Les questions d’actualité, chaque mardi et chaque mercredi à l’Assemblée, font partie des figures obligées de la vie parlementaire. Avouons que certains, qu’on ne voit, ni n’entend guère ailleurs, en sont très fidèles, souvent amateurs de couleurs vives facilitant leur identification dans la petite foule de l’hémicycle..
Pour ma part, ce n’est pas mon sport favori. J’y vais pour que « nos rangs » – comme on dit – ne paraissent pas moins garnis que ceux de droite ; j’y prends la parole quand un sujet me tient particulièrement à coeur et que mon groupe m’accorde une place, mais jamais sans un solide trac en raison de l’extrême brièveté du temps imparti et du brouhaha de foire au milieu duquel on s’exprime.
Plus profondément, je trouve que c’est un exercice factice, convenu et ne donnant pas une grande image du travail très réel qui se fait à l’Assemblée. Je me souviens d’avoir entendu l’ancien Président Jean-Louis Debré en parler : il était plus sévère encore.
Le premier élément qui fausse le jeu est bien sûr le fait que cette courte séance est télévisée et diffusée sur FR3. Chacun veut y être vu, identifié par ses électeurs, ce qui ne va pas sans causer quelques scènes ridicules. Non, pas tant l’orateur qui, pour quelques instants, fait ce qu’il peut dans un chahut proportionnel à l’acuité de sa question, mais de ses voisins qui se massent autour de lui pour être bien sûrs d’apparaître dans le champ de la caméra.
Nos collègues de l’ump et plus encore du Nouveau Centre atteignent dans ce domaine un sommet de ridicule en relevant l’assise de leur siège pour s’assoir d’un bord de fesse sur sa tranche et paraître ainsi plus grands et plus visibles. Une caméra indiscrète livrerait cet exercice à leurs électeurs qu’ils y perdraient beaucoup de crédibilité. J’en témoigne : ce garde-à-vous en position quasi-debout autour de l’orateur le temps qu’il pose sa question ne se pratique pas sur les rangs de la gauche. Evidemment et, si j’ose dire, inévitablement, si l’on sait pouvoir être filmé, on se tient plus droit, on prend le plus grand soin d’avoir l’air intéressé et approbateur des paroles de son collègue, on applaudit avec une particulière ferveur, mais sans jouer les clowns montés sur élastique comme nos voisins du Centre.
La brièveté des questions impose qu’elle soient superficielles, exprimées en formules ramassées et si possible spectaculaires. Ce ne sont plus des questions mais des interpellations et quelquefois des invectives. Deux minutes ne permettent ni de demander grand chose, ni d’attendre grand chose en réponse. Tout est dans la formule, l’exemple choc, l’évocation quelquefois larmoyante du dernier fait divers, immanquablement suivie de l’air pénétré, plein de commisération et de souffrance du Ministre appelé à répondre. Disons le simplement : les Ministres bien souvent pourraient écrire la question et, tout autant, nous pourrions écrire la réponse. Presque mot à mot.
Il n’est pas à ce propos inutile de dire que le sujet de nos questions nous est individuellement demandé avant 13 heures ; ce qui laisse deux heures aux collaborateurs de cabinet pour peaufiner la réponse de leur Ministre. Je ne le cache pas : ce scénario donne une envie féroce de fausser le jeu, de poser au dernier moment une question absconse, complètement hors sol, ce qui est bien évidemment impossible et ne ferait qu’aggraver le caractère de farce qu’a, à certains moments, cette séance.
La séance dure une heure et permet douze questions -six pour la majorité, six pour l’opposition- et douze réponses des Ministres, ce qui en réalité réduit le temps de l’opposition au quart.
Tout cela n’est pas fait au hasard. Après la quatrième question, la ménagère de plus de cinquante ans, le retraité, comme n’importe quel Français qui regarde l’émission, a oublié la première. Les députés eux-mêmes, pourtant situés au cœur de l’arène, auraient grand mal en fin de séance à reproduire tous les thèmes abordés. Nous devons cette accélération du temps au Président de la République lui-même, fort irrité qu’en début de son mandat, nos questions répétées aient fait mesurer aux Français le coût exorbitant de la loi TEPA et son caractère inégalitaire . D’où cette réforme du règlement intérieur, accélérant le tempo et nous obligeant à répéter plus encore, au risque de nous prendre nous-mêmes, et d’être pris, pour des perroquets ou des moulins à prière tibétains.
Quoi faire ? Prolonger le temps de la diffusion et la durée des questions, de manière à ce qu’elles soient compréhensibles et mémorisables. Diffuser sur les chaines de service public, la partie dite de « discussion générale » des séances ordinaires dont l’objet le justifie. Prendre le travail parlementaire au sérieux et le traiter comme tel.
Tous les politiques aiment être vus et entendus. Tous pour autant n’aiment pas le spectacle ou du moins n’aiment pas en être l’objet. Passer du « flash » au temps réel servirait la démocratie et contribuerait à restaurer l’image de ceux qui s’emploient pour elle.