Pour prolonger le débat bien entamé à la suite des billets précédents, j’essaye d’extraire de ma mémoire une histoire qui m’a fait beaucoup rire, il y a quelque 25 ans…
Nous sommes en pleine crise pétrolière. L’Allemagne déplore le nombre élevé de ses chômeurs, la panne de la croissance, le pouvoir d’achat qui flanche… Vous voyez facilement le tableau. Le chancelier socialiste Helmut Schmidt (1974-82) veut marquer fortement l’opinion, et peut-être -qui sait ?- la détourner un peu de ses difficultés quotidiennes. Je pense que vous voyez toujours facilement…
Il convoque la presse au bord du Rhin, dans la capitale d’alors, Bonn. Les médias sont rassemblés, un peu surpris de cette convocation inopinée et inexpliquée. Rang de ministres le long de la rive. Helmut Schmidt arrive, donne quelques poignées de mains et, sans autre forme de procès, s’engage et marche sur les eaux. Arrivé au milieu du grand fleuve, le Rhin est large et majestueux à Bonn, il rebrousse chemin (si l’on peut dire), reprend sa marche sur les eaux et rejoint la rive.
Quelques poignées de mains encore, il remonte sans mot dire dans une Mercèdes noire ; le vice-chancelier Genscher s’engage dans sa roue, suivi des ministres, laissant le public médusé sur la rive, et les médias en proie aux affres de leurs engagements journalistique …
Titres le lendemain dans la presse allemande :
Frankfurter Allgemeine (= « le Figaro ») : « Crise en Allemagne : comme d’habitude, le Chancelier évite de se mouiller« . On imagine la suite des commentaires : pas un mot des vrais problèmes, le Rhin ne résume pas à lui seul l’ampleur des difficultés du pays…
Bild (= « Match », mâtiné de « Gala ») : Helmut Schmidt à deux doigts de se noyer. Sa femme et sa fille en pleurs« . Photo des deux dames, prise à l’enterrement d’une tante éloignée, le tout sous un titre sur cinq colonnes « Bonn : le drame ! ».
Stuttgarter Zeitung (mi-chêvre, mi-chou, comme qui dirait Bayrouïste d’outre-Rhin) : « Schmidt marche sur le Rhin, mais fait demi-tour à mi-chemin ! ». Commentaire : oui, c’est pas mal, on n’a pas vu ça depuis longtemps, mais quand même, c’est bien du Schmidt de ne pas finir l’ouvrage et de s’arrêter en cours de route….
Passauer Neue Presse (= »La Croix », en beaucoup plus vaticaniste, pardon pour « La Croix ») : « Les eaux du Rhin s’ouvrent devant Schmidt ! »
Frankfurter Rundschau (de gauche, pour contrebalancer l’autre Frankfurter) : « Schmidt : c’est possible !__ ». Commentaires : la volonté du chancelier a triomphé des prévisions pessimistes. On croyait l’Allemagne proche de sombrer. Le chancelier démontre au contraire sa capacité à garder la tête hors de l’eau…
Si il y avait une vraie presse d’opposition en France, je vous aurais raconté l’histoire version Sarko marchant sur le Nil…