Le retour de l’humain
Ces derniers mois ont été l’occasion d’un empilement d’attitudes, de dérives verbales, de mesures et de projets de lois frôlant dangereusement les limites de l’éthique. Les déclarations du chef de l’Etat, les circulaires ciblant -contrairement à la loi- un groupe ethnique, les entraves aux libertés, les mensonges, les parjures (si l’on peut appeler ainsi les contraventions radicales aux promesses électorales), les dénis, se sont empilés jour après jour, sans que presque aucun ne soit épargné. Nous sommes nombreux à avoir senti que nous étions en train de basculer dans un mode de gouvernement qui ressemblait fort à une pente dangereuse.
Consolation et plus encore, encouragement, en face de ce basculement est apparue l’évidence d’une prise de conscience que nous étions en train d’attenter à l’humain, au simplement humain, ce sentiment presque irrationnel mais que la raison conforte, qui nous fait souffrir de voir un humain qui souffre, dont la dignité, la simple condition d’humain est atteinte.
C’est cette évidence que portent les jeûneurs qui ont campé dix jours durant devant l’Assemblée Nationale, sur cette petite place au pied de mon bureau qui est le lieu de toutes les manifestations pacifiques qui accompagnent les débats parlementaires. Nous avons été cinq députés (Patrick Braouzec, PC, Sandrine Mazetier, Serge Blisko et moi (PS) et, last but not least, Etienne Pinte (UMP) à les recevoir longuement, gravement, profondément. Ce jeûne citoyen, comme ils l’appellent, a d’autant plus de force qu’il est celui d’hommes et de femmes dont les bases morales, philosophiques et politiques sont très diverses, de « ceux qui croient en Dieu » à « ceux qui n’y croient pas », pour parodier le poème.
Parmi eux, un Bordelais de 44 ans, ingénieur, qui m’a touchée profondément en disant qu’il avait eu les yeux ouverts le jour où un jeune Kurde avait voulu s’immoler par le feu dans l’église Sainte Marie de la Bastide et où j’étais allée en médiatrice pour éviter le drame.
Eveilleurs de conscience ils sont, mais aussi témoins d’une prise de conscience que nous touchons aujourd’hui en France comme dans d’autres pays européens au noyau dur de l’humaine condition. Il faut avoir partagé ne serait-ce que quelques heures, place André Meunier, la situation de familles et d’enfants, sous la chaleur et n’ayant pour s’asseoir d’autre possibilité que le sol, dans l’attente d’une expulsion ou d’un logement d’urgence, ce dernier hypothétique et toujours retardé, pour mesurer ce qui est imposé à nos « frères humains ».
Le projet de loi Besson, qui viendra en discussion à l’Assemblée après la réforme des retraites, est un pas dans cette escalade descendante dans la fraternité inscrite au fronton de nos mairies. Ce n’était pas jusqu’alors le mot du trio que je portais le plus haut. C’est quand il est atteint qu’on en mesure le sens.
Coulées vertes et ponctuations fleuries
Hier soir à ma permanence, un moment de détente et de récréation. Certains diraient de « récréation positive », comme si toutes ne l’étaient pas, et comme si le mot lui-même ne contenait pas ce désir de créer et d’inventer qui a été le moteur de notre réunion.
Un sujet que d’aucun diront léger : la volonté de réunir Grand Parc et Jardin Public, les deux grands espaces verts du canton dont je suis l’élue, de « coulées vertes et de ponctuations fleuries ». Pour les non Bordelais, ces deux grands espaces sont très différents dans leur usage : l’un est un jardin public conçu au XIX ème siècle, dans la foulée des visions hygiénistes qui commençaient de poindre ; il est paysagé à l’anglaise et bordé d’un quartier de très belle architecture et se situe à deux pas du « triangle » supposé marquer le centre de Bordeaux.
Le Grand Parc est à quatre pas. Quinze minutes à peine de marche le séparent du précédent. Une dizaine d’hectares volés à l’humidité de cressonnières dans les années 60 dans l’ambition très remarquable d’implanter au coeur de la ville un quartier social et de le situer dans un décor où la nature serait très présente.
Entre les deux, des rues calmes, des maisons très variées, toutes petites ou plus cossues, des résidences, un art de vivre évident et, comme on va le voir, la présomption d’un micro-climat…
Nous étions donc nombreux hier soir dans ces constations et dans cette ambition de créer un lien de nature et de renforcer le lien social entre ces deux beaux espaces.
Les initiatives individuelles sont déjà nombreuses. Le photo blog en donne un aperçu, un album sur mon « mur » de facebook l’illustre plus généreusement : murs dégoulinants de lierres ou de vignes veitchii, portes encadrées de glycines, étonnants bananiers surgissant d’un mur austère, roses trémières attendrissantes entre deux pavés, modestes pourpiers ourlant un trottoir de leur petites tiges rouges et vigoureuses, fenêtres somptueuses comme la gerbe d’un vainqueur du tour de France, jardinière de Kalanchoë adoucissant les lourds barreaux d’une fenêtre de rez-de-chaussée…
Le Grand Parc voit éclore lui aussi semblables initiatives. Une mienne complice sème dès les premiers rayons du printemps des graines de roses trémières le long des tours et des barres. Le charme du résultat a fait des adeptes et il n’est pas à exclure qu’un jour ce quartier connaisse la fortune de l’Ile de Ré pour la profusion de ces fleurs à la fois somptueuses par leur taille et leur éclat et modestes par leurs besoins (un sol maigre et sableux et un mur pour que le vent ne les fasse pas plier). Une vraie leçon…
Le tour de table des participants a été une leçon plus grande encore. L’enthousiasme de l’un qui a constitué sur la voie publique un banc de fortune avec quelques pierres et une profusion de glycines où les collégiens se donnent rendez-vous. L’émerveillement d’un autre de voir les passants s’arrêter, commenter, s’émerveiller, prendre quelques graines, sans jamais abimer ses plantations. Le plaisir d’une nouvelle venue dans le quartier de faire la connaissance de la dame qui a créée, tel un tableau de maître, la fenêtre aux mille fleurs et aux mille couleurs qui lui fait face.
Nous avons pris la résolution de mettre en commun nos expériences et nos ambitions. Elles ne sont pas minces : montrer qu’avec trois graines ou trois plants qu’on s’échange, on ne réjouit pas seulement la vue mais le coeur et que l’on crée des liens qui ne sont pas que verts.
Katherine Mansfield le disait ; « l’important, ce n’est pas les pavés, mais l’herbe qui pousse entre eux ».