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Je sors attristée et inquiète d’une longue, très longue audition des représentants d’un syndicat de police.

Nous préparons à l’Assemblée un prochain débat autour d’un projet de loi « Immigration, intégration et nationalité » présenté par Eric Besson. Autant dire qu’il nous faut beaucoup travailler pour, au delà des positions de principe, pouvoir argumenter techniquement, sans faire d’erreurs, sans charger ceux qui ne doivent pas l’être.

Je ne sais par où commencer : tout, dans ce que nous avons appris, mériterait développement. Ces policiers que nous avons écouté et interrogé sont les premiers opposants à la politique du chiffre, sensée faire état de « résultats » mais en réalité rendant illusoire tout travail à long terme. L’impératif de devoir rendre compte régulièrement d’un nombre de reconduites à la frontière et expulsions de toutes variétés rend impossible de mener à bien ce qui serait le plus utile : remonter les filières des passeurs et -je prends leurs termes- aller jusqu’aux « gros bonnets ». Tout cela nécessiterait du temps mais éviterait qu’une branche de la filière étant identifiée et coupée, une autre se remette aussitôt en place, utilisant d’autres réseaux, la falsification de papiers différents et en réalité déplaçant le problème sans affaiblir la filière en question.

Car c’est bien là qu’est la question : l’organisation quasi-professionnelle de l’immigration clandestine et non pas les immigrés eux-mêmes, bien souvent voués à un sort aussi inhumain qu’ils passent ou qu’ils ne passent pas nos frontières.

Beaucoup, en particulier à Roissy entrent avec un vrai passeport, celui de personnes du pays d’origine auxquelles ils ressemblent grossièrement, ici en rajoutant une moustache, là en prenant quelques kilos. Une fois franchie les contrôles, les passeurs reprennent les passeports, et se font payer en plus du prix initial en mois ou en années de travail servile. Et les mêmes passeports servent à une autre « livraison » dans un autre pays.

Les policiers ont grandement insisté sur l’insuffisance de leur formation : 15 jours pour avoir quelques rudiments des « sécurités » des divers passeports européens, quelques notions pour identifier les visas des pays d’origine, aucune notion de droit, aucune remise à jour en fonction des évolutions des politiques nationales et internationales (quels pays imposent des visas ?..). Ils ont aussi regretté que les corps de police ne reconnaissent aucune spécialisation et ne leur accorde aucune valeur indicière. Tel qui avait réussi à acquérir de bonnes connaissances sur le terrain difficile et spécialisé du contrôle des frontières se voit proposer une mutation dans un champ complètement différent sans que son expertise soit prise en compte.

Deux points encore, que je n’imaginais même pas. A Roissy, à la gare du nord, les policiers travaillent sous l’autorité de fait des « partenaires » : Air France dans le premier cas, Euro star et la SNCF dans le second. L’impératif est que les voyageurs d’Air France puissent prendre leurs communications et ceux de d’Euro Star puissent arriver à heure dite à Londres. Ils ont ainsi une heure ou deux pour examiner à la chaîne les documents et les visages de deux, trois, quatre mille voyageurs. Un coup d’oeil rapide sur les uns et sur les autres et on passe au suivant : les impératifs économiques l’emportent toujours sur ceux des policiers.

Le deuxième, plus grave encore : l’absence de vraie coopération européenne. Les policiers italiens ou espagnols viennent au coup par coup contrôler à Paris ceux dont ils pensent qu’ils vont arriver chez eux (par exemple les Boliviens qui se dirigent ensuite sur l’Espagne). Les Français ne se déplacent jamais pour des raisons de restriction budgétaire et insuffisance d’éffectifs. Aussi en raison d’une gestion aberrante des ressources humaines. Un de nos interlocuteurs, bilingue maternel hispano-portugais, en plus du Français, n’a jamais contrôlé que des trains belges…

Je n’ai pas épuisé tous les points de cette audition. Tous en tout cas démontrent les méfaits d’une politique brouillonne qui, sous prétexte d’affichage et de résultats, néglige le travail de fond à l’encontre des filières de passeurs, souvent plus lucratives que celles de la drogue, quand elles n’y sont pas mélées.

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