De la pénibilité ou plus justement de son absence de prise en compte réelle.
Eric Woerth a présenté le 13 juillet, au Conseil des Ministres d’abord, puis à la commission des affaires sociales de l’Assemblée, un projet de réforme des retraites strictement inchangé par rapport à la mouture initiale. Le dernier tour de concertation avec les partenaires sociaux, la manifestation populaire massive du 24 juin ont eu l’effet d’un cautère sur une jambe de bois.
Long préambule où il a répété que la réforme était « juste, courageuse et équilibrée ». Trilogie relayée par le Maire de Bordeaux mais dont la répétition ne suffit pas à faire une vérité.
Le point le plus noir, l’impardonnable défaut, est la non-prise en compte de la pénibilité du travail au profit du taux d’invalidité.
C’est impardonnable parce que nous avons aujourd’hui toutes les connaissances permettant d’apprécier la pénibilité. Eric Woerth, alors que je l’interrogeais sur ce point, s’est réfugié dans la difficulté à définir la pénibilité et j’ai essayé de montrer qu’il n’en était rien. Exercice inutile. Il le sait bien évidemment.
La pénibilité a été définie en tenant compte de critères validés par les partenaires sociaux qui mettent au premier plan l’espérance de vie, de 7 ans plus courte chez les ouvriers que chez les cadres supérieurs. Je l’avoue cette définition ne me satisfait pas entièrement car elle met au premier plan, les dégâts de la pénibilité au lieu de sa possibilité de prévention.
Nous avons tous les moyens de mesurer la pénibilité pour la prévenir dans les travaux et statistiques issus de la médecine du travail, des études de santé publique et des statistiques de l’INSEE.
Pour tous les grands groupes professionnels, nous connaissons les risques encourus, leur taux, le taux de morbidité (c’est à dire le pourcentage de maladies et de troubles), le type de ces maladies, leur âge de survenue et le temps d’éxercice au bout duquel ils surviennent de manière prépondérante.
Ne disposerions-nous pas de ces données, le bon sens suffirait pour savoir qu’un couvreur a un métier pénible, que son risque de chute augmente avec l’âge et que rester par temps de canicule ou de grand froid sur un toit est difficilement supportable. Un Ministre, fût-il du travail, ne le supporterait pas deux heures. Un député ne serait sans doute pas plus vaillant à l’éxercice.
Pour essayer d’attirer l’attention du Ministre, fin connaisseur du monde équestre, j’ai pris aussi l’exemple des jockeys de Chantilly. Avant que j’intervienne en séance, internet m’avait confirmé dans la connaissance de la pénibilité spécifique à ce mêtier qui fait que ces porteurs de casaques doivent interrompre leur métier bien avant 62 ans.
En réalité, Eric Woerth sait tout cela et il a proposé que « pour ceux chez lequel sera constatée une invalidité liée à leur profession de 20% au moins, la retraite pourra avoir lieu à 60 ans. » Pas au moment du constat d’invalidité, à 60 ans.
Eric Woerth sait aussi que cette sorte d’invalidité s’aggrave même après interruption de l’activité. Il sait aussi, qu’avec une médecine du travail dans l’état ou huit ans de gouvernement de sa majorité l’ont mise, de l’eau passera sous les ponts avant que tous les travailleurs aient vu leur état évalué et « labellisé ». Non seulement, il le sait, mais il compte dessus.
Il sait aussi que 20% c’est une réduction du cinquième des capacités de vie normale. Ce que l’âge aggravera et qui augmentera le fossé sanitaire entre les classes sociales.
Cette réforme remplace la pénibilité par les dégâts du travail. Je fais bêtement partie de ceux pour qui tout doit être fait pour que le travail donne de la force au lieu de l’enlever. De même, je pense que les conditions de travail sont plus importantes encore que la durée du travail et que nous (les socialistes) avons probablement trop agi pour la seconde et certainement pas assez pour les premières.