Faisons l’Europe des langues et de la culture
Les regrets sont pour moi comme une armoire trop remplie que je n’ouvre jamais. L’un pourtant revient souvent quand je rencontre quelqu’un qui possède plusieurs langues.
« Posséder » est le bon mot, pour signifier que l’on navigue familièrement dans une langue, qu’on la plie à ses humeurs et à l’humour, qu’on sait la déformer, l’utiliser façon « grand genre » ou façon triviale. Ce n’est pas mon cas. La médecine m’a donné l’occasion de conserver et d’entretenir l’anglais mais c’est un anglais parcellaire qui ne sert de rien quand il s’agit de parler de la crise économique ou du coucher de soleil. Je comprends CNN avec effort, et celui que me demande la lecture d’un grand roman dans le texte a le don de m’en décourager. Les rudiments que je connais dans d’autres langues me permettent tout au plus de m’y débrouiller et pour ainsi dire d’y survivre.
Comment peut-on être naturellement, maternellement européen sans cela ? Posséder au moins une langue voisine, hors l’anglais, se débrouiller dans d’autres, n’être nulle part étranger ? Le grand défaut du traité constitutionnel -que personne pourtant n’a signalé- a été de ne pas consacrer une seule ligne aux langues dont la variété est pourtant « constitutionnelle » (j’emploie le même mot avec intention) de notre morceau de continent.
En réalité, ce n’était pas aux langues elles-mêmes qu’il fallait consacrer au moins un paragraphe mais à leur enseignement, et à l’engagement que les pays auraient du prendre d’installer fermement et dès le jeune âge les langues voisines dans leur système éducatif.
Ce n’est certainement pas le plus difficile de nos projets européens. Imaginer que dans chaque école, dès les petites classes, l’enseignement d’une langue européenne commencerait d’être dispensé pour ensuite se développer tout au long de la scolarité. Mettre sur pied des systèmes d’échanges d’instituteurs, capables d’enseigner dans le pays d’accueil leur langue de manière « maternelle » n’est pas même d’un coût démesuré, mais demande initiative et acharnement.
Le choix de langues différentes dans les écoles constituerait un facteur de mixité scolaire. Ceci a déjà été fait et démontré. Dans les années 70, l’école Schweitzer du Grand Parc à Bordeaux (quartier d’habitat social) a été la plus performante en matière d’enseignement précoce de l’allemand et cela constituait pour cet école un attrait très réel. Malheureusement, ce qu’un ministère avait rendu possible, le suivant l’a défait..
Si j’étais maire d’une grande ville ayant l’ambition d’être une capitale européenne (…), voilà ce que j’aurais à coeur d’initier en partenariat avec l’Education nationale et les capitales européennes avec lesquelles cette ville est jumelée. Le vrai « grand emprunt » c’est celui de la culture et, ici, il s’agirait de l’échanger.
La volonté d’innover, de créer, d’inventer manque à Bordeaux, comme reconnaissons-le dans notre pays et de la part de son gouvernement dont le fond de commerce se développe sur des idées d’hier. Chaque lecture, chaque recherche, me montre que c’est bien souvent ailleurs que ça se passe. Pourtant, c’est le moment : le XXIème siècle a déjà dix ans et on a l’impression qu’il se fait sans nous, que nous le subissons au lieu de le créer.
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