Insémination post-mortem : une marge d’ individualisation est nécessaire.
L’affaire Justel vient de placer au coeur de l’actualité un sujet -non des moindres- dont nous aurons à débattre lors de la révision des lois de bioéthique.
Il s’agit de l’insémination post-mortem : le droit d’une femme à disposer des paillettes congelées du sperme de son mari pour être inséminée, alors même que le mari est mort.
Evoquons le cas de Mme Justel : c’est ce type d’analyse qui démontre la nécessité d’une marge d’individualisation dans la loi.
Mme Justel a 39 ans. Son mari est mort il y précisément un an.
Elle même a déjà trois enfants d’une union antérieure.
Le mari a fait à trois reprises un prélèvement de sperme et il a épousé Christine Justel pendant le cours de sa maladie.
Je n’ai pas de renseignements précis sur la situation familiale des parents du mari. Nous savons seulement qu’ils sont favorables à l’insémination.
Dans mon mêtier de cancérologue, plusieurs fois la question de cette volonté de disposer du sperme du mari s’est posée. Elle n’a jamais été jusqu’à une demande officielle, moins encore jusqu’à une action de justice. Pour deux raisons sans doute : la mise en cause de la loi est un processus relativement récent, mais surtout la possibilité d’insémination n’était pas ouverte dans les pays extérieurs à la France (en l’occurrence dans le cas de Mme Justel, l’Espagne)
Le cas le plus mémorable mérite d’être conté : bien que semblable par quelques points à celui de Mme J., il met en évidence des points particuliers attestant de l’unicité de chaque cas.
Le mari, disons « monsieur D », était une homme d’un peu plus de quarante ans, sans enfants jusque-là. Atteint d’un cancer grave et avancé, un prélèvement de sperme avait été éffectué avant la mise en oeuvre d’une chimiothérapie entrainant un risque de stérilité.
L’épouse avait quarante ans, sans enfants elle non plus. Leur union était récente (deux ou trois ans) mais sa durée et le témoignage des familles, leur solidarité dans l’épreuve, attestait d’une union véritable et solide.
Le mari était fils unique d’une famille qui n’avait, de ce fait, aucune autre perspective de descendance. Les parents du mari étaient très désireux de postérité, très désireux de soutenir, d’aider et d’accompagner en tous domaines, la maman potentielle et l’enfant à naître. Les liens que nous avons noués pendant la maladie me permettent d’attester positivement de leurs intentions.
Le jeune mari est mort sans que l’insémination ait été pratiquée. Cela a ajouté au drame de cette mort pour ceux qui demeuraient : épouse, beaux-parents, parents. Je l’avoue, cette histoire ne m’a pas laissée tranquille et je m’en souviens aujourd’hui avec émotion.
Bien sûr, la loi doit être la même pour tout le monde, mais il y des cas -et les sujets de bioéthique sont de ceux-là- où il faut prévoir une frange d’incertitude de la loi, c’est à dire la place pour une décision au cas par cas.
Dans le cas de l’insémination post-mortem,quels sont les critères importants ?
– l’âge de la mère (c’est à dire : sa maturité décisionnelle, sa possibilité prévisible de fonder une nouvelle famille)
– la volonté du mari ; bien sûr, le fait d’acquiescer à un don de sperme témoigne d’une volonté de procréation, mais il n’est pas une assurance que cette volonté correspond à n’importe quelle circonstance (y compris la mort) et non plus que ce désir de procréation concerne obligatoirement son épouse. Je peux attester qu’il a bien souvent d’abord la signification qu’il existe un après. Après le traitement, après la maladie. Et reconnaissons aussi que, pour ma part au moins, on fait quelquefois la proposition pour ouvrir cet espoir d’un lendemain, alors même que les chances d’un avenir sont très réduites.
Faut-il alors ajouter aux engagements entourant le prélèvement la question : « Voulez vous que les paillettes puissent être à l’origine d’une insémination même après votre mort ? ».
Je ne le crois pas, car à ce moment, la réponse pourrait être faussée et surtout, elle serait trop douloureusement ressentie. La volonté de procréer avec l’épouse doit être manifestée par le témoignage de la famille, de l’entourage proche, du médecin traitant…
– le délai depuis la mort du mari. Et pour ma part, je crois que ce délai ne peut être que très court. Schématiquement : qu’il permette à l’enfant de ne pas naître dans une année postérieure à celle de la mort de son père
– le fait que le mari ou l’épouse aient déjà des enfants ; le fait que le mari soit le seul descendant d’une famille et qu’il n’ait pas eu jusqu’alors d’enfant. Ces deux points sont secondaires par rapport au trois précédents, mais ils ne sont pas pour autant négligeables, comme le montre le cas de « mon » malade.
Le sperme (les gamètes en général) est-il une partie du corps comme une autre ?
Bien sûr que non ! S’il s’agissait de disposer après la mort d’une rétine ou d’un foie d’une personne morte, il n’y aurait (il n’y a) pas de question, outre l’absence de refus de la personne signifié avant sa mort. Mais « cette partie du corps » n’est pas la partie d’un seul corps, mais de deux, et pour le dire simplement, elle est la moitié du corps de l’enfant à naître.
Oui je crois, que dans des conditions bien précises, une marge d’individualisation doit être ouverte, où avec l’avis d’une autorité morale à définir, une autorisation de disposer et d’inséminer puisse être ouverte.
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