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Le charme discret des verbes déponents

A toute chose, malheur est bon, disaient nos anciens. Ils se trompaient : c’est avec des préceptes de ce genre qu’on a escroqué des générations de braves gens qui croyaient, qui au paradis, qui à la protection de leur seigneur, qui à rien du tout mais avaient la flemme de s’interroger.

Dans la catastrophique dévolution de l’église Saint-Eloi à une poignée d’intégristes, et sans doute à une poignée beaucoup plus grosse d’affairistes, j’ai trouvé un petit bonheur : renouer avec un de ces verbes déponents dont il ne reste presque rien, mais que j’aime pour cela, dans leur définitive nudité. Des exclus, des laissés pour compte, des mots de peu.

Pour les oublieux de la grammaire, un verbe déponent est un verbe qui a laissé beaucoup de plumes dans des siècles d’usage et perdu la plupart de ses temps et de ses formes de conjugaison. « Ci-gît » est le plus célèbre. Le vieux « dévoluer », du latin « devoluere » compte parmi ces pauvres hères du langage.

Il n’en reste guère que le participe passé « il m’a été dévolu une lourde charge » et deux subsantifs. L’un plutôt sympathique : « il a jeté son dévolu sur une jeune fille ». Pas très féministe, je le reconnais comme exemple. Disons plutôt « Véronique a jeté son dévolu sur ce beau gosse ».

Alain n’a pas choisi ce substantif, mais plutôt celui, appartenant au vocabulaire du droit et de la théologie, de « dévolution ». Et toc, au lieu de jeter son dévolu sur quiconque, a abandonné l’église Saint-Eloi à une poignée de jeunes gens qui ne l’ont pas dévolué qu’à l’esprit saint.

Les verbes ne manquent pas d’élégance quand il déponent. Quand les hommes politiques font quelque chose qui, à une lettre près, y ressemble, ils manquent carrément de discernement.

I had a dream

Déjà les fleurs de marronniers sont dispersées en une pluie légère de pétales blancs ou roses. La brièveté du temps entre le moment où nos marronniers se couvrent de bourgeons et celui où leurs fleurs s’évanouissent au moindre vent devraient être une leçon pour nous tous. Mais qui regarde dans les villes les arbres, leurs fleurs et leurs feuilles ?

Je pensais à cela de retour de la cérémonie du 10 mai, date commémorative de la mémoire de la traite des noirs, à l’initiative de Christiane Taubira. Sujet transcendantal s’il en est. Nous étions autour du buste de Toussaint Louverture, sur la rive droite du fleuve. Un groupe est venu à ma rencontre « aidez-nous à faire qu’il n’y ait à Bordeaux qu’une seule manifestation ».

O combien, j’en suis d’accord ! Mais les édiles de notre ville prônent le consensus quand il se situe derrière eux. Nulle association appelée à prendre la parole, pas davantage Jacques Respaud représentant le Président Philippe Madrelle, pas davantage la députée.

Oui, nous devions tous être là en fraternité. Chacun disant un mot, même le passant venu tout simplement rendre hommage.

« I had a dream », disait Martin Luther king. Et le temps est si court pour faire des rêves réalité.

Le sens de la dette

C’est vrai pour les personne privées, vrai pour les entreprises ou les collectivités, plus vrai encore pour les Etats : avoir des dettes, c’est remettre une part de sa liberté.

Pour 2010, la dette publique française (=la masse de ce que nous devons) atteindra 1500 milliards d’euros, près de 85% du Produit Intérieur Brut (le fameux PIB). Le déficit public pour l’année (différence entre les recettes et les dépenses d’une année) atteindra quant à lui 7,5 % du PIB. Pour mémoire, le pacte de stabilité européen prévoit qu’il ne dépasse pas 3%, ce qu’aucun Etat ne respecte et nous ne devons pas nous en réjouïr.

La crise a amplifié ces chiffres, mais nous étions bien avant elle dans le rouge. On peut même dire qu’elle a bon dos et qu’elle exonère faussement le gouvernement d’une part de responsabilité. Si nous n’avons pas trafiqué les chiffres comme la Grèce, nous n’en avons pas moins fait une politique de gribouille, inégalitaire et dispendieuse. Le signal a été donné dès les premières semaines de gouvernance sarkozienne (juillet 2007) avec le « boulet fiscal » (c’est ainsi que Laurent Fabius nomme le « paquet fiscal », c’est à dire la loi TEPA réunissant le bouclier fiscal, l’exonération des heures supplémentaires et la défiscalisation des droits de succession) qui nous plombe chaque année de quelques 15 milliards d’euros.

Pourquoi la dette tient-elle les Etats à merci ?

D’abord, parce qu’elle les empêche d’agir et de faire de la politique, au meilleur sens du terme. Un Etat lourdement endetté est empêché d’investir (du logement à la recherche…) et limité dans sa capacité de développer les services publics (éducation, santé..). S’il est honnête, il gère au plus près, comme un père de famille qui a des dettes ; s’il ne l’est pas, il fait comme notre gouvernement : il augmente la dette pour servir ses proches.

Au moins aussi gravement, la dette nous met à merci des marchés et des officines qui travaillent pour eux. Ce sont eux et pas nous, pas même nos gouvernants, qui décident des taux auxquels nous empruntons. La Grèce vient d’en faire l’expérience : mal notée sur sa capacité de rembourser par des agences de notation privées et dépendantes des marchés, elle s’est vu « proposer » des taux usuraires (13,5% sur deux ans) qui la précipitaient dans la banqueroute.

D’un jour à l’autre, ni notre mode de gouvernement (trop social..) venait à déplaire à ces officines, la même aventure peut être la nôtre.

N’y a-t-il rien à faire ?

Il y a en effet, mais l’Europe ne l’a pas fait. La fragilité des marchés est d’être justement des « marchés ». Leur taux d’usure sont valides s’il y a quelqu’un pour s’y soumettre. S’il n’y a pas de demande, il n’y a pas d’offre ou du moins l’offre est revue à la baisse. Les pays européens auraient-ils rapidement proposés à la Grèce de lui prêter au taux où eux-mêmes empruntaient, la surenchère des marchés perdait tout son sens.

Etats, ou personnes privées, nul ne se sauvera seul. L’Europe le comprendra-t-elle suffisamment rapidement pour qu’il ne soit pas trop tard ?

Cérémonies du 8 mai : mais où est le 9 ?

Je reviens à l’instant des cérémonies de célébration du 8 mai, date de la fin de la guerre 40-45 et de la victoire des alliés.

Cette date, ces cérémonies, ont une grande importance historique et à un moment où l’Europe n’apparait guère que comme un enjeu (un échec ?) économique, il me parait plus que jamais essentiel de montrer leur signification.

Bien sûr, la victoire sur l’Allemagne nazie. La montée des extrémismes, jusque dans notre ville, montre l’importance de ce combat qui ne doit pas connaître de fin. Les extrémismes s’appellent et s’entretiennent : plus que jamais nous devons veiller à n’en favoriser aucun.

Mais il y a une autre signification à cette date : elle a ouvert le chemin à la construction de l’Europe. Elle est, en elle-même, une justification de cette construction. Le 8 mai marque la fin des grands conflits européens, elle témoigne d’une prise de conscience et d’une ambition qui, malgré tous les aléas, demeurent dans le peloton de tête de ce que nous sommes en droit et en mesure d’espérer.

Or, dans la cérémonie du 8 mai, nul drapeau européen. Nul hymne européen pour venir prolonger notre hymne national. Nul développement en ce sens dans le message de notre éminent secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Hubert Falco.

La journée de l’Europe a lieu le 9 mai. Il y a en France aujourd’hui entre le 8 et le 9 mai beaucoup plus qu’une nuit : une erreur politique.

Quand tous les dirigeant des pays de l’Union ont perdu jusqu’au sens de ce mot, quand le soutien à l’un d’eux tarde de plusieurs mois, laissant aux marchés le temps d’augmenter leurs taux et leur puissance, le 8 mai devrait être l’occasion de donner au 9, et inversement, une épaisseur politique et humaine qui est la condition de l’adhésion des peuples.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel