J’y « pense en me rasant le matin », comme disait l’autre, j’y pense le soir : rendre à la salle des fêtes du Grand Parc, murée depuis 20 ans, son rôle de lieu de culture et de convivialité au quotidien, est une des raisons de ma présence au élections cantonales de mars. Et nous y arriverons.
C’est un projet pour le canton Grand Parc-Jardin public, mais c’est aussi un projet pour tout Bordeaux et son agglomération, comme l’est le « Rocher Palmer » récemment inauguré et déjà couronné « projet d’excellence culturelle au coeur des quartiers » par l’Académie des Arts (Salut au Maire-Conseiller général de Cenon!). Voilà un projet exaltant mais tellement en opposition avec la politique culturelle de la ville, faite de grosses institutions et d’évènements bling-bling, que celle-ci a oublié d’en saisir l’importance.
Vingt ans de perdus, c’est une génération perdue, selon le beau mot de Gertrude Stein, reprise pour un de ses ouvrages par notre ami Michel Suffran. Toute une génération qui n’aura pas connu les joies d’un concert prestigieux au coeur de son quartier, la familiarité stimulante d’un ciné-club, la création d’une pièce de théâtre auquel l’un ou l’autre participe ; qui n’aura rien su de la culture dont on est soi-même l’acteur.
Il faut retrouver l’ambition initiale de la salle des fêtes : « Maison de la culture » attractive pour toute la ville, lieu de convivialité et de culture au quotidien pour les quartiers qui l’entourent, mais l’installer dans ce XXIe siècle dont commence la deuxième décennie sans que beaucoup paraissent s’en apercevoir.
Si Malraux lançait aujourd’hui son éblouissant projet de Maisons de la culture, il mettrait au coeur de chacune d’elles ce nouveau mode d’expression, d’échange et de création qu’est l’internet. Il avait eu l’idée, bien avant tout le monde, d’un enseignement médiatique de masse. Cette idée était tellement innovante, (reconnaissons-le aussi, mal portée lors d’une intervention télévisée) qu’elle a coûté à Jacques Chaban-Delmas ses chances d’élection à la Présidence de la République. Avec le recul du temps, comme c’est injuste : c’était une authentique vision d’avenir.
Aujourd’hui nous savons que l’internet est, et doit être, un outil de culture et de liens. Liens entre les âges, les modes de vie, les savoirs. Il peut être aussi l’occasion d’une fracture irrémédiable entre ceux qui y auront accès, qui sauront l’utilliser à son meilleur et ceux qui resteront paralysés ou seulement consommateurs passifs devant ce nouvel outil. C’est la base de notre réflexion pour le projet d’ « Agora numérique » que j’ai présenté hier.
Quelle estimation pour un tel projet ? En examinant tout ce qui a été annoncé pour les projets abscons de la Mairie (du boulodrome à la Maison de l’Emploi..), on peut avancer les chiffres de 2 à 2,5 millions d’euros.
Est-ce que cela ne rappelle pas quelque chose ? « Evento » qui n’a laissé dans les mémoires que le souvenir d’un magistral flop a coûté 4,2 milllions d’euros. Pour la moitié, le Maire de Bordeaux, aurait pu doter sa ville d’un équipement durable (le mot est à la mode et, pour une fois, il a un sens), capable de donner un souffle à la culture dans toute notre agglo et, avec un peu de talent, d’attractivité pour la ville elle-même. Je rêve d’une salle des fêtes qui n’est plus ce visage de clown dont le maquillage a coulé, mais dont le pinceau de Christian Lacroix saurait décliner les couleurs. Et que l’on viendrait voir de loin.
Alain Juppé avait pensé un instant à un projet culturel, à la condition que Bordeaux fût élue capitale européenne de la culture. Le bling bling toujours. Marseille a eu le pompon, et le Grand Parc, rien, toujours rien.
« La vie est ailleurs », disait Kundera. Ailleurs, toujours ailleurs, pour les habitants des quartiers. C’est ce dont il ne faut plus vouloir si nous ne voulons pas voir nos sociétés se déchirer et se perdre.