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Qu’ils viennent me chercher !

Il y a beaucoup à dire de la déclaration impromptue d’Emmanuel Macron. Et d’abord qu’il l’a faite en petit comité, devant sa majorité parlementaire et non, devant les Français. Audience limitée et choisie, vidéo d’amateur, tout était fait pour faire redescendre le niveau de l’Affaire.

Mais ce qui m’a sonné le plus aux oreilles, c’est ce « Qu’ils viennent me chercher ! » qui résonnait à la fois comme un défi et une parole du haut de la montagne. Mais Moïse s’est tu là dessus. Nicolas Sarkozy a osé le défi : « descends, si tu es un homme ! » à un visiteur du salon de l’agriculture qui lui avait lancé quelque parole désagréable. Sarkozy était protégé par ses Benalla à lui, comme aujourd’hui Macron est protégé par la Constitution.

J’ai ensuite pensé à Danton, le plus fanfaron de nos révolutionnaires (« Montre ma tête au peuple, elle en vaut la peine »). Ce n’était pas lui mais il m’a permis de retrouver ce qui me chatouillait les synapses..

« Qu’ils viennent, s’il l’osent, me chercher ! » répond Hébert à sa femme qui s’inquiète (à raison) sur son sort. Il continue: « Je ne crains pas plus Robespierre que Danton. »

C’est Lamartine qui décrit cet échange dans son « Histoire des Girondins ». Si elle n’est que très partiellement véridique, au moins son ton épique la rend-elle lisible. Mais ce qui est important, c’est que nous savons au moins qui sont ces « Ils » que vise Hébert.

Qui sont les « Ils » de Macron ? Rien de plus précis qu’une réminiscence sans doute. Mais à nos oreilles, ils sonnent en effet comme parole royale ou prophétique, lancée du haut d’un Olympe d’où nous sommes très loin… De même quand il poursuit: « Répondez-leur que le responsable, le seul responsable, vous l’avez devant vous.. ». Là nous sommes clairement dans le registre du Christ parlant à ses apôtres. Ca fait beaucoup…

Ni les Romains, ni les sans-culottes n’iront chercher Macron… Les Députés peut-être, qui demanderont à l’entendre. La République sans doute, qui est inaltérable, comme la cicatrice que cette Affaire lui laissera.

 

Les mots des médias ont un poids

Je déteste que les journalistes utilisent des mots qui impliquent un jugement. C’est particulièrement le cas dans les médias non écrits mais les textes écrits peuvent aussi y succomber.

L’affaire Bénalla et les auditions qui s’en suivent en donnent malheureusement force exemples. J’ai entendu déjà de nombreuses fois que Pierre ou Paul « se défaussait sur telle institution ou telle personne » ; c’est en soi une faute: un journaliste rapporte des faits, mais il n’a pas à les juger, moins encore de cette manière subreptice (ou alors il le fait à l’occasion d’une tribune, voire -et encore je n’en suis pas sûre- d’un éditorial signé)

Les auditions qui ont lieu en ce moment à l’Assemblée se font sous serment, dire que l’un ou l’autre « se défausse » en vient à dire que celui-ci ment et trahit son serment, ce qui passible de peine.

« Se défausser » veut dire à l’origine « abandonner (se débarrasser) d’une carte encombrante ou sans intérêt ». Il est utilisé aujourd’hui pour dire que l’on se débarrasse de sa responsabilité ce qui est grave quand il s’agit d’une personnalité détentrice d’un pouvoir au nom de l’Etat.

Si le journaliste a des doutes sur la sincérité de la personne entendue, il peut dire ou écrire « Selon lui .. » ou « selon ses affirmations.. » , mais exprimer que Pierre ou Paul a, a priori, l’intention de se décharger de sa responsabilité est une faute.

J’ai eu ce type de remarques quand le hollande bashing était à son comble, je l’ai de la même manière sous un autre gouvernement et concernant des Ministres ou des hauts fonctionnaires qui engagent leur honneur dans des auditions publiques et sous serment. Et si on assermentait aussi ceux qui les commentent ou, pour le moins, s’ils se sentaient eux-aussi tenus par un devoir de vérité et de neutralité ?

Si la vie ne tient qu’à un fil, autant qu’il soit solide

Le siècle dernier a consacré trois temps de la vie : éducation-formation, profession, retraite, qui sonnent comme les trois actes d’une tragédie classique. La vie, ce fil supposé continu, était ainsi divisée en trois parts de durée relativement proches et ceci dans le cours d’une vie dont la durée moyenne était alors de 70 ans.

Seulement voilà : l’espérance de vie à l’âge de 65 ans est aujourd’hui en France de 19,5 ans pour les hommes et 24,4 pour les femmes ;  le temps d’études quant à lui est  fréquemment  prolongé jusqu’à 25 ans ou plus, et le temps de retraite atteint près de 30 ans. En 1945, rappelons-le, l’âge légal de la retraite à été obtenu comme une formidable avancée alors que l’espérance de vie moyenne des femmes était justement de 65 ans, et celle des hommes de… 60 ans.

A tout cela s’ajoute une grande variété de situations. Les « carrières longues », débutant avant la majorité, sont moins fréquentes aujourd’hui, mais elles perdurent cependant alors que la vie professionnelle d’un médecin spécialiste peut ne commencer qu’à 30 ans ; la recherche d’un emploi repousse souvent l’entrée dans la vie active ;  la retraite, elle, demeure plus longue qu’elle ne l’a jamais été. Même en retardant l’âge légal de départ, l’espérance de vie à la retraite continue d’augmenter et, par ailleurs, de nombreuses professions permettent de continuer à travailler bien au delà de 62 ans.

Longévité, hétérogénéité des situations, ce morcellement en 3 temps radicalement distincts n’a plus vraiment de sens et n’est plus soutenable. Une vision toute différente s’impose au contraire. L’ « activité » apparait alors comme un élément majeur du fil continu de la vie. Durant la formation, on est à la fois actif et présent à la société, ce dernier point ne faisant que s’accentuer par l’immersion précoce des jeunes dans l’information, les médias, la vie collective, qui les fait rapidement dépasser les limites de la vie familiale. Durant la vie professionnelle, l’activité « productive » s’intensifie et les changements d’activité sont de plus en plus nombreux et les coupures momentanées fréquentes. Dans tous les cas, le temps de retraite « en bonne santé » s’allonge : peut-on alors continuer de la concevoir comme une porte qui se ferme, impose le « retrait » et soit synonyme du seul repos ?

Je n’évoquerai pas ici les raisons économiques de cette impossibilité : les seuls « actifs » (personnes dans l’emploi) ne peuvent, et surtout ne pourront, porter la charge des deux autres temps de la vie dont les participants sont supposés inactifs. Mais surtout, cette fracture, est génératrice de mal être, de sentiment d’inutilité et de restriction des liens sociaux.

J’ai longtemps cherché comment qualifier l’activité souhaitable à la fin de la vie professionnelle classique. Il ne s’agit pas obligatoirement de « travailler » mais cela n’exclut pas non plus de travailler moins ou autrement, ou encore de commencer un activité nouvelle. L’enjeu est bien de demeurer actif, utile, de conserver un maximum de liens sociaux et, au sein d’entre eux, de conserver une identité positive. Un groupe d’économistes au sein de la Chaire de transition démographique, vient de proposer le terme d’ « activité socialisée » qui, à la fois, relie les trois périodes de la vie, et contribue à tisser ce fil continu tellement plus rassurant que le contingentement et l’assignation à un groupe. Actif, je suis, actif, je demeure et cette activité demeure ma meilleure monnaie d’échange et de partage avec les autres, pérennise mon identité ou la renouvelle, sans que celle-ci ait obligatoirement besoin de se confondre avec un emploi ou un salaire.

Pour dire les choses simplement, je ne me perçois pas comme cochant la case « retraitée ». Ce peu d’enthousiasme pour le mot et la chose m’a valu il y a peu d’années un différend (cordial)  avec une « retraitée » qui revendiquait son état au sein d’un syndicat et trouvait que j’étais trop réticente à utiliser le terme, ce qui était vrai. La concernant, je ne la vivais pas comme « retraitée » mais comme « syndicaliste ».

Je ne sais si cet exemple suffit à illustrer ce que j’ai voulu exprimer. Alors prenons-en vaillamment un autre : Descartes. Cet excellent homme me parait s’être arrêté en chemin avec son « Je pense, donc je suis » et je me permets de corriger la citation qui a fait transpirer tant de candidats au bac philo : « Je pense, je fais et donc, je suis ».

Descartes d’ailleurs m’a donné raison avant l’heure : il pensait bien sûr, mais il écrivait qu’il pensait. Et ce n’est pas le fil le moins solide dans une vie.

Hommage à l’ami Michel Suffran

L’écrivain, dessinateur, poète, bibliophile … Michel Suffran est mort le 5 juillet. Ami de (beaucoup) plus de 30 ans, confrère, fin conservateur de la mémoire de Bordeaux et de tous ceux qui ont hanté cette ville. On ne sait pas assez qu’il était aussi un talentueux lecteur à voix haute des textes qu’il aimait et en particulier de Buzzati , Jean de la Ville, Mauriac… Les dessins qu’il griffonnait sur un papier passant par là, qu’il m’envoyait parfois, sont des petits miracles de poésie et de charme qu’heureusement j’ai tous conservés.

Grand amateur de livres mais aussi d’objets modestes qui rappellent l’enfance et le temps passé, sa maison était (et demeurera avec son épouse Colette) dévorée de charme et de tendresse. Il est l’écrivain non seulement d’ « une génération perdue » mais d’un monde perdu, d’une ville oubliée, qui ne le seront pourtant jamais tout à fait, puisque l’écriture les inscrit dans la durée.

J’ai partagé plusieurs de ses combats : la Garonne qu’il ne voulait pas voir défigurée par le doigt de pierre dont Alain Juppé voulait initialement barrer la Garonne au droit, la défense du Port aujourd’hui menacé, la conservation du souvenir et de la tombe de Jean de la Ville, le « Petit Mousse », l’arbre penché du Jardin public…  Ce qui nous a amené à ferrailler bien des fois avec la raideur municipale. Tous ces combats n’avaient rien de partisan : il aimait le beau et le signifiant et savait les déceler où qu’ils se cachent.

Enfin, je veux saluer son immense courage en face d’un cancer qui a mutilé son visage mais qui a laissé intacte son immense sensibilité et sa consubstantialité avec sa ville et ceux qui avant lui l’ont illustrée.

Toute mon affection à son son épouse Colette et à son fils. J’y joins à titre posthume celle de mes parents dont il était l’ami et du pilote Jean Mandouze qui fut son frère d’armes.

Double hommage

Trois beaux écrivains, doublés de grandes personnalités, sont morts au cours des trois derniers jours : Georges Emmanuel Clancier, François Bluche et Claude Lanzmann.

Ce n’est qu’avec le premier que j’ai un lien autre que littéraire. « Clancier » (je dirai pourquoi je l’appelle ainsi) est né en 1904 et donc mort à 104 ans. Il compte parmi le petit nombre d’écrivains à avoir dépassé le siècle.

Il avait avec mon père (né en 1907) une triple parenté : des origines très modestes, un passé résistant et cette proximité d’âge et de goûts qui les fit se rencontrer. Devenu Directeur Général de la RTF, mon père proposa à l’auteur du « pain noir » d’être son directeur des programmes, poste important dans une structure de radio-télévision qui était encore à taille humaine. Leurs proximités les amenèrent à une sobre amitié que je crois avoir été pour l’un et pour l’autre, durable.

Mon père l’appelait « Clancier », ce qui n’était pas pour lui une manière habituelle. L’honnêteté m’oblige à dire que je ne sais pas comment Clancier appelait mon père, mais certainement pas « Monsieur le Directeur général ». Il est en tout cas resté à ce poste jusqu’en 1975 en passant de la RTF à l’ORTF.

Voilà, j’aurais du parler davantage du « pain noir » qui fut certainement un ciment entre eux. Mais je ne voulais rien d’autre qu’en faisant hommage à l’un, l’autre aussi en soit atteint.

 

 

 

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