Les trente pleureuses
Ce n’est pas pour moi un sujet d’enthousiasme, mais il faut bien envisager la réalité : les trente glorieuses de la natalité seront demain les trente pleureuses de la mortalité. Les 18 millions de (baby)-boomers dont j’ai l’honneur de faire partie entrent aujourd’hui dans le champ de l’âge. Viendra le temps où ils en sortiront, non sans quelques bouleversements..
Le nombre de décès annuel, stable dans notre pays depuis les années 50, va augmenter rapidement (il commence tout juste à « frémir ») pour redescendre dans les années 2040-50 dessinant une courbe que l’on compare au célèbre dessin du Petit Prince de « l’éléphant dans le boa ». Pendant les 30 ans à venir, fin de vie et mort, vont croître en importance numérique et il y a fort à penser que cela remette en question assez profondément la place que l’une et l’autre ont aujourd’hui dans notre société.
Près de 80% des décès surviennent aujourd’hui en milieu hospitalier, souvent à l’issue d’une prise en charge plus ou moins continue et prolongée mais bien souvent aussi, à la suite d’une hospitalisation d’urgence dans les dernières heures. Ceci est bien souvent délétère, les services d’urgence étant un lieu bien peu approprié à l’accompagnement des dernières heures de la vie.
Déjà en nombre très insuffisant aujourd’hui, les structures de soins palliatifs seront incapables de répondre à l’élévation de la mortalité et des exigences que nous devons avoir de l’accompagnement de la fin de vie. Voilà une première conséquence, sans doute la plus urgente à prendre en considération : augmenter le nombre et améliorer la répartition des unités et équipes mobiles pour que chacun puisse y avoir accès, en particulier au domicile et en EHPAD.
Les boomers sont aujourd’hui très nombreux à accompagner leurs parents dans le grand âge. Quand ils l’atteindront eux-mêmes, le nombre d’aidants potentiels auprès d’eux sera relativement beaucoup plus faible. De même, les professionnels des métiers de l’autonomie manqueront gravement si nous ne savons pas anticiper en créant des emplois et des structures en nombre suffisant.
Les économistes voient la question tout autrement. Les plus de 60 ans d’aujourd’hui sont pour 72 % d’entre eux propriétaires de leur logement et globalement (mais non bien sûr en totalité) leur situation matérielle est favorable. L’on prévoit donc, à leur mort, un afflux de biens fonciers sur le marché immobiliser, une vente forte d’ « actifs financiers » et un déséquilibre des marchés. Il faudrait assurément anticiper en facilitant les donations précoces aux enfants ET aux petits enfants, dont beaucoup sont en situation plus problématique que les générations qui les précèdent.
Tout cela se passera dans un contexte économique très éloigné de celui des « trente glorieuses » qui, outre la natalité, furent des années de forte croissance économique. Rien ne permet de prévoir que cette croissance reviendra. Au contraire, elle restera probablement faible dans tout le continent européen. Ce qui ne facilite pas la résolution de l’équation.
Voilà qui paraît très froid et un peu cruel. En vérité, c’est s’abstenir de s’en préoccuper qui le serait. Les jeunes générations ont aujourd’hui un accès beaucoup plus difficile que leurs parents ou grands-parents au logement et au crédit. Les schémas traditionnels économiques, financiers, fiscaux n’ont plus cours à l’aune de cette « transition démographique » qui va tout basculer. Qui en parle ?
Ma génération est aujourd’hui quasi expérimentale de ce que sera le monde de demain. Elle a été en 68 la génération de l’émancipation. Elle commence aujourd’hui d’être celle qui a à inventer un nouveau mode de vivre l’âge et à re-penser la place de la fin de vie dans la société.
Vaste programme, dirait le Général.