La sortie du tabac est aujourd’hui un combat de même importance que l’abolition de la peine de mort.
En réalité, personne n’en doute, personne ne remet en question l’énormité des chiffres, et pourtant rien ne bouge vraiment. Des sommes énormes ont été englouties dans des messages de prévention, des sommes bien plus énormes continuent de l’être pour accompagner, soigner mais jamais guérir, les dégâts sanitaires et sociaux de ce « mondial killer ».
Alors pourquoi cette impression de s’attaquer à la plus lourde et la plus immobile des montagnes chaque fois que l’on tente une avancée ?
Parce que les intérêts sont énormes et principalement de trois ordres.
Le premier, le plus pesant et de très loin, c’est l’industrie du tabac. Quatre ou cinq grands groupes dans le monde trustent cette industrie de mort. Des livres, des émissions de télévision, un grand nombre d’articles de presse, en ont montré le poids et la réalité. Récemment, l’émission CashInvestigation a fait frémir d’horreur des millions de spectateurs et de commentateurs. Les faits n’ont pas été contestés, la réalité est là. Quelques organes de presse se sont saisis du sujet, trop peu car nous ne parviendrons à rien sans l’opinion publique.
J’avoue ne pas comprendre que des courants politiques opposés au monde de la finance et à l’ultra-libéralisme ne montent pas au créneau contre ces multinationales, car il s’agit bien plus de financiers, jouant avec les taxes, faisant pression sur les pays, que d’industriels désireux d’améliorer leurs produits et d’en réduire la toxicité. Tout au contraire, leurs efforts portent sur l’aggravation par des additifs de leur pouvoir addictogène. Pour ma part, c’est aussi une des raisons de mon engagement.
Le second, ce sont les producteurs. En France même, la culture du tabac est largement présente et elle est subventionnée à la suite de mesures européennes. Il y a quelques années, des subventions ont été données aux viticulteurs pour arracher leurs vignes car notre production était considérée comme excessive.
Il y a un pas entre demander à un vigneron d’arracher ses ceps de vigne et à un planteur de tabac de s’orienter vers une autre culture. Un viticulteur produit bien souvent son vin, se lève la nuit pour voir si la fermentation se fait bien, en un mot il aime ce qu’il fait et en prend soin. Pour autant, beaucoup de ces viticulteurs ont arraché leur vigne pour réorienter notre production.
Les subventions européennes ne pourraient-elles être dirigées vers la transition de la culture du tabac vers une autre ? Nous serons bientôt 9 milliards, n’y a t-il pas plus utile à cultiver ?
Le troisième, ce sont les buralistes. Ils ont derrière eux une longue et belle histoire depuis le temps où les bureaux de tabac étaient attribués aux « personnes méritantes » et en particulier aux veuves de guerre. Ils ont surtout aujourd’hui un rôle majeur : celui de « point social », bénéficiant d’un large horaire d’ouverture, ce qui fait de leur travail un travail difficile. Ce rôle social est vital dans les quartiers, en milieu rural, partout. Les âgés en particulier ont besoin de ce lieu de rencontre où l’on va chercher le journal en même temps bien souvent que de commenter la météo et de dire du mal du Gouvernement. Toutes choses également utiles et également pratiquées depuis des décennies.
Les « bureaux de tabac » et leur petite civette rouge sont au nombre de 30 000 en France. Ils reçoivent chaque jour des centaines de milliers de personne et constituent bien sûr un groupe politiquement sensible. Après le premier plan cancer de Jacques Chirac et ses mesures d’augmentation de prix du tabac, suffisamment importantes pour impacter la consommation, ils se sont mobilisés comme ils l’ont fait en 2013 avec une pétition « je soutiens mon buraliste, il fait partie de mon quotidien ». Allusion était faite à la « menace » que faisait peser sur lui l’augmentation des prix du tabac, mais aucune à la raison de cette augmentation et à la toxicité du tabac.
Eh bien, moi aussi, je soutiens mon buraliste et pour tout dire « j’aime mon buraliste » comme on aime aujourd’hui sa banque. Je l’aime même à ce point de vouloir travailler avec lui pour que son métier évolue et que son chiffre d’affaires ne se fasse plus aux dépens de celui de l’hôpital et de la sécurité sociale. Je l’aime, à l’égal de tous les autres Français, à ce point de refuser de le voir paralysé par un accident vasculaire cérébral ou étouffé par un cancer du poumon. C’est bête mais c’est ainsi. J’y reviendrai.
Avouons-le, il y a aussi le monde indécis de ceux qui ont intérêt à ce que le commerce du tabac perdure. Il ne faut pas être Madame Soleil pour savoir que des prébendes, petites ou très grandes, existent partout, que contrebande, accords cachés et autres « optimisations » brouillent les cartes. Des commissions d’enquête doivent être mises en place. Pour l’instant, personne n’y est parvenu. Cet univers n’est pas le plus facile à faire évoluer.
Ces trois groupes principaux se rejoignent sur UN argument : à quoi bon agir en France (c’est à dire augmenter les prix, ce qui est la seule mesure efficace), cela ne servira qu’à augmenter les achats hors frontières.
Autrement dit, à quoi bon combattre sur un territoire si on n’est pas sûr de gagner une guerre mondiale ? Pourquoi abolir en France la peine de mort, si l’abolition universelle n’est pas acquise ?
Eh bien, nombre de pays ont suivi la France. En Europe, pas un qui énonce et qui applique la peine de mort. Et l’abolition universelle est en marche.