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Il faut aimer la politique (I)

Ce sont les mots clefs du discours de Jean Pierre Bel dans le jardin du Sénat le 23 juillet 2014. Jean Pierre Bel a choisi de quitter la vie politique au faîte d’une carrière inattendue (être le premier Président de gauche de la haute assemblée) et ce soir là, il s’est confié. Un peu : ce n’est pas dans sa nature. Il a tracé les étapes de sa vie, vie d’homme et vie politique, de son enfance de gamin pauvre dans la banlieue de Toulouse, jusqu’à cette Présidence du Sénat qui nous a réjoui le cœur en 2011.

J’ai dit  que cette carrière était inattendue parce qu’elle n’était pas préméditée, réfléchie, calculée. Tout fut engagement et spontanéité, du choix de l’Ariège pour établir sa base électorale dans le petit village de Milanès, du compagnonnage avec François Hollande et jusqu’à l’élection au Sénat, puis à la présidence du groupe socialiste de cette noble Assemblée.

La suite s’arrêtait là, ce beau soir, où Jean Pierre Bel disait « au revoir », sereinement et semble-t-il assez joyeusement, dans le but de retrouver son Ariège et une vie plus libre. La morale de ces années passées dans la politique, vécue comme le service des autres, fut donc celle là : il faut aimer la politique.

Cela paraît simple et quasi-insignifiant. Aimer la politique parait en effet nécessaire si l’on veut lui consacrer le temps qu’elle exige. Tout montrait au contraire, à l’écoute d’un récit où les difficultés n’avaient pas manqué mais n’avaient apparemment laissé ni amertume, ni cicatrice, que ce fut un apprentissage, puis une conviction et enfin une vérité, presque une consigne, qu’il convenait de transmettre.

La phrase dut marquer François Hollande car il la reprit deux fois dans son allocution. Elle me marqua plus encore : j’ai aimé la politique dans le court temps où j’y ai vécu, où je m’y suis consacrée, pleinement à partir du moment où j’ai été élue députée, totalement dans celui où j’ai été Ministre.

Maintenant encore ? C’est peu dire que ma non-reconduction lors du remaniement d’avril 2014 a été une blessure, blessure sans doute inguérissable si ce n’est par l’écriture, si du moins cette écriture va quelque part.

Hollande a fait ensuite le tour de l’assistance, saluant l’un, bavardant avec l’autre, apparemment amène et désireux d’être agréable à tous. Venant à moi, après un mot ou deux de sa pare, je lui ai dit que j’avais été marquée par cette phrase qu’il avait reprise et soulignée. Sa réponse a été seulement de la répéter de nouveau accompagnée de quelque chose comme « en effet ». Avant qu’il passe au suivant, je me suis risquée à ajouter.

-«Où nous en sommes, il faut surtout la faire aimer »

Sans doute, a-t-il à peine entendu et il continué son chemin. L’assistance était nombreuse et il n’avait pas l’intention d’entamer conversation.

C’est cette petite phrase en tout cas et sa déclinaison « il faut faire aimer la politique » qui me permet d’écrire, une page ou cent,  je ne sais pas.

Hemingway ne disait-il pas « il suffit d’écrire la plus petite phrase vraie et toutes les autres viendront ».

 

Je rêve d’un Gandhi

Bouleversée, désemparée et presque paralysée -alors que mon programme du jour était dense- de la meute de réactions à l’un des mes tweets :

« De tout petits cadavres ensevelis en hâte au milieu des pleurs. Est-ce que les Israeliens ne se souviennent pas ? #Gaza »

Immédiatement, plusieurs retweets, plusieurs mentions « favoris », des réponses calmes et solidaires. Et puis, après une heure, l’affirmation d’une twitta « l‘ex Ministre @micheledelaunay compare implicitement les Israeliens aux nazis ».

Explosion de haines diverses, qui n’ont à cette heure pas cessé. Ont-elles vraiment lu mon tweet ou seulement le commentaire, leurs auteurs ont-ils réfléchi, se sont-ils interrogés sur ce que la forme elliptique du tweet contenait ?

Les uns m’ont traité de nazie, un autre m’a entendue (il l’a affirmé) crier « mort aux juifs ». Un troisième a rangé notre Gouvernement comme ceux qui l’ont précédé parmi ces fomenteurs d’antisémitisme qui faisaient qu’un juif ne pouvait désormais plus se promener sans crainte dans nos rues.

D’autres au contraire ont assimilé juifs à nazis, Valls à un vendu, Hollande à un complice. Beaucoup se sont rassemblés pour déclarer que je ne connaissais rien à l’histoire, d’Israel pour beaucoup, de la Palestine pour le même nombre, de la Shoah ou de l’Allemagne pour les autres.. Un dernier, finalement assez positif m’a conseillé de me présenter au concours de Miss France, sous-entendant que je n’étais qu’une « blonde » parmi tant d’autres de cette congrégation.

Aurais-je dû compléter ma phrase ? J’adore twitter par son incitation à la brièveté, son côté formule latine, sans fioritures et sans bavure. Je l’ai fait au milieu de tant de commentaires (« est-ce que les Israeliens ne se souviennent pas qu’ils ont tant souffert ?« ), mais il était trop tard, plus personne n’écoutait que soi-même.

Comme dans une foule, un cri était parti, un mouvement de haine ou de panique, et tout le monde piétinait tout le monde.

J’en suis bouleversée, atterrée. La paix est loin devant tant de haine, de rancoeurs, d’impulsivités croisées et si peu de voix pondérées appelant, comme le fait notre Gouvernement à l’urgence d’un cessez- le-feu. Chaque mort, chaque exaction, chaque violence, d’un côté ou de l’autre, attise la haine, retarde la chance d’une conciliation, d’une paix, d’une communauté de vie dans ce territoire qui est aujourd’hui comme une enclume chauffée à blanc.

Je rêve d’un Gandhi israelien, qui entrainera derrière lui la conscience du monde. Pourquoi israelien ? Parce qu’Israel est militairement le plus fort donc le mieux à même de faire le pas décisif. Pourquoi n’ai-je pas écrit « juif » quand ce peuple de culture et d’intelligence est si bien à même de le produire ? Pour ne pas divertir le conflit de ses limites territoriales.

Pouquoi pas « palestinien » ? Pour la raison contraire d’ « israélien ». Pourquoi ni arabe, ni musulman ? Parce que ces mots sont multiples comme ceux qui s’en revendiquent et moi trop maigre en connaissance de cette complexité.

Je rêve d’un Gandhi. Trop tard, diront certains, colères et clameurs ont depuis trop longtemps envahi le ciel. Plus possible, diront d’autres, alors que d’autres conflits aussi dramatiques et sanglants ont envenimé les terres où il pourrait aller prêcher, porter la parole de paix et l’essence même des religions qui aujourd’hui font monter la violence à son comble (deux femmes lapidées en Syrie ces deux derniers jours..)

Aujourd’hui, le même jour exactement, est celui de l’anniversaire de la rafle du Vel d’hiv et de l’attentat de Stauffenberg contre Hitler. L’Histoire nous apprend que le pire et le meilleur se côtoient chaque jour.

Je souffre à la pensée de ces petits cadavres, qu’ils soient Palestiniens, Juifs, Syriens ou chrétiens d’Orient. Cette souffrance n’est pas émotion d’un instant, mais désir de mémoire et volonté d’avenir.

 

 

 

 

L’accompagnement de la fin de vie est un droit

De retour du procès du Dr Nicolas Bonnemaison, j’ai une fois encore plus de questions que de réponses. Quand le Président de la Cour m’a demandé de dire « la vérité, toute la vérité » et de jurer, j’ai eu la fugitive envie de dire: « La vérité, je serais bien contente de l’avoir.. ». J’ai juré et finalement, j’ai en effet UNE vérité : l’accompagnement de fin de vie est un droit.

Nul ne doit mourir seul, sans une main amicale sur la sienne ou une voix familière pour l’accompagner, fût-il dans le coma. Nul ne doit mourir sans le secours de l’apaisement de la douleur mais plus encore de la souffrance. S’étouffer est horrible, ne laissons personne seul avec cette souffrance ultime.

On se souvent (de moins en moins) de Bossuet : « Madame se meurt, Madame est morte ! ». A ceux qui disent « c’était mieux avant », je rappelle les terribles souffrances, les odeurs putrides, les vers commençant de dévorer le corps, de la mort d’avant la médecine efficace.

Comment se décline, dans la pratique, au quotidien, cette vérité ?

Pour les grands âgés, qu’ils soient au domicile ou en maison de retraite, doit être offert le même secours que je pouvais donner aux malades qui m’étaient confiés (qui se confiaient à moi) au CHU de Bordeaux : le rassurement de soins de qualité, d’une équipe tout de suite réactive, de l’appui de soins palliatifs si souhaité et nécessaire. Vingt cinq mille de ces grands âgés, résidents d’EHPAD, meurent aux urgences, lieu particulièrement impropre à un accompagnement humain calme, posé, privilégiant le « care » au « save » puisque le « save » n’a dans bien des cas (pas tous) plus de sens. Soixante-quinze % de ces grands âgés, brutalement transférés et hospitalisés, n’atteignent en effet pas la deuxième nuit.

Même exigence pour les patients en fin d’évolution d’une « maladie longue et douloureuse » selon la formule pudique des faire-parts. Toute mort prévisible, anticipable, attendue doit être accompagnée et soulagée s’il en est besoin. Nous sommes nombreux à dire que nous voudrions mourir chez nous. Moins nombreux à savoir combien c’est difficile, quelle organisation cela suppose, quelle solidité cela exige de la part des proches. Ceux-ci ne doivent pas être laissés dans la solitude. Des soignants expérimentés doivent pouvoir être appelés, donner appui, soins et conseils, avant, pendant et après le deuil. Nous sommes loin encore de cela. Réseaux et équipes mobiles de soins palliatifs sont encore trop peu nombreux et bien souvent épuisés et inquiets de n’être pas en mesure de répondre aux besoins.

Cela au moins est une certitude, une vérité maintes fois confirmée par l’expérience, autant celle de médecin que celle de ministre : nul ne doit mourir seul, sans la main d’un proche, sans le secours d’un soignant et si possible avec l’un et l’autre. Le soignant n’est pas toujours nécessaire mais il est très souvent nécessaire qu’il accompagne l’accompagnant, l’appuie, le rassure sur la qualité de ses gestes, ne le laisse lui non plus pas seul.

Cela suppose « des moyens », comme on dit : développer les équipes mobiles de soins palliatifs, soutenir les réseaux de gérontologie et de soins palliatifs, faire qu’aucun EHPAD ne soit sans lien avec une structure de soins palliatifs, et ne puisse bénéficier de l’appui d’une infirmière la nuit, fût-ce dans le cadre d’une mutualisation entre 2 ou 3 EHPAD ou avec un service hospitalier. Je n’ai pu inscrire ces mesures dans la loi que j’ai élaborée autrement qu’en écrivant « favoriser », « développer » .. Mais ce doit être le prochain pas dès que la contrainte financière se désserera.

Le Defenseur des Droits aura-t-il un jour à se prononcer sur la bonne  observance de ce droit suprême ? Est-il besoin de dire que je le souhaite, que je l’attends et que dans mon mandat de député j’inclus cette exigence et le devoir d’y concourir.

Le pouvoir de nommer

 

C’est je crois Jacques Attali qui disait avec une vérité un peu cruelle: « Le pouvoir du Président de la République, c’est d’abord celui de nommer ». C’est au demeurant un grand pouvoir, parce que les postes où le Président nomme sont eux aussi grands.

Deux exemples, que l’actualité illustre, il nomme le Défenseur des Droits et le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté.

Cette deuxième fonction a été agrandie à la taille de celui qui en est le premier détenteur : Jean-Marie Delarue, dont à chacune de nos rencontres j’ai mesuré l’éminence de la personnalité. Il y a quatre jours, il s’est exprimé devant le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, rappelant les quatre principes qui ont guidé son exercice: intransigeance, indépendance, transparence sur son action, absolu secret sur tout ce qui concerne les droits des personnes (c’est-à-dire des cas individuels qui lui étaient confiés).

J’écris « étaient » car Jean-Marie Delarue parvient au bout de son mandat. La difficulté de sa succession est à la mesure du haut niveau où il l’a porté.

Le Défenseur des Droits est quant à lui, le 11ième personnage de l’Etat. Dominique Baudis me l’avait lui-même rappelé dans une manifestation où cela avait été un peu oublié.. Je l’ai écrit ici souvent : l’ordre protocolaire de la République n’est jamais insignifiant. Il n’est pas fait pour garantir des places dans une tribune ni l’ordre des sièges autour d’une table, il a toujours une raison, un sens profond. Le Député vient avant le Maire (hors ex-premier Ministre) parce qu’il représente le peuple. Le Préfet, dans un territoire, est le plus haut placé (hors présence d’un Ministre) parce qu’il représente l’Etat…

Chacun a sa place, le temps qu’il occupe sa fonction. Celle du Défenseur des Droits est éminente : il représente les Droits de tous et de chacun, comme le Garde des sceaux représente la Justice. Celui-ci a un ordre déterminé par le Président de la République au sein du Gouvernement qui, dans son ensemble, occupe la 6ème place.

La personnalité du Défenseur des Droits peut n’avoir pas de rapport avec la justice (je parle de sa carrière) mais elle ne souffre aucune fragilité à l’égard des Droits.

Beaucoup d’autres exemples, soit de nomination directe, soit d’approbation en Conseil des Ministres, ce qui suppose celle du Président de ce conseil, le Président de la République.

Reconnaissons que dans bien des cas (le Defenseur des Droits par exemple au sujet de la nomination duquel les commissions des lois de l’Assemblée et du Sénat se prononcent), l’approbation du Parlement est requise. Cela ne remet pas en cause la primauté de l’avis présidentiel.

Pourquoi ce billet ? Pour que chacun mesure que si notre République est une vieille dame, elle est comme tant d’âgés guidée par la raison, la responsabilité et le devoir.

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel