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Réforme n’est pas relance

Le projet de loi « portant réforme portuaire », voté en 2009, prévoit le détachement du personnel de manutention et le tranfert des outillages aux opérateurs privés locaux. Ce projet a été « vendu » dans l’hémicycle au prix d’un plan de relance de nos grands ports, immédiatement sonnant et trébuchant en terme de financement et en retombées sur l’activité de chacun.

Nous nous sommes portées vendredi dernier, avec ma collègue Conchita Lacuey à la rencontre des syndicats et des salariés et nous avons visité les installations de Bassens et les ateliers de Bordeaux-Bacalan.

Ce n’est pas sans une pointe d’émotion que nous sommes entrées dans « les ateliers de charpente », marqués aux armes de Bordeaux auxquelles est surimprimée une ancre de bateau. A côté d’eux, les ateliers de maintenance, très modernes, tous les deux abritant un savoir-faire qui a été salué dans l’hémicycle au cours de la discussion de la loi.

A Bassens, nous avons pris la mesure de ce que sont « les outillages » : des grues monumentales, des portiques, chiffrant chacun à plusieurs millions d’euros. Les conditions de leur transfert intéressent au plus haut point les élus : ils ont en effet été financés en grande partie par les collectivités territoriales (Conseil général et Conseil régional), partenaires du port et impliquées dans son avenir.

Or, à ce jour, nous ne connaissons rien des conditions financières de ce transfert et nous allons interroger précisément le gouvernement sur ce point.

45 salariés sur 75 vont être détachés à une société formée par les deux opérateurs locaux (Sea Invest et Balguerie), où le Port conserve une minorité de blocage de 20%. Les 30 autres vont bénéficier (comme on dit) de « mesures d’âge ».

Le bât blesse grandement en ce qui concerne la « relance » qui était supposée porter la « réforme ». Aucun des sept Grands Ports Maritimes n’en a vu à ce jour l’impact en terme de projets et d’activité. Quant à l’enveloppe financière, prévue à hauteur de 170 millions d’euros, elle est chichement distribuée. L’Etat, impécunieux comme on sait, mesure ses allocations au prétexte « qu’il faut attendre les projets pour pouvoir financer ».

Ceci est entièrement faux, pour le moins en ce qui concerne Bordeaux. Les 14 millions demandés par le Port le sont pour des investissements fondamentaux, structurels qui ne dépendent aucunement du type d’activité, mais ils en sont conditionnels (accès à l’estuaire, aménagement des passes, viabilisation du foncier..). A ce jour, 5 millions d’euros seulement sont inscrits à destination de Bordeaux.

Cela pourrait être le slogan de la politique gouvernementale : nous avons la réforme, nous ratons la relance. « Le choc de croissance », promis en juillet 2007 pour faire passer la loi TEPA, s’est traduit comme on sait par un mouvement de récession.

La crise a bon dos, mais elle n’explique pas cette panne. En ce qui concerne les ports, la médiocre situation de la France qui perd régulièrement des marchés au profit des ports espagnols et des ports du nord de l’Europe, en pleine croissance, est particulièrement démonstrative. L’Etat n’investit pas en fonction de la productivité économique, il fait des cadeaux à ses amis.

Le déclin des ports français alors que tous les autres prospèrent, comme le fait d’ailleurs le transport maritime en général, est un véritable cas d’école de la politique de notre pays depuis une décennie, voire davantage. Raison de plus de les défendre, localement et au plan national.

(voir aussi le compte rendu de la rencontre portuaire du 5 février en pages Bordeaux de ce blog)

« Je pense, mais suis-je ? »

L’imagerie cérébrale et les neurosciences sont en passe de poser les problèmes les plus cruciaux de la bioéthique parce qu’ils touchent à la plus fascinante singularité de l’homme : la conscience.

Une travail récent publié dans le New England Journal of Medicine fait état d’une expérience qui remet en question la définition même du coma et des états végétatifs, les uns et les autres caractérisés par l’absence de toute réactivité.

Un homme dans le coma depuis plus de cinq années est invité à imaginer deux situations : dans l’une, il participe à un match de tennis, dans l’autre, il se promène dans sa maison. Son cerveau, enregistré par Imagerie à Résonance Magnétique, s’illumine successivement dans des zones identiques à celles qui réagiraient chez un homme normal.

On l’interroge ensuite sur le prénom de son père. « Votre père s’appelle-t-il Thomas ? » « Votre père s’appelle-t-il Alexandre ? ». Dans le premier cas, la réponse est « oui » et dans le deuxième, c’est « non », mais l’IRM ne sait pas à ce jour identifier les zones correspondant à « oui » ou à « non », sans doute trop complexes, trop infimes, ou peut-être variables selon la question.

On l’incite alors à imaginer le match de tennis pour « oui » et la promenade dans sa maison pour « non ».

Et l’homme, sans aucune réaction cliniquement décelable, donne la bonne réponse. Enfin, pas lui : son cerveau.

Cette expérience est à la fois fascinante et terriblement effrayante. Ce cerveau, depuis cinq ans, continue donc de fonctionner dans une sorte de noir et d’immobilité infinie qui ne manque pas d’évoquer une prison intérieure. Ce fonctionnement est-il assimilable à une « conscience », comme le laisse penser le fait de répondre ?

A l’hôpital, par une sorte de présomption qui s’avère presque une prémonition, j’ai toujours interdit que l’on prononce autour d’un malade dans le coma quelque parole que ce soit’ ‘qu’on ne voudrait pas qu’il entende » . Pas de « il est temps que ça finisse » ou autre variante. Au contraire, j’invitais les familles à ne pas se priver de paroles ou de gestes d’affection.

Pascal comparait le savoir à une chandelle et l’homme à un curieux explorateur qui s’enfonçait, chandelle à la main, marche après marche dans l’escalier sans fin de l’inconnu. Arriverons-nous un jour à demander à une personne en état végétatif « Voulez-vous que l’on vous débranche ? Pour oui, pensez au tennis… etc..

Service civique : un pas en avant, où les mots pèsent de tout leur sens

Je planche demain dans l’hémicycle sur le Service civique, petit frère, je l’espère plus fortuné, du Service civil qui ne concerne chaque année que 3000 jeunes Français quand il y en a 200 000 en Allemagne qui s’engagent sur un programme comparable.

C’est un sujet qui me tient à coeur. D’abord, parce que j’ai pu mesurer sur le terrain », l’engagement et l’utilité des jeunes et de l’associations « Unis-cité » qui les encadre. Plus encore, parce que je crois en la valeur fondamentale de ce qu’il représente.

Le mot « civique » n’est pas innocent. Trop oublié, il est là pour rappeler ce qu’est un engagement citoyen, bâti autour des valeurs de partage et d’échange.

Le mot « service » non plus. Le service civique n’est pas un emploi au rabais, mais une période où l’on se met au service des autres. Etymologiquement, on en devient le « Ministre ». Ah, si les Ministres savaient ce que le mot veut dire !

Le texte dont nous débattons demain est issu d’une proposition de loi de la gauche. Reconnaissons (pardon, M le Haut Commissaire) que Martin Hirsch a un peu trop tendance dans sa communication à en faire « son » projet. Mais non, Martin, le service civique c’est nous ! Projet de loi d’abord, proposition ensuite, c’est la gauche et encore la gauche qui a enfoncé le fer à plusieurs reprises pour venir en recours de la hâtive suppression du Service National.

Demain donc, nous débattons du contenu, de l’étendue, des ambitions mais aussi du financement du Service civique.

L’ambition est de voir 10% d’une classe d’âge en bénéficier. Mais aussi de faire comprendre des jeunes, tous les jeunes, les paumés comme les culturés, que l’engagement civique peut constituer une « unité de valeur » dans un cursus universitaire ou professionnel et davantage encore, une chance de trouver sa voie et de se réaliser dans un job auquel on n’avait pas pensé, qu’on n’avait même pas imaginé possible.

Avec Unis-cité et les jeunes du Service civil, j’ai pu financer un projet d’accès à l’informatique de trois maisons de retraite et EHPAD de Bordeaux. Les jeunes expliquent, animent et c’est un succès. Les âgés communiquent avec leur famille, reçoivent les photos des petits enfants et des nouvelles de la vie sociale et politque de la ville et sont dix fois plus heureux qu’en écoutant des chansons de Pascal Sevran.

Rien n’est parfait. Nous aurons demain des exigences en terme de diffusion de l’information, de valorisation, d’extension au niveau européen et à celui de la coopération décentdralisée.

Mais c’est un pas. Et, pour une fois, pas un pas en arrière.

Freud tombe dans le domaine public

Titre très lacanien, qui pourrait réunir des séminaires d’experts et constituer d’inépuisables sujets de colloques. « Tomber », pourquoi « tomber » ? Entre le conscient et et l’inconscient, où donc est situé le « domaine public » ?

« Tomber » est-il utilisé de la manière presque paradoxale où il l’est dans « tomber amoureux » ou « tomber enceinte » ? Y a-t-il au contraire dans ce « tomber »-là un ressenti, un vécu, un redouté qui l’apparente à la chute camusienne ?

Mieux vaudrait-il dire « monter dans le domaine public » étant donné la proximité du ciel que pré-suppose ce nouvel état, lequel requiert un post mortem de 70 ans tout juste ?

L’affaire n’est pas anodine et encore ce n’est qu’un début. Le champ du vocabulaire comme celui de l’analyse elle-même va se trouver secoué de ce nouvel état de l’oeuvre freudienne par bien d’autres voies…

L’entrée dans le domaine public s’accompagne immanquablement d’une floraison d’éditions et de traductions nouvelles, l’exploitation de l’oeuvre étant désormais libre et gratuite.

En ce qui concerne Freud, rien n’est innocent, on le sait, mais les traductions le sont moins encore que rien..

Le problème en effet c’est que le traduire est déjà une option prise sur toute la doctrine psychanalytique. Quand il écrit, anticipant Magritte, « ceci est une pipe », ce n’est pas d’une pipe qu’il s’agit, ni même de l’acte de fumer, pas davantage d »un désir contraint par le sur-moi.

Un mot, enfin deux, sont particulièrement au coeur de l’infini dilemme de la traduction freudienne : la peur et l’angoisse.

Tout le monde sait que « Qui a peur de Virginia Woolf » est en réalité un anxieux et que cette anxiété est elle-même creusée par une peur originelle. Tout le monde (du moins les germanophones que sont les traducteurs) qu’en allemand les petits enfants « haben Angst vor dem Hund » quand, de l’autre côté du Rhin, nos enfants à nous, en ont peur.

Des dizaines de nouvelles traductions, cela signifie des dizaines de manières de jouer des rapports incestueux entre « peur » et « angoisse ».

Voilà qui n’est pas prêt de nous en délivrer.

Le juge dans un « gouvernement » difficile

Beaucoup plus importante et intéressante que la « scène de genre » rapportée dans le billet précédent, la charge, ce matin à l’Ecole Nationale de la Magistrature, de Pierre Mazeaud contre l’inflation législative.

Pierre Mazeaud, Président honoraire du Conseil Constitutionnel fait partie de ces hommes respectés dont on sait qu’ils n’usent, ni leur plume, ni leur parole en d’inutiles pamphlets. Tout au plus, lui a-t-on reproché (à raison) de faire partie de la composition arbitrale qui a décidé des compensations attribuées à Bernard Tapie et d’avoir touché pour cela des honoraires peu en rapport avec la rigueur du personnage.

Il a ce matin fait la preuve de l’acuité de son esprit, de la force de son jugement et – peut-être – de son humour …

Son intervention avait en ligne de mire l’ inflation législative qui déroute les juges, alourdit leur charge de travail, tout en amincissant la force de leurs références.

Dans cette « solitude qui est bien souvent une vertu », comment savoir quel alinéa, quelle loi supplémentaire promulguée avant que la précédente ait trouvé le début d’un commencement (de décret) d’application, sert de base au jugement ?

« Le journal officiel avait cent pages il y a vingt ans, il en a mille aujourd’hui. Plus on le dit, plus on dénonce cette inflation, plus il grossit ».

Je cite ses propos mot à mot. Encore n’a-t-il pas parlé de l’immense déception des députés croyant en la force de la loi, en la précision de ses termes, en l’importance de leur rôle (de ceux-là, il y a à gauche et à droite), de se voir gavés, comme oies du Périgord, de textes hâtifs, élaborés au gré de l’évenement, mal écrits, inutiles et, non seulement incertains, mais bien souvent dangereux.

Pierre Mazeaud encore : « La solitude est bien souvent une vertu ». Et de parler de la solitude du juge, non seulement en face de dédales de lois sans force, ni rigueur, mais devant « la terrible tâche interprétative du juge en face des multiples dispositions de la procédure pénale. Plus de 20 textes en quelques années… »

Plus révélateur encore, et du fond de sa pensée, et de la réalité, le beau lapsus qui lui a échappé :

« Cette opinion (l’opinion des juges) se détermine souvent au sein d’un gouvernement difficile ».

Il s’est repris : « …au sein d’un environnement difficile ».

Docteur Freud, merci, de donner bien souvent à la vérité le poids de l’inconscient.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel