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Le chameau de la place Gambetta (30)

Interview roboratif, sous la plume de Christian Seguin, dans Sud-Ouest de ce matin (édition locale du 20 octobre) L’interviewé, Olivier Besse, réalisateur et metteur en scène de son état, est un type formidable 1- parce qu’il pense la même chose que moi 2 – parce que je pense la même chose que lui. C’est pas si souvent qu’il ne faille en profiter.

La même chose que lui sur la conception générale du « relooking » de Bordeaux et son déficit en chaleur humaine et en vision esthétique. Je le disais récemment dans une réunion publique à la Bastide : on nous fabrique une ville d’énarque, doublée d’une ville de polytechnicien ; ce dernier étant particulièrement chargé du plan de circulation et de la formidable complication des trajets qui sont imposés aux automobilistes par un jeu subtil de sens interdits qui rompent les lignes droites au profit de lignes brisées et de labyrinthes que seul un polytechnicien peut concevoir. Geométrie très post euclidienne des formes, austérité des matériaux, avec quelques touches de gaieté comme ces grandes tombes noires qu’on a aligné place Pey Berland en guise de bancs sous des miradors de ciment supposés éclairer. Olivier Besse se prend à rêver qu’un jour les Bordelais se réveilleront avec l’idée de peindre la grisaille des pavés wilmotte. Dommage que nos « MJS » (les jeunes socialistes) qui ont réussi à égayer la campagne municipale n’y aient pas pensé les premiers. Quelques mètres de pavés revus aux couleurs des œuvres de Sonia Delaunay (je choisis au hasard) auraient montré, mieux qu’un long discours, la ville que nous voulons.

Que le génie ait épargné la rive droite est un faible mot. Faire dans ce site unique en Europe la cité des flots bleus, avec comme ligne architecturale, ce qu’on aurait pu concevoir dans les années 80 sur les rives de la midouze à Mont-de-Marsan (là aussi, je choisis au hasard). Le dialogue avec la façade du XVIIIème que les Bordelais appelaient de leurs vœux, en pensant par exemple au Guggenheim de Bilbao ou aux parois de miroir noir des buildings de Houston, tourne court et bien mal. Le XXIème siècle débutant à Bordeaux ne fera pas un gros chapitre dans les histoires de l’architecture urbaine.

Place de la victoire , une colonne napoléonienne attardée dont le rosé s’accorde bien mal au pierres des façades. Place Stalingrad, un lion supposé poster la modernité au seuil de la rive droite ; œuvre sans gaieté dont la couleur glacée a, reconnaissons-le, quelque chose à voir avec Stalingrad et les glaces qui ont emprisonné les chevaux du lac Ladoga. C’est à la suite de ces deux exemples qu’Olivier Besse suggère de poster un chameau place Gambetta, dans l’espoir qu’un jour une oasis, des jeux d’eau et des fontaines, des œuvres colorées ou mobiles viennent trouer cette ville minérale.

Olivier Besse constate, il n’est pas tout à fait isolé dans cette opinion , qu’il manque « un double humain au maire, quelqu’un de majeur sur le terrain du mal être ». Magnifique formule marquée de la patte de Christian Seguin. Je regrette souvent en conseil municipal que tous les textes proposés à nos délibérations soient également empreints de contentement de soi et d’une imperméabilité de béton au moindre questionnement, au moindre doute, sans parler de concevoir même qu’une solution différente puisse exister et mériter d’être écoutée. Ce « quelqu’un de majeur » sur le terrain de l’interrogation et de l’échange est radicalement absent des bancs de la majorité municipale.

Il manque en réalité plusieurs doubles au Maire. C’est sans doute à nous d’en jouer le rôle. Et c’est pour ça que rien n’est perdu.

PS (29)

Le parti socialiste sort grandi de ce premier débat de nos trois candidats. Quelle initiative scabreuse pourtant que d’ouvrir largement les portes d’un débat prioritairement interne, même s’il est en réalité celui du pays. Voilà des prises de parole où chacun a pu s’exprimer sans invective, sans interruption, sans effet de manche inutile. Comme je regrette que cette chance ne nous ait pas été donnée en temps utile pour les municipales de Bordeaux !

Je ne suis pas une donneuse de note. J’apprécie et je l’ai manifesté les positions de Ségolène sur des domaines qui me sont chers. Un des piliers de ma campagne législative (gaussé à droite) a été en novembre 2004 : « le travail, une valeur de gauche ». Nous devons nous battre sur les conditions de travail, et tout faire pour que cette valeur de gauche soit perçue, défendue, partagée comme telle. Nous reparlerons de ces enjeux nationaux.

J’ai mis en titre de ce court billet, les initiales du parti socialiste. Il m’a toujours amusé que ce soit aussi celles des deux mots latins que l’on met comme un repentir en bas des lettres. En réalité, c’est souvent le plus important que l’on dit dans ces post scriptum ! Le nom de notre parti est un des seuls qui a un sens. « Socialiste » est un mot qui a une signification interne, une sorte de noyau intérieur, même si la périphérie de l’atome doit être en permanence redéfinie avec l’évolution du monde. Les suites d’initiales qui se sont succédées pour désigner les partis de droite : MRP, UMP, UDR, RPF, UDF.. ont toujours sonné creux. On ne sait même plus en les alignant où mettre les lettres et peut-être me suis-je trompée et en ai-je oublié quelques uns. Ce soir, le parti socialiste sonnait plein.

Faire bouger les lignes

Je reviens à ma préoccupation principale (en dehors de mon métier qui chaque jour me ramène radicalement à un autre « ordre » au sens pascalien de ce terme) : réfléchir à ce qui peut faire bouger la gauche à Bordeaux. Plusieurs billets y ont été consacrés depuis le soir du scrutin (« être un laboratoire d’idées », « être plus visible et plus lisible.. »)*. De nombreux commentaires y ont été apportés qui font avancer le débat. Ce soir encore, un long coup de téléphone m’a fait part de la même préoccupation et j’ai prié mon interlocuteur de faire cet exercice de mise en forme que constitue l’écrit et de nous faire partager ses remarques sur le blog.

Un des axes majeurs est de mettre en place un partenariat véritable avec les verts. J’en parle ici de manière très préalable : par définition un partenariat est une démarche commune, et je souhaite que la pensée des uns et des autres chemine ensemble.

L’essentiel, est qu’ensemble nous sentons le besoin et nous avons l’ambition d’un nouveau modèle de société. Les uns comme les autres, nous sentons que notre monde occidental fait face à une interrogation essentielle qui est celle de son mode de développement, ainsi que des risques qu’encourrent l’homme tout autant que la planète.

Cette communauté d’interrogation, nous la retrouvons à maintes reprises sur les dossiers municipaux ou communautaires. Espaces verts, propreté, transports, machines à sous, logement, piscines… Nous renchérissons bien souvent les uns sur les autres dans un même soucis : les verts l’appellent « haute qualité environnementale » et moi « haute qualité de vie ». Les deux se complètent et selon les dossiers, nous défendons soit le label HQE, soit le label HQV ! J’aurais volontiers proposé ce dernier sigle concernant le cruel besoin de Bordeaux en équipements de proximité si j’avais porté la campagne municipale. Juste en passant pour dire la faible épaisseur de nos différences sur ce type de dossier, les piscines en l’occurence : Pierre Hurmic veut un bassin d’été à la Bastide, j’en réclame au Grand Parc. En réalité : c’est bien de deux que nous avons besoin à Bordeaux !

Bien sûr, il y a des différences plus lourdes : le grand contournement en est l’exemple. Je pense qu’il est indispensable pour que le couloir rhodanien ne continue pas à drainer l’économie européenne, pour rééquilibrer l’Europe au profit de l’Ouest et du Sud, ambition plus que jamais nécessaire quand nos amis allemands se tournent au contraire vers l’est. Je ne veux pas que l’occident de notre Occident soit une réserve d’indiens dans cinquante ans, Pierre s’insurge pour que ce ne soit pas un musée des ponts et chaussées !

Nous nous retrouvons entièrement sur le transport maritime et fluvial. Avenir de Bordeaux que nous avons le devoir de repositionner au centre de l’arc atlantique, Avenir tout court, quand on songe à l’enchérissement inéluctable des énergies.

Un des commentateurs de ce blog disait : l’écologie n’est pas la cerise sur le gâteau. Au sens où je l’entends (c’est à dire ne concernant pas seulement l’environnement de l’homme, mais l’homme lui même), elle est la matière même du gâteau et l’épine dorsale de la politique.

C’est autour de cette épine dorsale que nous devons faire bouger les lignes de la gauche à Bordeaux.

  • voir aussi billets 13 à 17,19, 21 et 23 de ce mois d’octobre, ainsi que leurs commentaires

Un mot juste comme ça (27)

Toute mon énergie de ce soir investie dans une entreprise homérique en même temps qu’héroïque : apprendre à dominer les cookies, les UMRL et tout un tas de trucs épatants qui sont supposés me permettre d’un doigt de glisser la bonne photo au bon moment dans ce fichu blog. Un enfant de quatre ans y aurait sans doute réussi depuis une demie-heure, mais ce modèle manque momentanément à la maison et je rame comme une grande que je suis malheureusement. Un ami chercheur avait ramené d’un laboratoire américain cette jolie pancarte « Unfortunately, your mother is not working in the lab, so you have to manage by yourself  » (votre mère ne travaille malheureusement pas au labo, débrouillez-vous vous même !). Reste qu’avec l’informatique, il va falloir repeindre le panneau : « votre petit dernier est à la crèche, tirez-vous tout seul de ces fichues indications incompréhensibles ! »

Dans la foulée, je tente une numérotation des billets par mois, pour pouvoir renvoyer à l’un ou à l’autre et permettre à ceux qui font des commentaires de s’y référer. Habitude de publication médicale sans doute.

C’était juste un mot pour me faire plaindre un tantinet.

En ce moment précis (25)

Il y a peu de phrases, peu parmi les petits textes de la littérature, qui m’aient marqué autant qu’une grosse poignée de lignes de l’écrivain Dino Buzzati. Un petit texte extrait du moins connu de ses ouvrages (« En ce moment précis »), composé pour l’essentiel de fragments de son journal et d’ébauches de nouvelles.

« Nous sommes déjà le 28 et je n’ai encore rien fait. (…) Mais alors que nous sommes arrêtés sur le bord du chemin, les heures, les jours, les mois et les années nous rejoignent un à un, et avec une abominable lenteur il nous dépassent, disparaissent au coin de la rue. Et puis le matin nous nous apercevons que nous sommes restés en arrière et nous nous lançons à leur poursuite.
A ce moment précis, pour parler simplement, finit la jeunesse ».

Rien qu’à écrire après lui ces quelques phrases, j’ai le coeur serré. Buzzati avait (probablement) une quarantaine d’années quand il a écrit ce petit texte. Combien de fois, depuis un âge beaucoup plus jeune, y ai-je repensé ? Quand une journée approche de sa fin et que je l’ai occupée de mille choses qui en fait ne sont rien, quand une année finit, s’ajoute en même temps que se retranche, quand les feuilles de mon marronier tombent à terre, quand les jours raccourcissent… La jeunesse, de ce point de vue a fini tôt pour moi. Buzzati m’est devenu un frère d’inquiétude. Qu’on prenne cette phrase avec simplicité : je ne saurais le dire autrement.

La journée justement approche de sa fin, incitant aux confidences. Peu après la mort de Buzzati, j’ai fait le voyage jusqu’à Belluno dans les Dolomites (dont il parle souvent, il était grand amateur de montagne et d’escalade). Lui n’était plus là, mais sa porte m’a été ouverte familièrement par sa famille. Son chien à la fois aboyait dans le jardin et trônait sur les murs dans un grand dessin dont il était l’auteur. Nous avons parlé avec sa soeur du texte que je viens de citer. Elle m’a dit qu’il était la clef de toute sa vie et bien évidemment, de ses écrits.

La maison de Buzzati lui ressemble étonnamment : une maison basse, pas très grande, aux murs couverts de fresque très aristocratiques, le tout dans l’écrin des Alpes. Elle est située en dehors de la petite ville. En y allant, je n’en connaissais pas l’adresse. J’ai demandé à plusieurs reprises aux habitants. Tous m’ont dirigé vers le centre ville, ne comprenant pas bien pour quoi je demandais où se situait la « maison » de Buzzati puisqu’il s’agissait d’un garage. Et en effet, le commerce le plus imposant de Bellluno est le « garage Buzzati ». J’ai eu un peu de mal à faire comprendre que ce n’était pas le Buzzati que je cherchais.

De très nombreuses années plus tôt, ma mère s’était mise dans l’idée de rendre visite au Maine Giraud. Elle était grande passionnée d’Alfred de Vigny et voulait, elle aussi, faire pélerinage en sa demeure. Nous avons interrogé tous les agriculteurs des environs « nous cherchons la maison d’Alfred de Vigny », pour ne recevoir que des « Devigny, ou Alfred, pour sûr, sont point de par là! », prononcés avec un accent charentais bien tassé. Plus tard, Le Maine Giraud a été vendu, morcelé, et « Alfred » je pense plus oublié encore dans les environs !

Je crois que j’ai raconté cette histoire pour me désserrer un peu le coeur. Ce beau dimanche après-midi, je l’ai passé dans les trois volumes de Buzzati qui viennent d’être réédités et que je signale en « notes de lecture ». Les amis de nos amis sont nos amis, et c’est pourquoi je parle ce soir de Dino.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel