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Vents

Vents et nuages dans mon finistère. C’est d’ordinaire au 15 aout que l’été décroche pour quelque chose d’autre, de plus inquiet, de plus bruyant, de moins simple. Les fonds marins changent de registre et annoncent sourdement que l’on va rentrer en turbulences.

Les portières de voiture claquent et les départs l’emportent de beaucoup sur les arrivées. Enfant déjà, je détestais -ou plutôt je craignais- cette bascule. Ce n’était pas l’approche de la « Rentrée » mais une fois encore le sentiment confus du décompte du temps. Au plus loin que je peux apercevoir sentiments et sensations, celle-ci est presque la première : la perception des rythmes, des coups de semonce, qui montent de la nature et qui nous obligent à compter à rebours.

Hossegor, là où je suis c’est à dire au front exact de la mer, est particulièrement propice à ces comptes et décomptes. Tout y est apparent, le moindre changement de couleur du ciel ou de la mer, les bruits, le froid dans toutes ses nuances, l’humidité quasi partout présente, tout y est magnifié. Mes fenêtres sont un écran géant où tout s’inscrit et où il ne reste qu’à faire les sous-titres, qu’à traduire. La nature parle en V.O. mais très fort et distinctement et il faudrait un coeur bien sec pour ne pas l’entendre en permanence.

Les autorités (appelons-les ainsi) s’y emploient pourtant en rassasiant chaque journée d’animations, de compétitions publicitaires et d’occasions variées de consommations. Hier à la nuit, murs et vitres vibraient sous les coups de basses du « rip curl pro ». Ne manquaient que les vagues, remplacées par de vombrissants scooters des mers. Tout cela sera bientôt effacé, oublié, digéré par la plage immuable.

L’inquiétude, certains la trouvent dans le silence, d’autres dans le bruit. Ces amplis, ces sonos à outrance, ces bruits de basse comme un martellement de coeur à dimension cosmique, sont-ils là pour masquer, font-ils autre chose que rendre intolérable ?

Mais ce soir la tempête l’a emporté. Vidé la plage de ces bruits parasites, renvoyé ces insectes de mer à leurs infimes trous. Restent les pavillons, les réclames qu’elle jettera à terre ou qu »on retrouvera plus loin, plus haut, ou pas du tout. Demain.

Des idées qui sont du pétrole

Combien de fois, découvrant des initiatives qui ne demandent pas de pétrole, mais seulement des idées, je me dis « pourquoi pas chez nous ? »

Récemment, c’était une équipe de chasseurs de têtes américains, qui allaient à la recherche de brillants cerveaux, non dans les universités ni dans les grandes écoles, mais dans les banlieues. Dans NOS banlieues, où il avaient plus de chances de trouver ces esprits avides et non formatés qu’à l’ENA ou à Princeton.

Hier, dans le Monde, c’est la fascinante intiative de « chercheurs-citoyens » dans le domaine qui parait le plus difficile à aborder qui soit, par les connaissances qu’il suppose, et jusqu’à son vocabulaire : la génétique. Des bricoleurs du génome en quelque sorte, non pour le modifier (heureusement) mais pour l’explorer et le mettre en commun.

Des californiens gonflés ont eu l’idée d’exploiter la possibilité qui existe dans leur Eta de faire séquencer et analyser son propre génome pour deux francs six sous, du moins au regard du prix des examens de laboratoire, et sans formalité aucune. De là, à le publier sur internet, avec tout ce que cela suppose d' »indiscrétions » possible, il y avait un pas qui est une petite révolution. Il permet en effet de mettre en commun les données enregistrements, de relier ceux qui sont porteurs de mutations semblables ou autres particularités et à partir de cela de conduire des recherches.

Les « chercheurs citoyens » trouvent désormais des sites où ils peuvent acquérir des connaissances en génétique (comme nous le faisons ici pour la généalogie) et où ils peuvent se porter volontaires pour des recherches en croisant l’une ou de leurs particularités génomiques avec des examens sanguins ou d’autres données.

L’air de rien, voilà une porte immense qui s’ouvre à la thérapeutique mais aussi à la médecine préventive génomique. Quand nous aurons tous notre code génétique dans notre i-phone, pourquoi ne pas l’échanger avec un copain dont la grand-mère a eu la même maladie que la vôtre, et partir ensemble à la recherche du pourquoi et du comment …

« Eloge du rire sardonique »

Vingt-huit années de différence d’espérance de vie entre les uns et les autres. Habitants du Bangla Desh d’un côté, des Hauts-de-Seine de l’autre ? Point du tout, cette différence qui est à elle seule presque une courte vie, on la trouve entre les Glaswégiens des quartiers riches, le sud et l’ouest de la ville comme partout, et ceux des quartiers pauvres. Ces Glaswégiens ne sont pas loin de nous ni spatialement, puisqu’il s’agit de Glasgow, ni temporellement puisque la statistique que l’on croirait venir de l’époque victorienne est bien actuelle.

Vingt-huit ans : on en arriverait presque à donner raison à Eric Woerth qui compte l’espérance de vie comme un mauvais paramètre de la pénibilité du travail. Ces Glaswégiens de l’est et du nord sont bien souvent chômeurs, et le Ministre pourra à la rentrée soutenir le syllogisme que moins on travaille plus on meurt tôt et qu’il faut reculer au-delà de 80 ans, l’âge de départ à la retraite.

La lecture du Monde diplomatique d’où j’extrais ce chiffre terrible est rarement réconfortante et la livraison d’août, qu’on a le temps de lire plus à fond, ne manque pas à la règle. La culture battue en brèche par l’intégrisme et le « salafisme » officiel en pays musulman, l’exode urbain devenu un exil rural économique, beaucoup quittant aujourd’hui la ville car ils n’ont plus les moyens de s’y loger… Un article après l’autre interroge, bouscule et attriste.

Je fais une échappée vers le canard enchaîné : le récit en quelques lignes des bons principes d’une lapidation réussie est pire encore que tout le « diplo » où je retourne. Sa dernière feuille « Eloge du rire sardonique » apporte la seule conclusion possible à ce morceau d’après-midi de lecture.

Les mots déchus

Un article de Libération (« La tyrannie de la toilette ») me fait souvenir d’un de ces mots que j’ai connus dans la vigueur de son usage et qui s’est éteint. L’un au moins de ses usages.

Dans les années 50, si on ne parlait plus d’ « atours », on disait encore couramment « la toilette » au sens de vêtement, ou plutôt de l’ensemble de vêtements et d’accessoires qui est de mise pour une occasion. Pour le Grand Prix de Pau, ville où j’habitais, une femme portait « sa plus belle toilette ». Elle n’en avait souvent pas un si grand nombre mais toutes avaient un sens, une intention et supposaient des heures de travail de couturière par ses petits plis, son drapé ou ses incrustations. Une femme qui avait « le goût de la toilette »avait généralement du goût, mais surtout elle aimait paraître et montrer qu’elle savait avec justesse adapter sa tenue aux heures et aux situations.

La « toilette » n’était pas l’apanage des plus riches. Ma grand-mère, paysanne qui ne s’asseyait pas à table, se tient aujourd’hui encore sur ma cheminée dans sa plus belle et seule toilette et avec quelle dignité, quelle obscure fierté, non pour elle, mais pour sa race, j’oserais dire pour sa classe. J’interprête sans doute, en connaissance de ce que fut sa vie, mais il y a dans cette toilette impeccable, dans sa posture très droite, sans concession à l’abandon ou au confort, une volonté d’être respectée pour ce qu’elle est qui est comme une leçon.

Bien souvent, dans une conversation, dans une lecture, je m’interromps un instant. Tel mot m’est aimé plus que d’autres, tel autre me déplait ou me fait peur (tel « déchéance » dont j’ai parlé dans un billet antérieur). Tel autre me frappe car il parait ressorti d’une vieille armoire, dont cette « toilette » dont Libération dénonçait la tyrannie … dans les années 1910. Tous, si on s’y arrête, racontent une histoire et un seul peut en contenir mille.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel