pour ma part s’il y eut jamais de citrouille sur le gazon de cette noble demeure. Mais il est vrai qu’aucun jardin anglais dont j’ai pu consulter les images ou connaître les pelouses n’en a connu jusqu’alors de parcourues de la tige élégante de ce non moins noble cucurbitacé.

Ma mère n’était pas femme à avoir planté par audace. Elle portait en elle cette belle tradition paysanne, qui fait que quand on a une graine, on la plante. Au propre, comme au figuré, je m’aperçois à distance que son talent pédagogique n’était pas autre chose.

La baronne, n’était pas sans moins d’intelligence et de culture. Les cinq talents de la bible sont diversement distribués et plus encore diversement utilisés.

Herbe à nigauds, herbe à Nicot, on a tout faux

Un point réunit le tabac et le cannabis : l’échec total des politiques appliquées qui fait de la France dans les deux cas le mauvais élève de l’Europe..

Un Français sur trois est fumeur, les femmes presque totalement épargnées jusqu’aux années quatre-vingt comptent aujourd’hui pour l’essentiel dans l’augmentation des cancers dus au tabac et c’est au total 73000 personnes* qui meurent chaque année du tabac. Le cancer pulmonaire de la femme est, de tous les cancers, celui dont la fréquents augmente le plus.

On n’est pas en mal non plus de chiffres inquiétants à propos du cannabis. Le nombre de personnes en ayant consommé dans l’année est de 8,64 % (population de 15 à 64 ans). Cette prévalence est une des plus élevées d’Europe et ce sont chaque jour 550 000 individus qui fument quotidiennement des joints. Les jeunes sont les premiers concernés par l’augmentation de la consommation et là est le drame.

Le cannabis n’est pas pour autant le « serial killer » qu’est le tabac et si les jeunes en étaient totalement épargnés, on pourrait le considérer comme modérément dangereux. Hélas consommé dès l’adolescence il réduit de 8 points le quotient intellectuel et est responsable de lésions cérébrales anatomiques et physiologiques en détruisant les transporteurs de dopamine. Les fumeurs précoces puis réguliers sont significativement atteints dans leur vie sociale et professionnelle.

Les deux produits sont addictogènes : loin devant, le tabac dont on considère qu’il dépasse l’héroïne pour le risque d’addiction (Inserm). Le cannabis compte pour un risque 6 fois moins important mais le problème est bien souvent plus complexe car addictions et risques sont souvent intriqués (qui fume l’un, fume souvent l’autre).  C’est au sommet le cas pour l’association cannabis et alcool (sous la forme du « binge drinking »), dévastatrice pour les jeunes cerveaux.

Tout cela est connu de plus ou moins longue date mais n’est en aucun cas une révélation. Pour autant, nos politiques demeurent frileuses, incables de remises en questions comme d’initiatives d’envergure. Une étude récente du groupe Terra Nova, venant à la suite du rapport Vaillant auquel je m’étais associée lors de la précédente législature, analyse les bénéfices et les effets de 3 scénarios faisant évoluer notre législation d’interdiction/répression du cannabis. Ces 3 scénarios sont les suivants : dépénalisation de l’usage du cannabis, légalisation avec monopole public , légalisation concurrentielle. Dans les 3 cas, le nombre d’usagers quotidiens augmente, mais les dépenses publiques liées à l’arsenal répressif diminuent et en cas de monopole d’Etat, permettant une augmentation du prix elle même génératrice de fléchissement de la consommation, génèrent un bénéfice global pour l’Etat de 2 milliards.La question est au moins posée.

En ce qui concerne le tabac, nous venons à l’Assemblée (PLFr 2014) de nous priver de l’arme majeure de diminution de la consommation en premier lieu chez les jeunes : l’augmentation du prix. Celle ci est gelée pour deux ans, et si elle venait à se produire se ferait en augmentant le bénéfice des cigarettiers pour lesquels la France est le 5ème pays le plus lucratif du monde. Triste record, s’il en est.
La mise en place du « paquet neutre » est prévue à l’occasion de la loi de santé et c’est une mesure positive mais dont on sait qu’elle s’use à moyen terme avec l’habituation des consommateurs. Les multinationales du tabac se sont d’ailleurs préparées avec des couleurs de paquet rappelant suffisamment la marque pour qu’on n’est pas besoin de l’écrire.

Au total et pour des raisons différentes : les chiffres de la consommation dans la population (prévalence) augmentent et on continue comme avant ou presque. Pour le cannabis, c’est le risque politique qui freine toute avancée. Plusieurs personnalités (Duflot, Peillon…) en ont déjà fait les frais en recevant les foudres d’une partie de l’opinion en se limitant pourtant à s’interroger sur l’inefficacité de l’attitude actuelle.

Concernant le tabac, c’est la pression des buralistes et la stratégie très élaborée des multinationales du tabac qui nous enferme dans un scandale sans proportion avec celui du mediator, pour n’en citer qu’un : nous savons que le tabac tue un fumeur sur deux, engouffre en dépenses sanitaires et sociales correspondant à 3 fois le déficit de la sécurité sociale, et nous regardons nos pieds.

Une politique européenne dans les deux cas permettrait sans doute d’avancer. Mais qui pour la porter ? Celui-là pourtant marquerait l’histoire de ce petit continent et lui donnerait du sens.

Si la question, une sorte de « choix de Sophie » politique, vous était posée : « aujourd’hui, si aucun des deux produits n’était en vente légale, lequel légaliseriez vous ? » (Ma réponse dans un billet ultérieur)**

79000 morts par an selon les chiffres réactualisés 

** J’ai à plusieurs reprises depuis ce billet, pris position pour un assouplissement de l’usage du cannabis thérapeutique . Il figurait dans mes propositions à l’occasion des législatives 2017

 

 

12/12/14 – Challenges – Comment éradiquer le tabac, ce serial killer, d’ici 2025?

Comment éradiquer le tabac, ce serial killer, d’ici 2025?

Par Michèle Delaunay, députée de la Gironde, ancienne Ministre.

 

Michel Delaunay (c) Michel Delaunay
La lutte contre le tabac est-elle un enjeu trop sérieux pour la laisser aux politiques ? Le vote à l’Assemblée d’un amendement surprise allant à l’encontre de la santé publique autorise à poser la question.

La politique ne parviendra au but en tout cas qu’avec le concours de l’opinion publique et le support des médias, les forces contraires sont trop puissantes. Nous ne sortirons pas du tabac en un jour, ni même en une année mais en dix, ce doit être possible. La sortie du tabac est même inéluctable : plus un Etat qui pourra tolérer à long terme cette hécatombe (par an, 73.000 morts en France, 700.000 dans l’Union Européenne) pas un système de protection sociale qui pourra assumer le coût vertigineux des dégâts sanitaires et sociaux de ce serial killer : 47 milliards d’euros pour la France soit 3 points de PIB et trois fois le déficit de la sécurité sociale.

Alors quoi faire ? D’abord assumer et expliquer l’objectif. Le tabac a tué beaucoup plus que le nucléaire, proposer d’en sortir en 2025 est un objectif du même ordre d’importance que l’abolition de la peine de mort et auquel il ne manque qu’un porte-voix. Personne, nulle part, ne pourra le contester s’il est préparé. Car ce n’est pas UNE mesure, comme le gel des prix que nous avons voté au Parlement le 5 décembre qui y suffira.

Tout au contraire, elle démontre que le politique a cédé aux buralistes d’abord qui le réclamaient à grands cris, et aux cigarettiers par le biais de la « part spécifique » qui augmente leurs bénéfices déjà considérables au détriment des recettes de l’Etat. Cédé sans contrepartie, sans vision globale et pour tout dire, à la petite semaine.

Le tabac tue un fumeur sur deux, 3 fois plus que la roulette russe. On ne gagnera la bataille contre cette pandémie comportementale que par un faisceau de mesures que les citoyens sont prêts à accepter et à comprendre car il n’y a pas de fumeur heureux, pas de fumeur qui ne désire arrêter.

Trois grandes mesures à prendre

Ces mesures sont de 3 ordres. D’abord l’ harmonisation de la fiscalité du tabac entre les pays européens avec l’objectif assumé d’harmoniser les prix à la hausse, pour priver les cigarettiers de leur arme majeure : les ventes illicites et la contrebande qu’au demeurant ils alimentent. En deuxième lieu l’accompagnement des buralistes vers cette sortie du tabac par la diversification de leurs attributions, voire l’augmentation de leurs bénéfices pendant la période de transition. Leur rôle social est important. Nous ne sommes pas obligés pour autant de pérenniser leur rôle de distributeurs de cancers (44.000 par an dus au tabac et donc évitables en France). Il faut enfin garantir la possibilité d’actions de groupe des victimes du tabac et de leurs familles à l’encontre des cigarettiers voire même.. de tous ceux qui, alors qu’ils savaient, n’ont pas tout mis en oeuvre pour arrêter cette machine de destruction massive.

L’amiante nous démontre encore ce que peut être le résultat de cet aveuglement. Tout cela sur fond de prise en charge de tous les dispositifs de soin et d’accompagnement du sevrage tabagique; et bien sûr de mesures de prévention, d’éducation en direction particulière des jeunes qui entrent aujourd’hui massivement en addiction.

La meilleure chance sera cependant la personnalité qui osera imposer par la force de sa conviction la sortie du tabac avant 2025. Un milliard de morts du tabac prévu par l’Organisation Mondiale de la Santé pour le XXIème siècle. Qui dit mieux ?

Par Michèle Delaunay, députée de la Gironde et ancienne Ministre.

Tabac : l’amendement papillon

Pas plus épais que l’aile d’un papillon, mais tout aussi fécond en effets délétères, l’amendement que nous avons voté le 5 décembre dans l’hémicycle à l’occasion du débat sur le Projet de Loi de Finances rectificatif (PLFr)

« Les trois dernières phrases du troisième alinéa de l’article 575 du code général des impôts sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « La part spécifique pour mille unités ou mille grammes ainsi que le taux proportionnel sont définis, par groupe de produits, à l’article 575 A. ».

Merveille du langage législatif, dont on se demande quelquefois s’il n’est pas fait pour éloigner le citoyen de la compréhension de la loi. Ce petit amendement sibyllin a un grand mérite: il est le tout petit arbrisseau qui cache la forêt de la législation sur le tabac.

Ce qu’il cache n’est en rien -ou presque- ce qu’explique de manière étrangement diserte l’ « exposé des motifs » qu’on trouvera aisément en ligne. Un des mes maîtres en médecine répétait : « quand on fait trop long, c’est qu’il y a un loup ». Non, il ne le disait pas comme ça, je parodie la grand-mère de Martine Aubry. Mais l’idée était la même.

– Cet amendement n’est que la déclinaison non chiffrée d’une longue suite d’amendements parfaitement identiques issus de députés de plusieurs groupes UMP, UDI, plus 4 valeureux socialistes visant à augmenter la « part spécifique ».

La part spécifique, parait pour un lecteur innocent plutôt plus fiable que la part variable. Ce n’est pas tout à fait faux MAIS elle a surtout le mérite -ou le défaut- de fixer la part de bénéfices revenant aux cigarettiers, c’est-à-dire les quatre ou cinq grands groupes multinationaux qui trustent ce commerce de mort.

La rapporteure du budget, Valérie Rabault, a démontré avec un courage certain que ni elle, ni la commission des finances, n’approuveraient cet amendement, car il enlevait à l’Etat, à consommation constante, 316 millions d’euros au bénéfice des cigarettiers.

– Le deuxième effet papillon, est que sous couvert d’harmonisation européenne cet amendement vient en contradiction de la directive européenne 2011-64 qui stipule que le taux spécifique ne peut être fixé qu’en référence au prix moyen pondéré. C’est du chinois pour vous ? Eh bien, pas du tout, c’est de l’européen dans le texte et je ne tenterai pas de l’expliquer dans ce billet, bien qu’ayant fait l’effort de le comprendre.

Juste une incidente : ce sera demain du chinois dans le texte si l’Europe continue comme ça. Mais c’est une autre histoire.

– Ce gentil amendement nous prive surtout de la capacité d’augmenter, via la fiscalité, les prix du tabac. Ce qui nous enlève  l’arme unanimement démontrée comme la plus efficace pour la réduction du tabagisme et plus encore de l’entrée en addiction des jeunes : l’augmentation notable des prix. Ce qu’avait souligné le Président de la République dans son discours de présentation du 3ème plan cancer.

Ceci répond à l’exigence bruyante des buralistes et pourrait d’ailleurs se concevoir si cela se situait dans un programme de sortie du tabac, assumé et préparé avec eux. Le tabac tue chaque année plus de deux fois la population des buralistes français (73000 décès/28000 buralistes), je ne doute pas qu’ils pensent quelquefois. Mais la mesure n’aurait du en aucun être prise sans contrepartie. Pour moi, politique égale négociation, pas reddition.

La politique, c’est pas dur, mais c’est quelquefois un peu obscur. L’amendement est venu peu avant 20 heures, un vendredi soir, à l’orée d’un des week ends de l’avent où tout le monde, journalistes compris, est préoccupé d’autre chose que des arcanes de la fiscalité du tabac.

L’effet papillon ne se verra dans toute son ampleur que dans les statistiques à venir du nombre de morts du cancer. Pas cool.

 

 

« Qu’as-tu fait de ton frère ? »

Le tabac aujourd’hui, c’est comme l’amiante hier : tout le monde sait, mais les décisions tardent.Viendra le temps de la responsabilité, de la mise en cause et du jugement.

Soixante-treize mille morts par an et vous, qu’avez vous fait ? Vous qui êtes responsable politique, fabricant ou vendeur de cigarettes ? Vous qui êtes parents ou enseignants et qui voyez des jeunes entrer en addiction, vous qui jouissez de la confiance du public et avez les moyens de vous exprimer ? Vous aussi qui êtes journalistes ? Vous qui êtes producteur de cinéma et qui recommencez à montrer des personnages qui fument au nom de la liberté artistique ?

Et vous aussi, qui siégez dans les institutions européennes, aucune interrogation, aucune inquiétude quand ce sont 700 000 citoyens de l’Union Européenne qui meurent chaque année du tabac ? Pas l’idée de faire cesser cette cynique concurrence entre les pays, à qui en vendra le plus ? Pas le sentiment de l’obligation et de l’urgence pour harmoniser enfin la fiscalité sur le tabac et sortir de ce jeu illicite et corrompu ?

C’est à chacun de se répondre mais c’est ensemble qu’il faut préparer la sortie du tabac et c’est maintenant, juste maintenant qu’il faut s’y mettre. Nous n’avons que trop tardé.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel