Hier 19, visite « surprise » au centre de rétention administrative, où sont « retenus » les étrangers en instance de reconduite à la frontière. Ces visites se font toujours sans prévenir à l’avance pour pouvoir en toute objectivité juger de l’état et de l’atmosphère des lieux.
Le centre de rétention de Bordeaux, se situe au sous-sol du nouvel hôtel de police. C’est un petit centre de 24 places, disposé autour d’un puits de jour au plafond grillagé, baptisé un peu généreusement « cour de promenade ». Les six chambres de quatre lits chacune ne sont pas indignes. Les lieux de toilette (deux douches, deux wc, un lavabo double) sont sommaires et, ce matin-là, médiocrement entretenus.
La durée moyenne de séjour est de 15 jours. Le centre est plein, mais on n’y connait pas de surpopulation, au contraire de la prison. Il nous a été dit que les interpellations étaient interrompues quand le centre était plein.
Sauf à des occasions ponctuelles, où deux chambres peuvent être rendues indépendantes, le centre n’abrite que des sujets masculins, de nationalité variée, pour environ 50% africaine le jour de ma visite, et pour le reste, indienne, pakistanaise, turque, russe.
J’aurais aimé rencontré M Kébé Talibé, personne ivoirienne, dont la rétention vient d’être prolongée. Je m’étais entretenue avant d’entrer au centre avec sa compagne. Je donne à la suite de ce billet, la note qui m’a été transmise sur sa situation. On m’a dit que M Kébé venait d’être transféré pour une audience et je n’ai donc pu lui parler.
Je me suis entrenue avec plusieurs des personnes retenues. L’un d’eux, Algérien, est en France depuis 8 ans et demi, ainsi que ses quatre soeurs ; il travaillait, parle évidemment parfaitement français. Je me suis étonnée qu’il soit au centre de rétention, avec les étrangers nouvellement arrivés, et non assigné à résidence. La réponse a été bien sûr qu’il n’aurait pas été retrouvé à sa résidence, en ayant connaissance de sa possibilité de reconduite.
Une fois encore, cela me parait illustrer le fait que la « politique du chiffre » , imposée par le gouvernement, fait ignorer les situations individuelles, alors que chaque cas est un problème humain.
Dans le centre de rétention, une cellule d’isolement est en cours d’installation. Cela ne fera qu’augmenter le caractère carcéral de ce centre. Là la réponse a été qu’il fallait éviter que les « retenus » violents ou menaçant de se suicider aient à être transférés à Toulouse, dans un centre comportant ce aménagement. Pour les « suicidants », je ne comprends pas qu’ils ne soient pas orientés vers l’hôpital Charles Perrens, et je l’ai exprimé sans trouver là de réponse satisfaisante.
J’ai longuement parlé avec l’infirmier du centre, qui est un infirmier du CHU. J’ai particulièrement apprécié la manière dont il conçoit son rôle, qui est d’apporter non seulement du soin, mais de l’humanité, du lien, à des personnes en situation de stress, brutalement coupées de leur environnement, et dans l’incertitude et la crainte concernant leur avenir à court terme. Deux infirmiers se relayent au centre, assurant ainsi chaque jour, week end et fêtes compris, une présence de sept heures et demi. La nuit par contre, il n’y a pas de présence infirmière, et l’accès au soin doit passer par le gardien.
Un problème majeur est l’absence de mise à disposition d’un interprête pour les personnes ne parlant pas français. Cet accès est à leur charge ce qui limite leur accès aux procédures de recours de justice. Une fois encore, la bonne volonté supplée à la loi et les interprètes de la CIMADE ou de l’association Mana, apportent leur concours pour pallier à cette insuffisance du droit.
J’ai voulu que ce billet soit aussi objectif que possible et qu’il comporte tous les points qui m’ont principalement retenue. D’où l’austérité de son ton et de sa rédaction.