m

La potemkinisation des témoins

J’évoquais, dans un billet précédent (24 juillet), l’habile maquillage de la chambre de commerce de Bordeaux (grille repeinte en or, climatisation installée…) avant les quelques minutes de visite du Président Sarkozy. Nous avions eu d’ailleurs à la même occasion un avant-goût de ce que peut être la potemkinisation des témoins, à laquelle le ministre de Catherine II de Russie lui-même n’avait pas pensé.

Le Président ayant émis le désir d’un bain de foule, tout ce que Bordeaux comptait ce 25 juillet de militants UMP pas encore au Cap Ferret avait été illico convoqué sur les lieux pour applaudir et tendre les mains à l’auguste main présidentielle.

Nadine Morano, Secrétaire d’Etat en charge de la famille, fait assez bien aussi dans le genre.

En visite, mercredi 20 août, dans un hypermarché de Marseille pour promouvoir l’aide gouvernementale de rentrée scolaire, elle sillonne les rayons « rentrée des classes » entourée de force micros et caméras. Une maman s’avance et explique que la rentrée, elle arrive pas à la couvrir, en donnant le détail des frais qu’elle doit assumer : l’assurance de l’école, les fournitures, les livres qui vont venir après et qui ne sont pas dans la liste…

-« Non, madame, je vous le dis en face, le gouvernement, il fait pas ce qui faut pour nous … ».

Quoi, le gouvernement ne fait pas ce qu’il faut ? Visage tendu de Nadine qui élude et va plus loin. La voilà heureusement sitôt dépannée par son chef de cabinet qui lui montre un autre acheteur, qui passait là par hasard et qui, cette fois, ne tarit pas de remarques réconfortantes : le prix des fournitures a baissé (« Est-ce que ça ne serait pas grâce à M Darcos qui a rencontré les distributeurs ? » « Mais bien sûr Monsieur, que c’est grâce à lui… »). L’allocation de rentrée est suffisante, les professeurs ont d’ailleurs veillé à alléger les listes… Bref, une rentrée sereine et légère au portefeuille des ménages.

Tout ça, grâce à qui ? Là, au moins, Nadine n’a pas de mal à répondre.

Un journaliste a mis la vidéo sur le site de « Rue 89 » où je vous recommande d’aller la visiter. Et surtout, il s’est enquis de s’avoir qui était ce bon père-bon citoyen, venu à point nommé sauver Nadine d’un témoignage à charge.

Tout simplement, l’adjoint au maire UMP d’une mairie UMP voisine, en charge de la politique scolaire.. Nadine, d’ailleurs, après avoir fait sa visite, est repartie avec lui.

Nous serons un jour en démocratie si nous pouvons voir une telle scène sur TF1.

Les mouettes et le marchand de gaufres

A un certain moment, très peu après le coucher du soleil (le ciel est encore clair, et cette clarté menacée a un éclat particulier), les mouettes se rangent dans un endroit précis de la plage. Presque en lignes, comme elles marchent, bataillons sans armes, toujours prêts à s’envoler.

Là elles attendent, faisant semblant de s’occuper en cherchant du nez dans le sable, regardant de ci-de là, ce qui n’est pas dans leurs habitudes.

Quelques instants plus tard, un homme sort du dessous de la promenade, tenant au devant de lui les coins d’un grand tablier qu’il secoue brutalement. Et les mouettes se précipitent, certaines en marchant, d’autres par petits coups d’ailes. D’autres encore, qui avaient manqué le rendez-vous arrivent. Et toutes picorent, jusqu’à ce que plus rien ne reste, puis elles regardent de nouveau autour d’elles, et quand elles ont compris que le miracle ne se reproduira pas, elles reprennent leur vol.

Je suis allée à la rencontre de ce magicien, moi qui ne suis jamais parvenue à faire se poser ni mouettes, ni goélands.

C’est le marchand de gaufres, et il a été tout heureux de me raconter que tout le jour, il gardait les morceaux de gaufres cassées ou mal cuites, celles qui n’avaient pas été vendues, et qu’il attendait que le soleil soit juste couché et que les mouettes descendent, pour les rejoindre et secouer son tablier.

C’est un moment si joli, une heure si magique, que j’ai voulu vous la raconter.

« Finir le travail »

Personne n’a relevé la quasi-similitude de la phrase de Sarkozy en Afghanistan « il faut continuer le travail » et d’une autre, prononcée il y a quelque 17 ans. Le rapprochement est instructif de bien des points de vue.

A l’issue de la première guerre du Koweit, George Bush senior a arrêté la progression des troupes américaines à portée de char de Bagdad. Schwarzkopf, le général en chef des armées dans cette mission, a regretté de n’avoir pas pu « finir le travail ».

Finir le travail, c’était alors entrer dans Bagdad et se débarrasser de Saddam Hussein. De nombreux Américains, les années suivantes, l’ont suivi dans ce regret.

Et pour nous, là-bas, c’est quoi le travail qu’il s’agit de continuer ? Le Président n’a jamais ni défini la mission, ni annoncé une stratégie, ni posé des jalons dans l’évaluation de l’action.

Un seul objectif peut justifier notre présence : écarter définitivement les Talibans et leurs moeurs barbares, éviter que l’Afghanistan ne devienne la tête de pont d’Al Quaïda.

Y mettons-nous les moyens ? (« Nous », étant bien sûr les forces de l’OTAN et non la seule France). La population afghane vit en moyenne avec moins d’un euro par jour. La seule chance d’approcher de la mission évoquée est de les rallier fortement , non aux vertus civilisatrices de l’Occident, mais à sa capacité d’améliorer leurs conditions de vie. Tout montre qu’au contraire, l’aide humanitaire tarde et que les talibans retrouvent leur place dans la société.

Ce qui fausse le jeu, une fois encore et comme à peu près partout, c’est la drogue , dont l’Afghanistan est aujourd’hui le premier exportateur . Par l’intermédiaire de la drogue, nous payons nous-mêmes les armes qui visent à nous détruire. Je dirais même à nous détruire doublement : ici en la consommant, là-bas en armant ceux qui ont déclaré la guerre à l’Occident.

Nous ne finirons jamais aucun « travail » tant que ce fléau supérieur à toutes les épidémies de l’histoire continuera d’en fausser la marche.

Je parle toujours avec grande prudence des conflits extérieurs. Ossétie, Afghanistan, ce que nous ignorons est bien plus vaste que ce que nous savons. Même au moment de la motion de censure posée à l’Assemblée par le groupe SRC après la décision d’envoi d’ un contingent supplémentaire en Afghanistan, j’étais dans le doute. L’horreur du régime taliban est telle qu’on ne peut pas simplement détourner la tête.

Un sujet où nous sommes sans certitudes, mais non sans craintes.

Moment suspendu

Circonstance exceptionnelle : la mer est démontée, des tonnes d’eau s’abattent à chaque instant, les déferlantes sont à dix mêtres de la maison, et en même temps on peut laisser grandes ouvertes baies et fenêtres : le vent se cache quelque part sans donner le moindre signe. Comme la vapeur d’une cocotte minute, il reparaitra très vite, mais pour l’heure, il laisse tout loisir aux promeneurs de venir admirer sa commère la mer, et à moi d’ouvrir tranquillement mon écran (l’écran des portables s’ouvre comme un livre placé sur la tranche) et de doubler en mots le spectacle extraordinaire de cette mer furieuse.

Elle est tout simplement en colère et elle le montre. A vrai dire, il y a de quoi, et tout à l’heure dans l’embouteillage qui me ramenait au pas du centre Leclerc, je partageais son sentiment. Non pour l’embouteillage (encore que rien ne m’agace autant), mais pour les « nouvelles » de la radio à cette heure. Pas tellement Mehdi Baala que les Russes qui bernent le monde (et d’abord nous, en raison de l’écho donné par Sarko à son cessez-le feu éclair), les soldats piégés en Afghanistan, les apprentis gendarmes explosés en Kabylie, de quoi se mettre en furie, monter des murs de dix mêtres, gronder comme la grosse Bertha en 14, se mettre dans tous ses états..

Curieusement, le vent n’a pas suivi. S’il l’avait fait, je serais seule derrière ma fenêtre à admirer autant qu’à m’inquiéter du spectacle. Mais la température est douce, les souffles mesurés, et ce qu’il reste de vacanciers sur cette côte est là, tous à la fois détendus et conscients que s’ils s’aventuraient tant soit peu dans cette mer démontée, ils ne seraient plus rien, pas davantage qu’un morceau de bois flottant ou qu’un sac de plastique, misérable, épuisé, déchiré, tel qu’on le retrouvera demain sur la grève.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel