Le remaniement, une exception culturelle française
Deux millions cent cinquante mille occurrences de langue française dans le répertoire de Google, le remaniement ministériel est clairement à ranger dans les exceptions culturelles françaises.
Nos voisins -l’allemand en particulier, régulièrement cité en modèle- en font un usage à la fois parcimonieux et ponctuel, quand un Ministre a fauté et que quelques perturbations dans ses moeurs personnelles ou financières viennent l’imposer ou encore que lui-même juge sa mission achevée. Le modèle ordinaire veut cependant qu’il soit confié au Ministre une fonction et une mission, tout cela dans un package, tacitement assuré de durer le temps du Gouvernement. Quatre ans en l’occurrence. L’Allemagne, de ma connaissance, ne s’en porte pas mal.
Au cas où la perte de la majorité impose une démission du Gouvernement, le Président de la République en reçoit les membres dans une cérémonie solennelle diffusée en direct sur les chaînes nationales, où il est remis à chacun une « Urkunde », sorte de diplôme officiel portant reconnaissance et remerciement de la République pour son service. De l’ordre du symbolique, bien sûr, mais en matière de service de la République, cet ordre-là, le respect et la courtoisie qui vont avec, n’est pas sans signification.
Rien de cela chez nous, quelle que soit la majorité en place, quel que soit le Gouvernement, quel que soit le chef de l’Etat. Les Ministres, et en tête de peloton, le Premier d’entre eux, vivent toute la durée de leur éxercice dans un brouhaha confus de remaniement. L’un y va de ses hypothèses, l’autre de ses assurances, les confidences de Pierre s’ajoutent aux indiscrétions de Paul et aux démentis des deux. Les titres de ces dernières semaines relèvent de la course aux Oscars et la statuette va à « l’Opinion » pour sa persévérance à la mériter.
Quelle signification ? L’officielle, qu’il faut changer de politique, marquer qu’on a entendu le peuple, le plus souvent après un revers électoral. Revers électoral, nous avons eu les 23 et 30 mars, contestation n’est pas possible. Je ne me prononcerai pas sur l’écoute du peuple, non par doute, mais parce que seule la suite le dira.
Changement de politique est-il changement de visages ? Je ne me prononcerai là-aussi qu’avec prudence, y étant impliquée. Ce billet n’est ni le signe d’une amertume, totalement contraire à ma nature, ni lié à ma trajectoire individuelle. J’aurais pu l’écrire quelle que soit l’issue pour moi. Je m’autorise cependant une seule interrogation : les Français ont-ils perçu toute la signification du passage de mon ex-collègue mais toujours amie Fleur Pellerin, du numérique où elle excellait au commerce extérieur ? Chacun complètera s’il le veut cet exemple par d’autres.
La signification officieuse va plus loin. Il convient d’abord d’accélérer la roue de l’information. Les résultats de l’élection municipale ont été broyés, renvoyés au siècle précédent, avec ce remaniement en deux temps, complété d’un mini remaniement élyséen et d’un autre au Parti Socialiste. Plus gravement, il y a dans ce changement de casting quelque chose de sacrificiel, une sorte de rite français laïc et médiatique. Des bribes d’infos précèdent l’Information, l’attente gonfle comme une marée, on commente la mise en scène, le bal des voitures, les couleurs des costumes. L’abcès perce, on le presse, on le critique, on l’approuve, on le savoure. Le temps est occupé. Pour un temps.
Pas si négligeables, les effets collatéraux. Je ne parle pas ici des équipes, des ministres eux-mêmes, là n’est pas mon propos. Le spectacle du remaniement, ses petits ou très petits côtés, servent-ils la République, servent-ils l’image de ceux qui doivent la servir, en l’occurrence le pouvoir exécutif ? Il y a une grandeur à savoir que l’on peut être Ministre le lundi, plus rien le mardi. Mais est-ce honorer la fonction de Ministre que de présenter la distribution des rôles comme celle d’un spectacle et le Ministre lui-même (rappelons-nous que le mot signifie « serviteur ») comme jetable à merci. « Le Maure a servi, le Maure peut partir » écrivait Schiller. J’eusse en l’occurrence préféré qu’il se contente de dire « Le mort a servi » qui contient tout en un les deux membres de phrase. Mais on ne réécrit pas Schiller.
Je n’ai rien dit de Jean Marc Ayrault. Il connait mon admiration pour sa solidité, sa loyauté, son refus -et celui de Brigitte- de toute pipolisation, tant d’autres raisons. Simplement, là n’était pas mon sujet. Non plus que la mort des serviteurs. Tant ressuscitent.