La langue m’est amie et familière et, née sans elle, je n’aimerais pas mourir sans elle. On ne choisit pas ses amis, ou pas souvent, elle a paru me choisir.
J’étais déjà grande, mais pas vraiment grande non plus. Quelque chose entre 13 et 17. Ce n’est pas venu en un jour mais je l’ai reconnu dans temps très court, que je sais d’ailleurs surtout situer dans l’espace. Le long d’une plage où j’allais marcher, seule, avec un gros chien battant de la queue semblable à celui que j’ai maintenant. J’ai entendu qu’on me racontait des histoires. Pas toute une histoire mais une phrase et une autre qui s’enchaînaient chaque jour plus naturellement et que je n’avais qu’à cueillir.
C’est sur cette plage que je vais retourner bientôt. La situation ne s’est pas arrangée. J’y marche moins à l’aise, autant de sa faute que de la mienne, moins libre de mes mouvements, moins indépendante du corps, moins extérieure à lui, l’écoutant plus souvent, aux dépens de l’autre voix que j’avais découvert là bas;
Le souvenir m’en est venu quand un coup de téléphone m’a demandé « où allez vous passer vos vacances ? ». « Depuis longtemps ? ».
Depuis bien avant. Petite j’étais, j’allais déjà là bas. Il y faisait beau, froid, venteux, humide, agité, inspiré selon les jours. Tout cela, je pouvais le voir et le comprendre. Les jours n’étaient pas occupés de tas d’animations inutiles, on avait le temps de regarder et d’entendre. Je me souviens, je peignais les volets, ou une table, ou un tabouret. Je m’étais même fait une spécialité, une année que j’y étais seule, des tables de nuit. Elles étaient devenues noires, étranges pour des tables de nuit honnêtes d’un mobilier très commun des années cinquante. Des morceaux de la dernière ont disparu l’an dernier dans un de ces moments inattendus où le besoin d’ordre et de vide extérieur vient combler la crainte du vide intérieur.
Je n’ai aucune idée de pourquoi je parle/j’écris de cela, ni de cette manière. Ces derniers jours, mes interstices je les ai comblés de la découverte d’un nouveau langage, d’un nouveau visage de la langue : le hïaku resserré et moqueur du twitt qui est à longue distance, presque à l’opposé, de la manière dont j’écris maintenant. Le twitt m’a amusée, comme était venue et m’avait séduite la parole phrasée et continue.
Là, remontant dans mon petit privé, entre chiens et loups (et de plus en plus de loups, tandis que le chien lui aussi s’apaise et s’allonge), c’est cette parole, entre ombre et souvenir, entre nuit montante et sommeil, qui est réapparue, sans contrôle ni alerte, comme un rappel, comme un appel. Et je ne sais si je parle ou réponds mais je sais que j’existe et que le temps que j’écris, la page, l’écran est comme une toute petite lumière au centre du monde. S’allume. Partout et nulle part, là où je peux l’emporter.